LA REVOLUTION |
La Révolution dans le Pays |
La Révolution dans le Pays (par Armand de Gouyon) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
D’après l’essai [2]d'un pouillé général de l'ancienne Bretagne ou catalogue complet des divisions ecclésiastiques et des bénéfices que renfermaient les neuf évêchés de cette province avant 1789, le territoire du diocèse se partageait entre dix subdivisions ecclésiastiques dont les titres différaient, savoir archidiaconés. six doyennés et trois territoires et, à cette période, Glénac faisait partie du territoire de Rieux.
En mai 1789, lors de la réunion des Etats Généraux, un conflit éclate entre, d’un côté, les représentants du tiers-état soutenus par une partie de la noblesse et du clergé qui veulent que les députés, sans distinction d’ordre, délibèrent en commun et que l’on compte les votes par tête et, de l’autre côté, les privilégiés, appuyés par le roi qui désirent, suivant l’usage ancien, que les députés délibèrent par ordre et que l’on compte les votes par classe. Mais le tiers-état l’emporte.
Dans les paroisses, c’est un peu la même chose qui se passe entre les paysans et les citadins plus ou moins bourgeois. Ainsi, à Guémené, les citadins revendiquent leur propre électeur alors qu’à La Gacilly, la protestation est inverse. Déjà cette ville se distingue des autres communes environnantes par ses idées révolutionnaires, par son goût du changement et du progrès. En général, les électeurs ruraux contestent le résultat du scrutin trop favorable au candidat du chef-lieu « ces vieux routiers exercés à la finesse et à la tromperie » peut-on lire dans une plainte des paroissiens du Temple et de Tréal, scrutin qui témoigne d’ailleurs de la rancœur et de l’animosité atavique des paysans « venus du fonds de leur campagne » et qui se sont « faits duper dans les lieux qui fourmillent de gens de judicature ».
Déjà en 1788, sitôt après les évènements dont Rennes fut le théâtre à la réunion des Etats Provinciaux et après l’incendie de l’abbaye de Redon, un groupe se forme à La Gacilly et devient une patrouille patriotique ils sont suivis par Rochefort-en-Terre et par Carentoir qui avoue naïvement faire comme les autres. A Redon, on dit que se sont des brigands. Ce qui frappe dans ces formations, c’est leur composition. A La Gacilly, la « patrouille » est en majorité composée des éléments qualifiés par certains de médiocres et commandée par Guillemin connu sous le sobriquet de Cadet, étranger au pays. Ce furent elles qui, quelques mois plus tard, allaient incendier les châteaux et les maisons bourgeoises.
D’un autre côté, une partie de la bourgeoisie va rallier la révolution. Il s’agit d’hommes d’affaires, de petits bourgeois, de notables de l’ancien régime ou de personnalités imbues de leur personne, reniant la monarchie qui pourtant les avait « engraissés », qui changent d’opinion suivant les événements et qui deviendront les révolutionnaires les plus durs en retournant leur veste. Parmi ces révolutionnaires d’occasion se trouvent Le Clainche, avocat et sénéchal de Rochefort-en-Terre, Geslin, procureur-syndic du district de Rochefort, Séguin, ex-procureur du marquisat de la Bourdonnaye, le « meneur » de La Gacilly, Le Gall, procureur fiscal, Grinsart, le maire de La Gacilly et Jean-Marie Le Blanc, juge de paix de Carentoir, notaire et ancien procureur fiscal à La Gacilly. Né en 1761, ce dernier est nommé député du Tiers-état à l’assemblée de la sénéchaussée de Ploërmel le 7 avril 1789 sous le nom de Leblanc de L’Herminais.
v La nuit du 4 août, avec l’abolition de la féodalité et des privilèges, fut davantage critiquée par la petite noblesse que par la grande : elle y tenait d’autant plus qu’elle en possédait peu, comme le vicomte de Noailles qui lança l’idée de révolte d’autant plus facilement qu’il n’avait rien à perdre. La paysannerie n’y regarde pas de si près et se met à mener, contre ses maîtres et seigneurs, des expéditions au cours desquelles fut saisie de vive force et le plus souvent brûlée, la paperasserie ancestrale qui consignait droits et surtout devoirs. La noblesse ne se laissait pas toujours faire ; au pays de Vilaine, la riposte fut orchestrée par M. Joseph de la Ruée, seigneur de Castellan en Saint-Martin-sur-Oust et du Pré-Clos en Tréal. C’est lui qui, dès 1786, fomenta l’affaire dite du Pré-Clos étant mêlé de très près à la rédaction d’une préface locale de la Révolution écrite en forme de tragi-comédie et qui continua en organisant les protestations de la noblesse et même en mettant en place des moyens de résistance. Le Pré-Clos est une gentilhommière où des conciliabules nombreux ainsi que des réunions furent tenus par l’animateur local, M. de La Ruée. Un soir de 1791, à l’heure du dîner, après une surveillance renforcée par le district de Rochefort, le Pré-Clos fut cerné par les dragons de Ploërmel qui arrêtèrent tous les convives. Ils furent très vite rendus à la liberté sans autre forme de procès. Le roi qui jouissait encore d’un semblant de pouvoir décréta l’amnistie en ouvrant l’Assemblée Législative du 1° octobre 1791. Les conspirateurs retrouvèrent leur liberté mais ils comprirent qu’il ne fallait plus jouer avec ce feu.
Le 8 août 1788, Louis XVI convoque les Etats généraux pour le 1° mai 1789. La Bretagne étant un pays d’états, les députés aux Etats généraux devaient être élus d’après les usages anciens par les Etats de la Province. C’est pourquoi les élections se firent dans le cadre des sénéchaussées de la Province.
Toutes les paroisses et toutes les trêves furent invitées à présenter des cahiers de doléances. Dans la sénéchaussée de Ploërmel, 146 paroisses et 39 trêves prirent part à ces élections. Seulement 3 paroisses et 6 trêves dont La Gacilly ne répondirent pas à la convocation.
Au milieu du XVIII° siècle, l’étendue des landes était considérable surtout aux Fougerêts, à Ruffiac, à Sixt-sur-Aff et à Carentoir où il est même dit que la paroisse contient une « quantité prodigieuse de landes. » Pourtant de nombreux défrichements sont effectués à cette époque, la plupart du temps réalisés par les paysans eux-mêmes, aux ressources pourtant limitées. Il existe aussi des terres en « labeur » mais, sur Carentoir et La Gacilly, les terres cultivées sont en fait des landes afféagées qui « malgré les sueurs et les travaux des cultivateurs ne produisent guère. » C’est surtout le seigle que l’on récolte. La lande est aussi le pacage ordinaire des bêtes à cornes et des moutons. L’industrie tourne autour de la toile et des tanneries .
Beaucoup de paysans « se débattent contre la misère et sont incapables de salarier un journalier. » Les uns comme les autres « ont peine à assurer leur subsistance toute l’année. » Cette situation est encore aggravée par la disette des grains surtout depuis 1772 qui force les paysans « à voler et à piller les blatiers » car, en plus, la propriété paysanne est grevée de redevances et de droits seigneuriaux. Dans ces conditions il n’est pas étonnant de trouver, dans les cahiers de doléances, la réforme des Etats provinciaux, l’égalité devant l’impôt, la suppression des abus du régime seigneurial
Les assemblées de paroisse, pour rédiger leur cahier de doléances, se réunirent entre le 29 mars et le 6 avril 1789 dans la sénéchaussée de Ploërmel. En général, ces assemblées se tiennent dans la sacristie ou à la croix du cimetière et c’est très souvent qu’elles ne sont composées que des membres du général de la fabrique. A noter cependant qu’aux Fougerêts, Peillac et Glénac, les membres du général sont convoqués avec « les habitants roturiers de la paroisse. » Très souvent également faisaient partie de ces assemblées les hommes de loi, le clergé (Briend à la Chapelle-Gaceline), les artisans et ouvriers mais surtout les paysans. Par contre, les femmes sont très peu représentées ; l’une d’entre elles signe le procès-verbal du cahier de Peillac. Différents titres furent donnés à ces cahiers, celui de Carentoir fut intitulé : « Cahier de doléances, plaintes et remontrances » et celui de Saint-Nicolas-du-Tertre (alors Saint-Nicolas-sous-Ruffiac) fut appelé « Représentations et Plaintes. » Les habitants de Réminiac refusèrent de rédiger un cahier et déclarèrent adopter entièrement celui de Tréal.
Les assemblées avaient aussi pour mission d’élire des députés dont le rôle était de faire parvenir les cahiers de doléances à Ploërmel et de participer à l’élection des députés de la sénéchaussée aux Etats généraux. C’est ainsi qu’à Glénac, Julien-Alexis Joyaut, fermier général du comté de Rieux, est élu pour « aller faire à Ploërmel » alors qu’à Tréal, tous les députés élus sont des laboureurs qui « sont reconnaissants envers le roi d’entendre tous ses sujets sans distinction de rang et de fortune » et ils demandent à être admis, à l’avenir, à se faire représenter à toute assemblée nationale et que « nos représentants soient, au moins, en nombre égal à celui des ordres privilégiés. » Les paysans de Tréal, comme ceux de la Chapelle-Gaceline et des Fougerêts, souhaitent qu’aux Etats généraux, les voix soient comptées par tête pour la répartition des impôts et « toutes autres affaires qui seront proposées pour la réforme des abus, la prospérité générale du royaume et le bien des sujets. » Les plaintes, remontrances et griefs des électeurs se rapportèrent aussi bien au gouvernement du royaume (les finances, la justice, le clergé) qu’aux charges royales et seigneuriales (la corvée, les fouages, les devoirs) sans oublier l’assistance publique (la mendicité, les secours aux malades.)
Toutes ces doléances allaient donner lieu à la rédaction d’un cahier général du tiers-état de la sénéchaussée de Ploërmel par quinze commissaires élus pour faire ce travail dont un Duval de Renac. Ce cahier comprend 88 articles dont le dernier émet un vœu : « que les comptes à rendre… soient désormais publiés par la voie de l’impression pour l’instruction des villes et spécialement des campagnes. »
Résumé du Cahier de Doléances de la Commune de Glénac
Aujourd’hui cinquième avril mil sept cent quatre vingt neuf l’assemblée convoquée au son de la cloche en la manière accoutumée ont comparu au lieu ordinaire des délibérations de la paroisse de Glénac évêché de Vannes par devant nous:
Pierre Marie Cyprien de la Vallière avocat sénéchal et seul juge du Marquisat de Sourdéac, noble homme Julien Alexis Joyaut fermier général du comté de Rieux, noble homme Joseph Poitou,Léon Guillet , Pierre Chevalier, Jean Danet ,Joseph Morice, Mathurin Marchand, Léonard Royer, Yves Morice, René Gombaud, Guillaume Busson, Mathurin Cancouet, Joseph Méaude , autre Pierre Chevalier, Jean Glouche, Mathurin Boudard, François Lainé, René Guillemain , René Picard, Guillaume Gautier, Pierre Chesnais, Joseph Pistiaud, Mathurin Pilgean, Pierre Pilgean, Joseph Gautier, François Marchand, Pierre Boudard, René Pecé, François Méaude, Julien Boudard, Michel Lainé, Jean Méaude, Joseph Ettoré, Pierre Pèlerin, Joseph Pilgent ,Guillaume Chevalier , François Etoré, Jean Gautier, Pierre Gautier, Julien Jagu, Jean Thomas, Pierre Jagu, Michel Macé, Jacques Marchand, Pierre Marot, autre Jacques Marchand, Julien Colin, Mathurin Denys, tous nés François âgés de vingt cinq ans ,habitants et compris dans les rôles des impositions de celle paroisse composés d’environ deux cents feux, lesquels pour obéir aux ordres de sa majesté portés par ses lettres donnée à Versailles le 24 Janvier 1789 , pour la convocation et tenue des états généraux de ce royaume et satisfaire aux dispositions du règlement y annexé ainsi qu’à l’ordonnance de Monsieur le Sénéchal de Ploërmel du 23 mars dernier dont ils ont déclaré avoir une parfaite connaissance tant par la lecture qui vient de leur en être faite ,que par la lecture et publication cy devant faite au prône de la messe de la paroisse par Mr le Recteur d’y celle le dimanche 29 mars dernier et par la lecture ,publication et affiche pareillement faite le même jour à l’issue de la dite messe de paroisse au devant de la porte principale de l’église ,nous ont déclaré qu’ils allaient d’abord s’occuper de la rédaction de leur cahier de doléances, plaintes, et remontrances et, en effet, y ayant vacqué, ils nous ont représenté le dit cahier qui a été signé par ceux des dits habitants qui savent signer et par nous après l’avoir cotté par première et dernière pages et paraphé en variatur au bas d’y celle.
Et les dits habitants après avoir murement délibérés sur le choix des députés qu’ils sont tenus de nommer en conformité des dites lettres du Roi et règlement y annexé les voix ayant été par nous recueillis à la manière accoutumée . L’unanimité des suffrages s’étant réunie en faveur des sieurs Joyaut fermier général du Comté de Rieux et Pierre Chevalier syndic de la paroisse, demeurant au village de la Pichardais qui ont accepté ladite commission et promis de s’en acquitter fidèlement.
Ladite nomination des députés ainsi faite , lesdits habitants ont en notre présence remis aux dits sieurs Pierre Joyaut et Pierre Chevalier ,leurs députés le sus dit cahier afin de le porter à l’assemblée qui se tiendra à Ploërmel le 7 de ce mois devant Monsieur le Sénéchal de Ploërmel et leur ont donné tout pouvoir requis et nécessaires à l’effet de les représenter à la dite assemblée pour toutes les opérations présentées par l’ordonnance sus dite de Monsieur le Sénéchal , comme aussi donner pouvoir généraux et suffisants, de proposer ,aviser et consentir tout ce qui concerne les besoins de l’Etat, la réforme des abus et l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration ,la prospérité générale du royaume et le bien de tous ,de chacun des foyers de Sa Majesté .
Et de leur part lesdits députés se sont présentement chargés du cahier des doléances de ladite paroisse, ont promis de la porter à ladite assemblée et de conformer à tout ce qui est prescrit, ordonné par lesdites lettres du Roi ,règlement y annexé et ordonnance susdatée .Desquelles nominations de députés, remise de cahier, pouvoir et déclaration nous avons à tous les susdits comparus donné acte et avons signé avec ceux des dits habitants qui savent signer et avec les dits députés , notre présent procès verbal ,ainsi que le duplicata que nous avons présentement remis aux dits députés pour constater leur pouvoir et le présent sera déposé aux archives de cette paroisse , ledit jour cinq avril mil sept cent quatre vingt neuf.
Cahier des demandes faites aux états généraux par les habitants roturiers de la paroisse de Glénac
1) Que la liberté individuelle soit garantie à tous les Français,
2) Que le respect le plus absolu, pour toute lettre confiée à la poste, soit ordonné,
3) Que le retour périodique des états généraux soit fixé par une loi précise et que les impôts ne soient consentis que d’une année à l’autre,
4) Que dans les états généraux, on opinera par tête et non par ordre,
5) Que les impôts ne seront accordés qu’après que les états généraux auront reconnu l’étendue de la dette nationale et qu’après avoir vérifié et réglé les dettes de l’état,
6) Que la dette nationale sera consolidée dans l’état où elle se trouve aujourd’hui et qu’à l’avenir tout emprunt publié qui ne serait pas fait ou autorisé par la nation, soit nul,
7) Que les impôts consentis par les états généraux seront généralement et légalement répartis sur les citoyens de tous les ordres, à effet de quoi tous les droits distinctifs à chaque ordre seront supprimés, notamment les droits de franc fief,
8) Que nul impôt ne sera perçu en Bretagne, qu’après qu’il aura été délibéré, consenty et librement accordé par les états généraux de cette province,
9) Qu’il sera rédigé un nouveau tarif des droits de contrôle et d’insinuation dans lequel il n’y aurait rien d’arbitraire,
10) Qu’il sera fait un fond suffisant pour l’abolition de la corvée sur les grandes routes et pour l’achat des miliciens, lequel fond sera levé par une contribution égale et proportionnelle sur tous les ordres et sur toutes les personnes habitant les villes ou la campagne sans distinction,
11) Que toutes exemptions d’impôts, de corvées, de logement de gens de guerre, de milice et de patrouille seront supprimés,
12) Que les coutumes seront réformées, notamment celles de Bretagne et les usements locaux supprimés autant qu’il sera possible,
13) Qu’il sera fait un nouveau code criminel et accordé un conseil aux accusés,
14) Que les peines corporelles ou infamantes énoncées par la loi contre les criminels, seront les mêmes pour tous les citoyens ecclésiastiques, nobles, ou roturiers et prononcées en dernier ressort dans chaque province par un seul et même tribunal,
15) Que les juridictions seigneuriales ressortissantes à d’autres juridictions seigneuriales seront entièrement supprimées,
16) Que les affaires civiles et criminelles il n’y aura que deux degrés de juridiction,
17) Que les juges royaux jugeront en dernier ressort les affaires dont le principal n’excédera pas 500f et les juges présidiaux, celle dont le principal n’excédera pas 3000f ,
18) Que les juridictions des eaux et forêts seront supprimées et raccordées aux juridictions ordinaires,
19) Que la police des villes sera attribuée aux officiers municipaux des dîtes villes,
20) Que tout droit de propriété soit inviolable et que nul ne puisse en être privé, même à raison d’intérêt public, qu’il en soit dédommagé au plus haut prix et sans délai,
21) Que les roturiers soient déclarés aptes à posséder toutes espèces de places dans l’église, dans les cours souveraines et dans les armées de terre et de mer,
22) Relativement aux cours souveraines, qu’elles seront composées des trois ordres, dont la moitié sera formée de roturiers ou gens des tiers états,
23) Que la noblesse par charge sera supprimée dans tout le royaume,
24) Que les abbayes seront mises en économat au fur et à mesure qu’elles viendront à vaguer et que les revenus des dîtes abbayes seront employés annuellement à payer les dettes du clergé,
25) Arrêté que Sa Majesté sera instamment suppliée de supprimer les pensions excessives qu’elle a dû accorder et de n’en donner à l’avenir qu’aux personnes qui n’auront pas le moyen de subsister ,sans pension, relativement à leurs qualités et aux services réels et non supposés rendu à l’état,
26) Arrêté que les députés de la Sénéchaussée de Ploërmel, aux Etats généraux, se réuniront aux clergés de l’Evêché de Vannes, pour demander la suppression du droit d’anate que les chanoines de l’église de la Cathédrale de Vannes sont en mesure de prélever sur les curés du même évêché,
27) Arrêté que Sa Majesté sera supplié de supprimer une infinité de gouvernement et de places militaires qui ne sont d’aucune utilité dans l’état,
28) Demande que les droits de chevauchées, de soules, de quintaine et autres de pareil nature que se sont arrogés quelques seigneurs en Bretagne soient supprimés,
29) Qu’il soit permis aux habitants des villes et des campagnes d’avoir des meules à bras pour moudre les grains ,sans payer aucune redevance le touchant aux seigneurs du fief,
30) Que le droit de guet et de garde supprimé dans tout le royaume, ne pourra être évalué, n’y exigé en argent, par aucun seigneur,
31) Que les vassaux seront déchargés de l’obligation de voiturer les matériaux employés à faire les réparations de moulins, nonobstant tous arrêts contraires,
32) Qu’il ne sera payé à l’avenir aucun droit de lods et vente sur les échanges en Bretagne, attendu que ce droit de lods et ventes sur les échanges fût aboli en 1700,
33) Qu’il sera fait une loi fixe et générale et invariable sur la propriété et l’usage des terres vaines et vagues appelées Communs, situés dans la province de Bretagne.
Toutes les demandes ci-dessus ont été arrêtées dans l’assemblée générale des habitants roturiers de la paroisse de Glénac, sous les seings de ceux qui les savent faire.
Ce jour cinquième avril mil sept cent quatre-vingt-neuf.
Signature=Morin –
Marchand Mathurin
Méaude Joseph-
Chevalier B-
Royer Léonard-
Boudard Mathurin
Busson
Morice
Joyau
Elle commença dès la fin de 1789 en direction de la petite noblesse. En janvier 1790, lorsque les paysans de Sixt-sur-Aff, de Saint-Just, de Bruc-sur-Aff et de Pipriac décident d’attaquer le château de la Touche en Renac appartenant à M. de Trelo, ils commencent par piller et mettre à sac la maison de son notaire, M. Poligné à La Gacilly ; l’aubergiste du même nom qui tient alors l’hôtel des Voyageurs toujours à La Gacilly est de sa famille. Ils se rendent au château de Renac et y mettent le feu. Une des filles du seigneur avait obtenu la garde d’un morceau de la Vraie-Croix destiné à la paroisse de Saint-Just ; elle l’avait déposé dans sa chambre or, lors de l’incendie du château, cette chambre ne fut pas endommagée par les flammes, c’est la seule pièce qui fut épargnée.
Quelques jours plus tard, à lieu l’incendie de la Forêt-Neuve à Glénac, incendie des titres s’entend. Le château en fort mauvais état et inhabité sert, de temps en temps et pour peu de jours, de rendez-vous de chasse à ses propriétaires, les de Rieux ; ceux-ci y avaient entassé toutes les archives provenant de leur ancienne terre patronymique qui, jointes aux titres de la Forêt-Neuve même et à ceux des nombreux autres biens qu’ils possédaient dans le pays, formaient un chartrier important. D’où venaient les incendiaires ? Certains disent de La Gacilly, d’autres disent « de Redon par Sixt-sur-Aff ». En tout cas, ils sont sous la conduite du citoyen maréchal-ferrant Danart de La Gacilly.
Disparition des Archives à la Forêt-Neuve.
|
Château de la Forêt-Neuve |
Voir article : seigneurie de la Forêt-Neuve
1791- Refus de Régler les dixmes du seigle et de l'avoine : affaire Joyau
L'an mil sept cent quatre vingt onze, le douzième. jour du mois d'août. en la chambre du Conseil de l'auditoire du tribunal près le district de Rochefort, devant nous Gilles-Joseph Le Gal doyen des juges du dit tribunal, département du Morbihan, ayant avec nous pour adjoint François-Bertrand Maury greffier du dit tribunal, s'est présenté .Jean Moisan huissier de cc tribunal, demeurant au bourg paroissial de Peillac lequel nous a représenté un procès-verbal par lui rapporté contre différents particuliers le jour d'hier, enregistré au bureau de cette ville ce jour, sur lequel il nous a prié de le répéter pour en faire valoir la teneur en justice
Pourquoi le dit procès-verbal est inscrit comme suit
Je soussigné Jean Moisan huissier du tribunal près le district de Rochefort demeurant en la ville paroissiale de Peillac certifie qu'ayant été chargé par le sieur Julien-Alexis. Joyaux demeurant à la Forêt-Neuve, paroisse de Glénac, faisant la régie des terres de Rieux pour Louis-François de Rieux. maréchal de camp, d'assigner au bureau de conciliation de la ville de Rochefort, .Joseph Neveux ; la veuve de Léon Michel ;Perrine Danet veuve Léon Gouet demeurant au bourg de Glénac ; Guy Hélogon demeurant à la métairie du Creux-Chemin Joseph Pilgent demeurant à la Sante ; Jean Méaude demeurant à la Guehais ; la veuve Michel Macé et Pierre Thomas demeurant au Haut Sourdéac ;Pierre Jagut demeurant aux Clotures ; Mathurin Boudart et Joseph Morin demeurant à Saint-Don ; Jacques Morin demeurant à Roussimel ; Pierre Méaude demeurant au même lieu ; Nicolas Michel demeurant au Berlan et Guillaume Gautier demeurant à Roussimel, tous paroisse de Glénac ,pour se concilier,,s’il est: possible, sur les dixmes de Sourdéac et de la Boutveillet qu'ils étaient dans l'usage de donner pour cette présente année ; qu'ils ont refusé celles des seigles et des avoines.
Étant à remplir une commission au bourg de Glénac environ les neuf heures du matin de ce jour onze aout 1791, ayant signifié et délivré les copies de Nicolas Michel du Berlan, de Jean Méaude de la Guehaie, de Joseph Pilgent, de Guy Héligon et de Perrine Danet, le nommé Michel boulanger du bourg de Glénac est intervenu et s'étant écrié avec colère « Que fait donc ce bougre-là ? » << Que cherche-t-il à nous signifier pour les dixmes ? » , en même temps, ayant ramassé plusieurs grosses pierre il me les a lancées. J'ai pris la fuite et j'ai été atteint de deux forts coups de pierres, l'un au milieu du dos, l'autre dans la jambe gauche tandis que je fuyais. Joseph Le Gouer. fils de la veuve Danet et le nommé Michel, frère du boulanger, armés de bâtons. m'ayant saisi au collet, le dit Michel m'a donné un fort coup de bâton sur le dos ; tous deux m'ont traîné vers le Mortier de Glénac où ils m'ont menacé de me noyer, m'ont arraché mon porte-feuilles et déchiré non seulement l'original de citation mais même toutes les copies non délivrées ; ensuite, m'ayant traîné clans un cabaret vis à vis de l'église du dit bourg de Glénac, le dit Michel a envoyé sonner le tocsin au son de la cloche . Monsieur le Recteur est intervenu et, avec bien de la peine, est venu à bout de me tirer de leurs mains voulant me conduire disaient-ils- au château de la Forêt-Neuve et m,y brûler avec le sieur Joyaux ; que le même Michel me dit que si je fus allé porter une Thomas qu'il m'aurait tranché la tête ; ce qui m'a forcé de me retirer chez moi ou je suis arrivé environ les six heures du soir. J'ai rapporté le présent procès-verbal lequel j'affirme véritable, offrant de le répéter en justice sous mon seing privé les dits jour et an.
Signé au dit procès-verbal de nous huissier Moisan.
Enregistré à Rochefort le 12 août 1791 par Billot.
Duquel procès-verbal ci-devant inscrit après lecture donnée par notre adjoint au dit Moisan, il nous a déclaré qu'il contient vérité, ni vouloir augmenter ni diminuer et de la présente répétition susdite nous lui avons décerné acte pour valoir et servir ce qu'il appartiendra et a, le dit Moisan, signé sur la minute. Moisan..
Fait et arrêté les dits jour et an que devant. Ainsi signé Le Gal, Maury greffier
Création du Canton de La Gacilly.
Si les lettres patentes du roi du 4 mars 1790 avaient créé les départements, les districts et les communes, elles créèrent aussi les cantons.
Le Morbihan est alors divisé en 69 cantons administratifs et judiciaires, c’est-à-dire que chaque canton est doté d’une justice de paix. Le district de la Roche-des-Trois en compte six dont La Gacilly et Carentoir. Le canton de La Gacilly comprend les communes de Cournon, Les Fougerêts, Glénac et Saint-Martin-sur-Oust ; celui de Carentoir ne comprenant que Tréal, le Temple et la Chapelle-Gaceline. Ceci sera la source, entre autres, de nombreux litiges entre La Gacilly et Carentoir qui dureront jusqu’en 1837 au moins.
Il faut savoir que le juge de paix est investi de fonctions très importantes, non seulement il est chargé de régler les différends ou litiges entre les citoyens, mais il est également officier de justice, c’est à dire chargé de la poursuite des crimes et des délits, du maintien de la tranquillité publique, de la suppression des détentions arbitraires, des constatations de décès ainsi que de la pose des scellés qui suivent ces décès. Etant donné l’importance des fonctions de ces juges de paix, leur élection, réclamée par de nombreux cahiers de doléances, fut très réglementée et prise très au sérieux. Le dimanche précédant l’élection, dans les cinq églises paroissiales du canton, aux prônes des messes, est annoncée, à tous les citoyens actifs, l’élection du juge de paix du canton de La Gacilly pour le dimanche suivant. Ce jour-là, après l’office divin et au son des cloches, les citoyens actifs se présentent à l’église paroissiale du canton. Le plus ancien électeur présent est nommé président temporaire de l’assemblée d’élection ; ensuite les trois électeurs les plus âgés, présents et sachant lire et écrire deviennent assesseurs ; enfin ,un secrétaire est nommé par acclamation. Ce bureau provisoire passe à l’élection d’un bureau définitif qui peut élire alors valablement le nouveau juge de paix. Mais un incident va survenir, en effet les représentants de Saint-Martin-sur-Oust se retirent prétextant qu’il est tard et qu’une longue route leur reste à faire. En fait , un des notables de cette commune désire que Saint-Martin-sur-Oust devienne chef-lieu de canton avec Saint-Laurent, Saint-Congard et Saint-Gravé. Le président de séance remet l’élection du juge de paix au lendemain à 10 h du matin. Pour ce nouveau rendez-vous, un seul habitant de Saint-Martin-sur-Oust est présent et l’élection peut donc valablement avoir lieu. Joseph-Marie Séguin, notaire à La Gacilly et membre du Directoire du district de Roche-des-Trois, est élu juge de paix pour le canton de La Gacilly avec 104 suffrages sur 106 exprimés au début du mois de décembre 1790. A Carentoir, c’est Jean-Marie Leblanc qui est élu avec 63 voix sur 117 votants. Nommé député du tiers état à l’assemblée de la sénéchaussée de Ploërmel le 7 avril 1789 sous le nom de Leblanc de L’Herminais, il est également ancien procureur fiscal de La Gacilly, homme de loi et notaire, son étude étant d’ailleurs à La Gacilly, elle sera pillée par les chouans en 1793 parce qu’il était devenu juge du tribunal du district de Rochefort en 1792. Louis-Joseph Le Roy lui succèdera, comme juge de paix du canton de Carentoir le 2 décembre 1792, tandis que Joseph-Marie Séguin sera réélu à La Gacilly. Le lendemain de l’élection de Joseph-Marie Seguin, les officiers municipaux de Saint-Martin-sur-Oust et des trois autres communes concernées adressent une supplique au Directoire du district de Rochefort demandant que Saint-Martin-sur-Oust soit chef-lieu de canton, dénonçant une manœuvre électorale de la part des « messieurs de La Gacilly » qui, au lieu d’inscrire sur le bulletin de vote « les noms de ceux qui lui disaient » inscrivaient les leurs, un certain nombre d’électeurs étant illettrés.
Une enquête est ouverte sur les communes du canton et les administrateurs du district recueillent quelques témoignages. Dans le rapport d’une délibération de la municipalité de Cournon du 26 décembre 1790, il est mentionné que « les réclamations de quelques habitants de Saint-Martin sont de véritables tracasseries ». A Glénac, un rapport identique déclare que Pierre Chevalier, président de la municipalité,
« après avoir évoqué les faits et dénoncé la manœuvre du dénommé Mathurin de Saint-Martin qui avait entrepris de faire nommer pour juge de paix dans cette commune son protégé Bellavoir qui devait en retour le nommer son greffier ». Et le maire de Glénac continue « le sieur Seguin, nommé juge de paix du canton de La Gacilly, a toutes les qualités requises et nécessaires pour occuper cette place avec distinction, de la probité, des mœurs et des connaissances ; que Bellavoir, au contraire, n’a aucune espèce de connaissance des affaires, qu’il n’a pas l’intelligence nécessaire, qu’il sait à peine signer son nom et que si Mathurin était parvenu, par ses intrigues, à le faire nommer juge de paix, les habitants de Cournon auraient été bientôt forcés de solliciter sa révocation attendu son incapacité notoire et son peu d’aptitude aux affaires ». René Danilo, le maire des Fougerêts, confirme que les opérations électorales se sont déroulées régulièrement.
Le nommé Mathurin de Saint-Martin-sur-Oust paraît être très connu, il est cité à plusieurs reprises en cette affaire mais son nom patronymique n’apparaît jamais. Enfin le 30 décembre 1790, le Directoire de district rend son verdict : « En l’assemblée du Directoire où étaient M.M. Duperron, vice-président, Bosson, Corvoisier, Le Roy, administrateurs-directeurs et Le Cadre, administrateur adjoint. M. le procureur-syndic présent. Vu la requête présentée au département au nom des officiers municipaux et notables des paroisses de Saint-Martin, Saint-Gravé, Saint-Congard et Saint-Laurent, signée de quelques individus des seules paroisses de Saint-Martin et Saint-Gravé, les délibérations des municipalités de Glénac et de Cournon du 26 et le certificat de René Danilo, maire de la paroisse des Fougerêts du 28. Le Directoire considérant :
F que la nomination du juge de paix du canton de La Gacilly paraît avoir été faite très légalement.
F que la réclamation contre n’a lieu, suivant toute apparence, qu’à la sollicitation du sieur Mathurin qui, se voyant déchu d’un office qu’il désirait, a fait le possible pour faire annuler les opérations de l’assemblée qui peut-être a eu des raisons pour en préférer un autre.
F que le refus des citoyens des paroisses de Saint-Congard et Saint-Laurent de signer cette requête annonce leur approbation de la réformation devant nous et l’avantage qu’ils y trouvent.
F que cette requête n’a été signée par les habitants de Saint-Gravé et de Saint-Martin que parce que le sieur Mathurin qui l’a rédigée et la leur a expliquée, fait entendre aux uns que Saint-Gravé resterait chef-lieu de canton et aux autres que Saint-Martin le deviendrait.
Le Directoire ouï le procureur-syndic, trouvant la nomination du juge de paix de La Gacilly légalement faite, est d’avis qu’elle soit confirmée et que la requête signée de quelques habitants de Saint-Martin et de Saint-Gravé soit rejetée ».
La loi du 8 pluviôse an IX et un arrêté des consuls de la République du 3 brumaire an X (25 octobre 1801) ramène le nombre des justices de paix du Morbihan de 69 à 37 et celle de La Gacilly est supprimée. Carentoir garde la sienne et reste le chef-lieu du canton pour les communes de Carentoir, Cournon, Les Fougerêts, La Gacilly, Glénac, Saint-Martin-sur-Oust et Tréal. La réélection d’un nouveau et unique juge de paix devient indispensable. Joseph-Marie Séguin est réélu avec 1349 voix sur 2457 suffrages exprimés ; son concurrent carentorien Hoëo-Lavallière totalise 1102 voix, il devient premier suppléant et Saulnier de La Gacilly, le second. Joseph-Marie Séguin installe la justice de paix à Carentoir mais continue d’habiter à La Gacilly où les justiciables des communes proches sont même entendus.
La municipalité et les Gaciliens sont très déçus d’avoir perdu le titre de chef-lieu ; à partir de ce moment, ils n’auront qu’une idée en tête : récupérer ce titre et réparer ce qu’ils considèrent comme une injustice. Jean Cheval, nommé par le Directoire de Roche-des-Trois président de l’administration municipale Gacilienne, c’est à dire le maire, en 1793, commence une campagne de récupération en se faisant appuyer par Cournon, Glénac et même Redon qui, en 1789, était encore dans le diocèse de Vannes ; Saint-Martin-sur-Oust n’ayant plus d’espoir d’être chef-lieu de canton se rallie également à la candidature de La Gacilly. C’est ainsi que le 12 brumaire an XI (3 novembre 1802), ce sont les maires et adjoints des communes de Saint-Martin-sur-Oust, Les Fougerêts, Glénac, Cournon et La Gacilly, à l’instigation de cette dernière, ainsi que le juge de paix du canton de Carentoir, Joseph-Marie Séguin (un Gacilien) qui adressent une pétition au grand juge, ministre de la Justice, pour que La Gacilly devienne à nouveau chef-lieu de canton et siège de la justice de paix qu’elle avait perdu en l’an X au bénéfice de Carentoir. La pétition se présente sous la forme d’un long document dans lequel les pétitionnaires exposent leurs arguments. Dès les premières phrases, ils indiquent que l’intérêt public les pousse à faire connaître au ministre, que le véritable point central du canton, c’est La Gacilly. Ils développent ensuite leurs griefs contre Carentoir, chef-lieu de canton :
v le bourg de Carentoir se trouve à l’extrémité septentrionale de la commune et du canton.
v il ne contient pas plus de trente maisons et n’a aucune distinction des bourgs ordinaires.
v il est sans commerce et sans marché. Depuis la Révolution, les habitants ont cherché à en établir mais ils n’ont pas pu y parvenir, le bourg étant situé à une lieue et demie de Guer et à la même distance de La Gacilly donc trop près de marchés établis depuis longtemps.
v la majeure partie de la population de Carentoir demeure à la porte de La Gacilly.
v la commune de Carentoir est divisée par le « fleuve » le Rahun qui gêne les communications.
v les chemins pour se rendre à ce bourg sont affreux.
v au contraire, La Gacilly dispose de précieux avantages : centre de l’arrondissement, chemins directs et plus beaux, communications faciles avec Redon, la ville la plus voisine où il y a bureau de poste.
Ils développent ensuite l’aspect commercial : six grandes foires annuelles principalement pour les bestiaux. Le samedi de chaque semaine, un des plus forts marchés du département, fréquenté même par des personnes éloignées de La Gacilly. De très grandes halles où on trouve étoffes, clincailleries, toiles, grains et autres denrées.
Une précision : au-dessus des halles se trouvent deux chambres d’audience (sous entendu, qui seraient utiles pour le juge de paix). Enfin une rivière navigable pour les bateaux de Redon et de La Gacilly, avantage que Carentoir ne peut offrir. Le rapport traite ensuite un peu d’histoire pour rappeler qu’avant la Révolution, La Gacilly était le chef-lieu d’une juridiction très importante, le marquisat de la Bourdonnaye ; on y trouvait un bureau des devoirs, une brigade d’employés au tabac. Elle possède, depuis plus de deux siècles, un bureau d’enregistrement et deux études notariales y sont installées ; il ne s’en trouve aucune à Carentoir. La municipalité énumère encore quelques activités et prétend que, lors de l’institution de la première justice de paix, La Gacilly fut établie chef-lieu de canton des communes de Carentoir et de Tréal (ce qui est manifestement faux, car on a vu que fin 1790, Jean-Marie Leblanc pour Carentoir et Joseph-Marie Séguin pour La Gacilly avaient été élus juges de paix de leur canton). « Par quelle fatalité… s ‘exclament les rédacteurs de la pétition est-il donc arrivé que le chef-lieu de canton ait été fixé au bourg de Carentoir ? » Et de produire à l’appui de leur demande des attestations des maires de Redon, Malestroit et Guer, de Simon,
maire de Tréal et, ce qui est plus curieux, du maire et de l’adjoint de la commune de Carentoir : « De brumaire an XI. Nous soussignés maire et adjoint de la commune de Carentoir certifions à qui il appartiendra que la ville de La Gacilly, commune du même nom actuellement jointe au canton de Carentoir (ligne ajoutée : que La Gacilly était chef-lieu de canton), qu’il existe depuis un temps immémorial un bureau d’enregistrement, est le lieu le plus commode et le plus central du canton actuel pour y laisser exister le bureau de l’enregistrement. Qu’il n’y a même pas dans les autres bourgs de cet arrondissement de logement commode pour se placer ; qu’au contraire La Gacilly étant le point le plus central, est à la portée de tous les administrés qui ont tous les jours les moyens de s’y trouver à cause du grand commerce qui s’y fait. De fortes foires, le marché qui s’y tient chaque année (sic), de la commodité d’une rivière qui se rend à Redon, et sur laquelle le batelage se fait avec la plus grande commodité pendant les deux tiers de l’année. Que dans cette ville il y existe une très vaste halle, une forte maison d’arrêt, que l’on y aborde par des chemins très commodes de toute part, qu’il est juste et nécessaire pour l’intérêt des habitants du canton que le bureau de l’enregistrement y reste fixé, que même la majeure partie de la population de la commune de Carentoir en est à proximité, puisque la majeure partie ne s’en trouve éloignée que d’environ un quart de lieue, une demie et trois quarts de lieue au plus, qu’il serait également intéressant pour le bien des habitants du canton actuel que les autorités civiles et judiciaires fussent fixées à La Gacilly se trouvant situées absolument au milieu de l’arrondissement et vu les autre avantages qu’elle offre au public. En foi de quoi nous avons délivré le présent, à Carentoir ce six brumaire an onze de la République. Bon approuvé que La Gacilly soit chef-lieu de canton. » Cette attestation, écrite quelques jours avant la pétition, présente les mêmes arguments que celle-ci en faveur de La Gacilly.
Si les habitants de Tréal restent favorables à Carentoir pour une raison de proximité, l’un des maires, Joseph Ollivier, un républicain convaincu et admirateur des opinions politiques et des idées avancées Gaciliennes, aidé de plusieurs de ses conseillers, soutiendra La Gacilly pour qu’elle redevienne chef-lieu de canton. En 1832, le préfet, sous couvert de neutralité, demande avis aux communes du canton sur le choix du chef-lieu. Voici le rapport de la séance du conseil municipal de Tréal du 5 novembre 1832. « Monsieur le président (de l’administration municipale) a donné lecture d’une lettre de Monsieur le Préfet du Morbihan en date du 2 octobre par laquelle Messieurs les conseillers municipaux sont invités à donner leur avis sur l’utilité de la translation du chef-lieu de canton à La Gacilly. Considérant que Carentoir est sans commerce et peu fréquenté, que la lutte actuelle entre son bourg et La Gacilly est une lutte d’opinion politique autant que d’intérêt national, débat qui intéresse vivement toutes les communes du canton Déclare s’unir aux partisans du trône de juillet et demande que le chef-lieu de canton soit transféré à La Gacilly, lieu où il est généralement désiré et où il sera évidemment plus utile au public. Fait en mairie de Tréal, les jours et mois et an que dessus. Les sieurs Ollivier, maire, Beaujouan, adjoint, Lanoë ont signé la présente délibération. Les sieurs Michel Borgat, Dando, Maro ayant déclaré ne savoir et ne pouvoir le faire. Les deux autres membres présents ont refusé d’adhérer et se sont rétractés subitement quoiqu’ils eussent spontanément donné leur consentement dans les réunions préparatoires ainsi que les quatre autres membres ayant fait défaut bien qu’impérativement prévenus. Résultat plus que probable des instigations ou menaces des carlistes (partisans de Charles X). Signé Ollivier, Beaujouan, Lanoë ». Une majorité de trois membres sur onze conseillers. Tout ceci est un peu tiré par les cheveux, il aurait été intéressant d’avoir la réaction du préfet et de savoir si un tel rapport a été profitable à La Gacilly. Si tout le monde est d’accord y compris la municipalité de Carentoir, il n’y a plus de difficultés et le gouvernement devrait se rendre aux vœux des autorités et de la population unanimes ; d’autant plus que ce n’est pas la première tentative de La Gacilly, le 4 brumaire an X, un an avant l’actuelle pétition, le préfet du Morbihan avait adressé un premier dossier de demande de transfert de la justice de paix aux conseillers d’Etat Berlier et Regnault de Saint-Jean-d’Angély et l’avait assorti d’un avis favorable. Pour faire bonne mesure, Cheval, le maire de La Gacilly avait dans la même période adressé directement la même requête au ministre « pour la lui remettre sous les yeux ». Mais l’affaire n’est pas terminée et va demander beaucoup de temps.
En 1804, la municipalité de La Gacilly continue d’adresser au préfet les attestations qu’elle peut obtenir en faveur du transfert : celle du contrôleur des contributions directes de La Gacilly, du sous-officier du recrutement du canton de Carentoir lequel estime qu’il conviendrait pour l’intérêt public et la commodité des particuliers de fixer la réunion des conscrits à La Gacilly. Enfin le brigadier de gendarmerie en résidence à Carentoir croit que la vie serait plus aisée et que la gendarmerie serait beaucoup mieux à La Gacilly, pensant que le chef-lieu de canton a été fixé par erreur à Carentoir.
Quatre années se passent, les maires ne sont plus les mêmes, mais l’administration suit ses dossiers. Le 22 juin 1808, le préfet écrit au maire de Carentoir, Hoëo, pour l’informer qu’il est obligé de transmettre au gouvernement la demande faite pour que le chef-lieu de la justice de paix soit fixé à La Gacilly au lieu de Carentoir, comme étant le point central. Il sollicite son avis et écrit : « Je pense que, dans votre opinion, vous considérerez plutôt le bien général du canton que l’intérêt d’une seule commune ». Bien sûr, le nouveau maire de Carentoir défend sa commune et n’est pas disposé à accepter la perte du chef-lieu de canton comme son prédécesseur. Il répond au préfet dès le 3 juillet 1808 : « Je vois que l’intrigue s’agite pour me tourmenter » et conteste que La Gacilly ait une position plus centrale que Carentoir dans le canton ; a-t-on pensé à Tréal ? La Gacilly n’est qu’à cent pas de l’Ille-et-Vilaine. Autre argument, la population de Carentoir et Tréal réunis compte 6.506 habitants contre 4.787 pour le reste du canton. La Gacilly, n’ayant pas réussi à devenir chef-lieu de canton lors de leur réunion, veut actuellement « le lever » morceau par morceau ; pour l’instant, c’est la justice de paix, alors que la justice pour les habitants des communes pétitionnaires leur est rendue à La Gacilly en la demeure du juge de paix qui, toutefois, dispose d’un local décent à Carentoir. « On m’a dit, en votre hôtel, écrit-il au préfet, que La Gacilly est une ville alors que Carentoir est un bourg. Si la vanité des habitants de La Gacilly les porte à assimiler leur bourg à Vannes ou même à Paris, il restera toujours vrai que Carentoir est plus beau et plus grand que La Gacilly qui n’en est qu’un démembrement ». Il termine sa lettre en offrant sa démission.
Deux jours après, il adresse au préfet un nouveau courrier dans lequel il reprend les arguments géographiques et statistiques et cette fois n’hésite pas à attaquer son collègue de La Gacilly. « Les intérêts de 6.500 personnes sont bien capables de faire rejeter les prétentions d’un ambitieux novateur qui va mendier l’adhésion de quatre maires insouciants pour contenter son orgueil sans utilité, tout en me faisant bonne mine et faisant semblant de se concerter avec moi pour le bien des administrés. » Il poursuit sa diatribe et propose de se rendre à Vannes pour réfuter les nouveaux arguments que pourraient avancer ses adversaires ; il ne parle plus de démission. Le maire de Tréal appuie son collègue de Carentoir et propose de consulter les habitants de sa commune mais, écrit-il, « je les consulterai inutilement parce qu’ils se trouvent bien de l’administration de Carentoir. »
Il ne sera pas utile d’attendre quatre ans cette fois pour connaître la conclusion temporaire de cette affaire. Par une lettre du 6 août 1808, le préfet informe le maire de La Gacilly qu’il a examiné avec une sérieuse attention la pétition présentée par son prédécesseur le 12 brumaire an XI. Il fait observer que la fixation des cantons de justice de paix ayant lieu en vertu d’une loi organique, il y a peu à espérer qu’on y déroge pour un seul canton, d’autant plus que l’intention du gouvernement est de n’apporter dans ce moment aucun changement dans l’ordre administratif et judiciaire. Il laisse cependant une porte entrouverte en poursuivant : « mais ,il pourrait par la suite s’en occuper… ».
25 ans plus tard, le 8 novembre 1833, la commune de La Gacilly adresse une nouvelle demande d’érection en chef-lieu de canton ou création d’un nouveau canton avec les communes de Cournon, Glénac, Les Fougerêts et peut-être Saint-Martin-sur-Oust. On revenait à la situation qui existait en 1790.
Quoi qu’il en soit, tous les maires de La Gacilly se sont bagarrés pour obtenir gain de cause ; ils ont modernisé la ville (hôtel de ville, école publique, bureau de poste, gendarmerie, perception, sapeurs-pompiers et future église) ; ils se sont créés de nombreux amis et défenseurs comme Ducrest de Villeneuve, Ducordic, Jollivet, Eude, le préfet Lorois lui-même, le député de la circonscription Bernard ; c’est ce dernier qui va réussir à emporter la décision auprès du préfet, mais aussi auprès du roi qui possède alors quelques propriétés dans le pays, en argumentant que La Gacilly se trouve au centre des communes concernées et que le préfet de Vannes préfère La Gacilly parce que c’est une ville plus grande, plus moderne et plus commerçante que Carentoir. Le 20 décembre 1836, la Lande de Sigré, contenant 367 hectares de landes, est vendue par la commune de La Gacilly pour 40.020 francs au domaine privé du roi Louis-Philippe dont l’administration, après les avoir clos de talus, les ensemença et planta des arbres verts (en l’occurrence des pins maritimes) pour les réunir à la terre de Mabio et en faire une forêt dite forêt de La Gacilly. Les 7 et 9 février 1837, le préfet du Morbihan fait adresser, par son cabinet, deux courriers sensiblement identiques. Voici le second :
Le 9 février 1837
Préfecture du Morbihan
1° division
Bureau des Travaux Publics n° 137
Monsieur le Maire,
L’ordonnance qui transfère à La Gacilly le chef-lieu de votre canton, est en effet insérée sous la date du 20 janvier au bulletin des lois n° 479, promulguée à Paris le 1° février. Mais l’ampliation en forme qui doit m’être adressée par Monsieur le Ministre de l’Intérieur ne m’est point parvenue encore. Aussitôt que je la recevrai, je m’empresserai de vous en transmettre une expédition; .Déjà ,Monsieur le Procureur du Roy fait ses dispositions pour que les audiences de la justice de paix se tiennent à l’avenir à La Gacilly .
Depuis la première demande du 4 brumaire an X (26 octobre 1801), plus de 35 années ont donc été nécessaires pour obtenir satisfaction et recevoir l’ordonnance du 20 janvier 1837 signée de Louis-Philippe dont voici le texte :
"Louis-Philippe, Roi des Français, à tous présents et à venir, salut."
Sur le rapport de notre garde des Sceaux, ministre-secrétaire d’Etat au département de la justice et des cultes.
Vu la proposition adressée à notre ministre du commerce et des travaux publics le 20 septembre 1833 par le préfet du Morbihan, à l’effet de faire transférer dans la commune de La Gacilly le chef-lieu de la justice de paix du canton de Carentoir ;
Vu les délibérations des conseils municipaux des sept communes composant ledit canton .
Vu les délibérations par lesquelles le conseil d’arrondissement de Vannes et le conseil général du département du Morbihan appuient la translation demandée.
Vu l’avis de notre procureur général près la cour royale de Vannes également favorable à la translation.;
Vu l’avis du président du tribunal de première instance de Vannes .
Vu la lettre de notre ministre de l’intérieur du 13 décembre 1836 .
Vu toutes les pièces du dossier
Notre conseil d’Etat entendu,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Ü Art. I. Le chef-lieu de la justice de paix du canton de Carentoir, arrondissement de Vannes (Morbihan), sera transféré dans la commune de La Gacilly appartenant au même canton.
Ü Art. 2. Notre garde des Sceaux, ministre secrétaire d’Etat au département de la justice et des cultes, et notre ministre de l’intérieur, sont chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution de la présente ordonnance qui sera insérée au bulletin des lois. Donné au château des Tuileries, le 20 janvier 1837. Signé : Louis-Philippe.
De nombreuses festivités marquèrent le retour du chef-lieu de canton à La Gacilly
La Constitution Civile Du Clergé.
Un décret, voté le 12 juillet 1790 par l’Assemblée Nationale, établit une nouvelle organisation ecclésiastique de la France. Ce décret est ratifié par le roi Louis XVI le 24 août ,mais il est condamné par le pape. Il crée un siège épiscopal dans chaque département et met en place l’élection des évêques et des curés par les citoyens. Il supprime tous les bénéfices du clergé, même le casuel et l’Etat prend à sa charge les frais du culte et un traitement accordé à chaque ecclésiastique proportionnellement à la population concernée.
Une grande partie du clergé refuse cette nouvelle organisation ce qui va provoquer une scission parmi les prêtres : d’un côté les prêtres constitutionnels ou assermentés, surnommés aussi les « intrus » et les prêtres réfractaires ou insermentés, ces derniers étant de loin les plus nombreux. Le 27 novembre 1790, la Constituante est amenée à exiger une prestation de serment par les ecclésiastiques. Quelques mois plus tard, les prêtres assermentés sont mis par le pouvoir temporel en possession des édifices religieux ; les seconds entrent alors dans la clandestinité tout en continuant à exercer leur ministère, mais en cachette. Au début de 1791, les sanctions commencent à pleuvoir sur les prêtres indociles, timidement d’abord , mais très vite la chasse aux prêtres réfractaires va s’intensifier. Beaucoup, alors, vont chercher, à contrecœur, à s’expatrier, en particulier vers l’Espagne.
138 prêtres du
Morbihan et 43 religieux vont alors constituer, autour de l’évêque assermenté
Charles Le Masle, l’église constitutionnelle assermentée. Glénac relevait jadis
de la seigneurie et du territoire de Rieux et de la sénéchaussée de Ploërmel.
En 1790, il fut séparé de Cournon et érigé en commune du canton de la Gacilly et
du district de Rochefort. Son recteur,[4]
Pierre Fleury, de Lantillac refusa de prêter serment à la Constitution Civile du
Clergé en 1791, il fut arrêté auprès des Fougerêts et envoyé à Vannes au
Petit-couvent, puis à la Retraite des Femmes où il mourut le 21 janvier 1795, à
63 ans.
Joseph-Pierre
ROBERT.
Vicaire [5]de Cournon (ou de Glénac) dans le diocèse de Vannes, il est né au village de la Croix en Cournon, il refusa le serment schismatique de 1791. Il resta dans ce pays et s’y vit arrêté en septembre 1792. Au commencement de l’année suivante, le 26 mars, il est envoyé à Rochefort sur le Patriote, pour y subir la peine mortelle d’une déportation maritime. On l’embarqua sur le navire des Deux Associés et, après avoir supporté quelques mois les maux de la déportation, il succomba. Sa mort arriva le 2 septembre 1794. Il avait alors 48 ans : on l’enterra dans l’île d’Aix (V.J.Ripoud, et A. Rodier)
Afin d’éviter la guillotine, la prison ou la déportation, les prêtres insermentés se « terrent ». Nous [6]apprenons, par la correspondance du district de Rochefort dans le Morbihan, que des prêtres se réunissent chez les demoiselles La Landelle à Saint-Vincent, à Glénac dans la maison de la Chouannière, à la Houssais, en Saint–Martin.
En mars 1792, parvient l’ordre d’enlever aux églises tous les ornements et objets de valeur : vases, croix de procession. En 1793, la Convention ordonne même que les cloches des églises soient saisies pour être envoyées à la fonte pour en faire des canons et aussi des pièces de monnaie. Cette mesure ne sera appliquée à La Gacilly que le 13 mars 1794 par les citoyens Grinsart alors maire et Jean Hersart, conseiller municipal. Toute l’argenterie existante fut envoyée à l’administration du district de Rochefort. Les fidèles les plus sûrs se rassemblent et s’organisent afin d’éviter ces saisies et de mettre à l’abri les objets convoités.
C’est ainsi que les cloches de Cournon sont cachées sous deux mètres d’eau dans l’ancien lit de l’Aff ; celles de Glénac sont immergées dans les marais et celles des Fougerêts dans l’étang du Groutel[7]. Les vases sacrés sont remis à des mains sûres : à Sorel de la Juberde en Cournon et Jean-Louis Boudard à Glénac, aux habitants du village des Boissières aux Fougerêts.
Un nouveau coup dur attend le clergé réfractaire avec la loi du 27 mai 1792 qui stipule la déportation des prêtres insermentés à Rochefort, à Saint-Martin-de-Ré et même en Guyane. Le 28 juin, des arrestations massives de prêtres réfractaires sont opérées ; les dénonciations se multiplient et les mêmes dénonciateurs se retrouvent : Le Gall et Séguin de La Gacilly, (ce dernier devait pourtant être sauvé, plus tard, par le chouan Jouvance ), Bloyet, Jolivet, Le Blanc de Carentoir.
Pendant les troubles, on vendit, comme biens nationaux, un pré appartenant à la cure, une [8]chapelle, une maison et ses dépendances appartenant à la fabrique.
|
La suppression des pouvoirs du roi et la création des comités de surveillance en 1790, l’adoption de la Constitution Civile du Clergé et l’arrestation du roi à Varennes en 1791, l’abolition de la royauté en 1792 et la conscription forcée des jeunes en 1793, tous ces évènements majeurs provoquent une émotion considérable parmi la noblesse, mais aussi parmi les paysans plutôt royalistes qui condamnent même les exactions commises dans les châteaux par quelques aventuriers et révolutionnaires de dernière heure.
Mais c’est en mars 1792 que commence vraiment la chouannerie lorsque la Constituante donne l’ordre d’enlever des églises tous les objets et ornements sacrés de valeur ; de plus, de nombreuses réquisitions affectent surtout les paysans qui sont tenus de fournir des bêtes et des denrées pour le ravitaillement des troupes. Ces mesures vexatoires et inopportunes exaspèrent la population des campagnes et amènent à la rébellion contre la nouvelle république en laquelle elle avait fondé de grands espoirs. Une partie de la noblesse, les paysans, le clergé et les petites gens comprennent qu’ils ont été bernés. Une guerre civile s’abat alors sur la Bretagne et la Vendée. Pendant près de dix ans, toutes sortes d’atrocités vont être perpétrées entre les deux camps : d’un côté, les blancs royalistes, défenseurs de la religion et du roi, appelés aussi les chouans et, de l’autre côté, les bleus ou républicains.
Le nom de Chouan viendrait du nom de leurs premiers chefs, deux paysans du Maine, les frères Cottereau, vulgairement appelés les frères Chouan qui le tenait eux-mêmes de leur aïeul paternel surnommé Chouan (de chat-huant) à cause de son caractère morose. Selon d’autres, ce nom viendrait de ce que le cri du chat-huant ait servi de cri de ralliement aux royalistes. La chouannerie représente le type même de la guerre d’embuscade faite par de petites bandes de gens de la campagne armés de faux, de fourches ou de bâtons mais toujours prêts à se jeter sur les détachements républicains. A partir de 1793, une véritable insurrection prend naissance en Vendée surtout à partir du 25 février, date à laquelle la conscription prit un caractère obligatoire ; elle s’étend rapidement à l’Anjou et à la Bretagne. Une armée catholique et royale est créée ; elle est commandée au départ par Stofflet et Cathelineau puis, par la suite, par d’anciens officiers nobles comme Bonchamps, Lescure, La Rochejacquelin, Charette et d’Elbée.
Comme dans les villes environnantes, il y eut d’abord des bandes de blancs insurgés. Un essai d’organisation de ces bandes de Questembert à La Gacilly en passant par Allaire est tenté par M. Léopold de Cacqueray, un gentilhomme manceau de 22 ans, ancien page de Louis XVI ; il établit son quartier général en 1792 au château de la Bourdonnaye et commença à recruter sur Glénac, Les Fougerêts, Carentoir et Ruffiac. Les deux frères Boutemy de Glénac et Jouvance des Fougerêts ne le quitteront plus. Dans ce château, les chouans transforment l’une des tours en atelier de fausse monnaie ; quelques-uns de leurs outils seront découverts, plus tard, enterrés dans le potager, entre autres une imprimante mobile et un peu d’or. Léopold de Cacqueray, sous les ordres du marquis de la Rouërie, commence par créer une poste clandestine dont les étapes principales sont la Minière en Réminiac, la Noë - Cado aux Fougerêts, Port-de-Roche sur la Vilaine.Un an après son arrivée, il tombe dans une embuscade entre Saint-Nicolas-du-Tertre et Ruffiac où il fut tué. Il semble que ce fut l’œuvre de Chédaleux qui avait abandonné le bréviaire pour la carabine. C’est la raison pour laquelle les chouans condamnèrent ce dernier à mort ainsi que trois autres personnes, une de La Gacilly et deux autres de Cournon. Quelques jours plus tard, le prêtre Chedaleux était fusillé avec une des deux personnes de Cournon.
Dès le début de 1793, La Gacilly est devenue un poste militaire. Elle a sa petite garnison de républicains que renforce une garde nationale plus dévouée que nombreuse. Cette première garnison de 45 hommes venue à La Gacilly appartient au 109° Régiment d’Infanterie de Rouen qui a laissé une triste réputation par ses déprédations, ses brigandages et ses crimes, faits rapportés par J.M. Seguin dans le compte-rendu qu’il fait de l’attaque de La Gacilly par les Chouans. Les troupes républicaines, cantonnées passagèrement dans les localités menacées par les chouans, vivaient sur le pays et ne se faisaient aucun scrupule de piller, de voler, ni même de tuer ceux qui leur résistaient. Le représentant du peuple Brüe, ainsi que les généraux Hoche, Quantin et Krieg se plaignent amèrement dans leurs rapports de l’indiscipline, de l’immoralité et de la cruauté de ces troupes et prendront des mesures sévères pour les ramener à l’ordre.
En plus des réquisitions générales, il faut citer les innombrables et dangereuses corvées auxquelles sont assujettis ceux qui ont des chevaux ou savent les conduire pour transporter les grains à Vannes, à Rennes, à Redon dans les magasins militaires, à Saint-Perreux, à Malestroit ou à Rochefort. Ils doivent aller chercher ces mêmes grains, le plus ordinairement de nuit, dans les communes du canton et des cantons voisins afin de les mettre en sûreté dans les halles de la ville. Tout cela ne va pas sans danger ni risque car il faut le faire dans des chemins défoncés et presque impraticables, à travers des bois et des forêts où se cachent des bandes de malfaiteurs, de réfractaires et de déserteurs sans foi ni loi, ne vivant que de pillages et de vols. Les chouans se tiennent à l’affût, régulièrement encadrés par d’anciens officiers du roi. Ils cherchent l’occasion de se ravitailler en prenant les grains réquisitionnés, les considérant comme leurs puisque, en majeure partie, ces grains ont été enlevés de force aux fermiers des émigrés.
A La Gacilly, l’entrée de chaque rue est fermée par des portes, la halle est close, barricadée et crénelée pour se mettre à l’abri d’un coup de main des Chouans ou des bandes d’insurgés qui parcourent toujours le pays ; le temps n’est plus où elles se bornaient à rançonner leurs adversaires ou à raser par moitié la tête des fonctionnaires publics. Autour de La Gacilly, ces bandes d’insurgés prennent le nom de Ho Ho ou de Hou Hou ; elles dévastent la campagne gacilienne parce que les principes de réforme de 1789 y ont été bien accueillis dès le début.
16 mars 1793.
Rochefort-en-Terre tombe aux mains des paysans exaspérés de la persécution religieuse. Les bandes de Hou-Hou aident grandement les chouans à réaliser le « sac » de cette ville ; 1.500 assaillants armés d’objets hétéroclites s’emparent du chef-lieu du district sans grande difficulté, les hommes du 109° Régiment d’Infanterie de Rouen n’offrant qu’une piètre résistance et les républicains s’étant enfuis devant cette horde déchaînée ; parmi les bleus en déroute, il y a Geslin, Séguin, Le Blanc, Le Clainche, Le Gall, Hurel et Hoëo-Boisgestin. Trois personnalités, membres du comité révolutionnaire, surprises dans les caves du château où elles s’étaient cachées, sont massacrées : le chirurgien Duqueno, Denoual et l’avocat Lucas de Bourgerel. C’est en souvenir de leur sacrifice que Rochefort-en-Terre sera appelé Roche-des-Trois jusqu’à l’Empire, c’est à dire pendant une vingtaine d’années. Parmi les blancs, il y a Gilles Davalo du Rocher en Tréal, Pierre Chevalier, venu de Carentoir avec 68 hommes, sous les ordres du lieutenant local Montméjean, de son vrai nom chevalier Montbrun Dupuy-Montméjean qui est alors le chef de la chouannerie dans le secteur de La Gacilly, Carentoir, Malestroit, Saint-Gravé et les marais de Glénac. Lieutenant au régiment du Forez à Sedan en 1786, marié à Melle Anne-Gabrielle Le Roy de la Danais en Carentoir le 29 janvier 1782, il émigra en 1791, mais revint clandestinement dans la région où habitait sa femme, à la Grée-Horlay et c’est là que les Chouans de Carentoir vinrent le chercher pour être à leur tête. Sa tête fut mise à prix à trois reprises pour 600 livres et en particulier après le « sac » de Rochefort-en-Terre. Après la prise de cette ville, les chouans y installèrent une garde permanente de 3 à 400 hommes que les paroisses environnantes devaient fournir. Trois d’entre elles : La Gacilly, Saint-Marcel et Réminiac n’ayant pas participé à la prise de cette ville refusent d’y envoyer un contingent. Le général Beysser arrive à Redon encerclé par les chouans. Il se heurte à eux à Aucfer, mais il se retire. Il attaque ensuite le passage de Saint-Perreux puis se dirige sur La Gacilly lorsqu’il apprend la prise de la Roche-Bernard par les chouans. Après la reprise de la Roche-Bernard quelques jours plus tard, 200 hommes sont envoyés sur Glénac, La Gacilly et Les Fougerêts dans l’un des villages de ce bourg, les Zéreux où des dénonciateurs fixent encore le nombre des hommes envoyés à Rochefort-en-Terre à près d’un cent. Il n’y eut pas d’arrestation , mais une perquisition de céréales.
L’ordre de Brière étant resté sans réponse, celui-ci arrive avec sa troupe par la rue Saint-Vincent à La Gacilly ainsi que les hommes de Chevalier de Carentoir. C’est alors la première attaque de la ville par les chouans. « La ville est vite envahie et ses défenseurs désarmés » dit un rapport officiel. Voici le récit fait par des témoins gaciliens au commissaire de Redon : « Le samedi 23 mars à 8 heures du matin arrive une troupe d’hommes ayant à leur tête Brière de Peillac et Chevalier de Carentoir. Nous savons d’autre part que ceux-ci étaient sous le commandement de Vaillant fils, du Bignon, adjoint au capitaine de Peillac. Ils demandent à haut cri leur Roi, leur Religion et leurs bons prêtres, invitent les habitants à se rendre et à remettre leurs armes ainsi que les clefs des greniers renfermant les grains des émigrés. Après avoir désarmé tous ceux qui tentaient d’opposer quelque résistance, l’attroupement mit bas le bonnet de la liberté et mit à la porte le drapeau blanc et sommèrent (sic) les habitants à prendre la cocarde blanche. » Les chouans ne se retirèrent qu’après avoir mis les auberges au pillage et en emportant tout ce qu’ils purent trouver d’armes et de céréales. Contrairement à Rochefort-en-Terre et la Roche-Bernard, la première prise de La Gacilly par les chouans se fit sans aucune violence grave sur les habitants et sans effusion de sang parce que les républicains gaciliens sur lesquels les arrivants auraient pu décharger leur colère, s’étaient prudemment éclipsés et que les paysans insurgés ne trouvaient plus pour les recevoir que des connaissances, des amis et même des parents tyrannisés comme eux par les fonctionnaires orgueilleux du nouveau régime.
La cause de ce soulèvement populaire qui, s’étendit soudainement à cette époque sur tout l’arrondissement, de Redon à Vannes et de la Roche-Bernard à La Gacilly et à Rochefort-en-Terre, fut la persécution religieuse. Comme l’a bien écrit l’historien Lenôtre : « Ce n’est pas contre la Révolution que combattit pendant tant d’années le peuple breton. C’est pour la liberté de ses croyances. » Cela est surtout vrai du mouvement de révolte de mars 1793. Ce n’est que plus tard que les royalistes tenteront de se servir du mécontentement populaire pour l’utiliser habilement en faveur de leurs visées politiques.
Ce que demandent ces paysans soulevés, à Vannes comme à La Gacilly, c’est la libre pratique de leur religion, ce sont les prêtres bannis, dénoncés, traqués, emprisonnés et mis à mort, ce sont leurs églises fermées, profanées et désertes. Et leur colère s’adresse naturellement aux hommes de loi, aux juges, avocats, procureurs, tous gens détestés sous l’ancien régime qu’ils avaient rendus odieux par leurs rigueurs et leurs exactions et qui sont devenus les fonctionnaires honnis d’un nouvel état de choses encore plus insupportable que l’ancien puisque, non content de violer les bourses, il veut encore violenter les consciences. Ils s’en prennent avec raison à ces nouveaux maîtres du pays qui sont, le plus souvent, loin de valoir ceux qu’ils ont remplacés, car s’ils ont gardé leurs défauts en les exagérant, ils ont oublié leurs qualités et leurs vertus. Ils veulent demander des comptes à ces gens qui ont dénoncé, livré, poursuivi les prêtres fidèles, pour obtenir du pouvoir nouveau leur maintien en place ou leur avancement, qui se sont enrichis d’une façon scandaleuse en accaparant les biens des nobles et du clergé et qui, se glorifiant seuls du nom de citoyens comme autrefois de leurs titres de propriété dont ils semblaient faire des titres de noblesse, s’imposent par la tyrannie et la terreur aux humbles et aux petits sans défense.
Montméjean est arrêté à Malestroit avec Mathurin de Saint-Martin-sur-Oust et guillotiné le 29 du même mois. Les propriétés du premier sur Carentoir sont vendues comme biens nationaux ; sa métairie et son pourpris de la Danais sont adjugés au prêtre assermenté Rubault de La Gacilly pour la somme de 7.175 livres. Comme sous-lieutenants, il avait : Chevalier de Carentoir, Caillet des Fougerêts. Un des frères Boutémy de Glénac qui s’était signalé comme un des premiers sous-lieutenants, semble avoir eu les qualités d’un combattant de valeur. Il passa en Vendée et fit la campagne de 1794. Il fut fait prisonnier en 1795, près de La Gacilly, mais les bleus de ce pays facilitèrent également son évasion. Il mourut à Glénac.
Autre sous-lieutenant de Montméjean, c’est Gilles Davalo de Tréal : braconnier, malin, rusé, un jour, les bleus sont mis au courant de l’endroit de sa cache dans une taille. Davalo et deux de ses compagnons chouans devaient couper du blé noir au fermier du Pré-Clos en Tréal. Le soir venu, les bleus cernent le repaire, rien n’ayant bougé, on se rue sur la cache, elle est vide. Pas tout à fait peut-être, car trois « reliefs » nauséabonds y attestent le passage récent des trois hors-la-loi. Ensuite, Davalo commande une petite troupe de cavaliers cantonnés aux Fougerêts. Jouvance, le connaisseur du marais, sera son agent de liaison ; facteur, passeur, populaire, sans ennemi même chez les adversaires, c’est lui, dit-on, qui sauva Séguin de La Gacilly en 1795.
22 novembre 1793 (2 frimaire an II) .
Le Batteux est nommé commissaire de la ville de Redon. Le Directoire de Redon fait appel au sinistre Carrier de Nantes qui visite la région pour organiser des tournées de répression dans les campagnes ; il passe le 9 octobre à Sixt-sur-Aff et à La Gacilly d’où il envoie une patrouille à Sourdéac pour arrêter Anne de Gouyon.
Louis-Marie De Gouyon, l’aîné de la famille, épouse en janvier 1790, Anne de Kerven, belle-sœur de Guillaume de Foucher chez qui il l’avait connue. On pourrait penser qu’un jeune homme noble qui se mariait à 25 ans en 1790 aurait pu attendre le rétablissement de l’ordre pour se marier mais les de Gouyon n’étaient pas gens à se laisser intimider ; c’est ainsi que Marie de Gouyon, sœur cadette de Louis, se présenta au tribunal de Vannes pour se porter adjudicataire des biens de ses frères émigrés ; personne n’osa renchérir sur elle et le lot lui fut attribué pour 3.000 livres. Anne de Gouyon, prétextant que son jeune enfant est gravement malade de la dysenterie, ce qui est vrai puisqu’il décèdera peu après, refuse de suivre les bleus à La Gacilly ; le chef du détachement consent à la laisser à condition qu’elle se rende à Rochefort-en-Terre sitôt la guérison.
Peu de temps après, Anne de Gouyon étant restée chez elle, une troupe de 800 hommes cerne la maison de Sourdéac dès l’aube, arrête la dame du lieu et l’emmène à La Gacilly où elle est vouée aux huées de la population et accusée d’avoir distribué aux Chouans des cocardes blanches qu’elle aurait elle-même confectionnées ; il n’en fallait pas plus pour l’envoyer à l’échafaud. Or, elle était totalement étrangère à cette affaire ; les cocardes avaient été données aux Chouans de Peillac et des Fougerêts ; en fait, ce sont les deux vieilles demoiselles des Aulnays du Pont d’Oust qui étaient à l’origine de cette distribution. Anne de Gouyon est enfermée à la mairie de La Gacilly. Cheval, ancien notaire, assurant les fonctions d’agent national doublé de Séguin et d’un représentant de Le Batteux qui accompagne la colonne, fait subir un premier interrogatoire à Mme de Gouyon et aux autres prisonniers de la journée.
Puis elle est interrogée par le commandant du détachement, un jeune homme d’une vingtaine d’années, aide de camp du général Beysser, aidé de deux inquisiteurs dont l’un posait les questions et l’autre écrivait. Pendant l’interrogatoire, l’officier qui n’intervenait pas et faisait les cent pas dans la salle, profitant d’une conversation des deux scribes avec de nouveaux arrivants, passa près de l’accusée et lui glissa à l’oreille : « Ne vous retournez pas, mais écoutez-moi. Niez toujours ferme. Vous serez conduite à Redon et vous demanderez à y être jugée par le militaire. C’est votre droit strict puisque l’accusation porte sur un fait qui relève des Conseils de guerre. Si vous êtes jugée par le civil, vous êtes perdue. » C’est ce qu’elle fit après beaucoup d’hésitation. Les deux inquisiteurs ne réussirent pas à la convaincre et le procès-verbal fut clos sans conclusion. En tout cas, Anne de Gouyon obtient le droit d’aller coucher chez une dame Le Roy, femme d’un chirurgien de La Gacilly. Le lendemain, elle est conduite, en charrette, à Redon, envoyée à l’auberge du Lion d’Or où loge le général Beysser ; là, un représentant du peuple en tournée et deux membres du district l’interrogèrent, mais elle leur opposa l’argument d’incompétence. Vexés, ils se retirèrent jurant que le lendemain elle comparaîtrait de force devant la Commune. Jamais elle ne sut ce qui se passa entre le civil et le militaire ; ce qui est sûr, c’est que le lendemain, le jeune commandant entrait dans sa chambre accompagné d’un officier et d’un greffier qui, après lecture de l’acte d’accusation, commencèrent à l’interroger. C’est alors que le jeune aide de camp intervint pour déclarer que l’acte d’accusation était trop vague, trop imprécis puis il frappa un grand coup de poing sur la table en interpellant le greffier trop pointilleux et en arrêtant l’interrogatoire.
Deux heures après, un officier remit à Mme de Gouyon un laissez-passer du général en lui disant qu’elle était libre. Un voisin, M. du Fresche de la Giraudais l’emmena chez lui et, le lendemain, Anne de Gouyon rentrait chez elle à Sourdéac. Comment expliquer l’intérêt que lui porta l’aide de camp ? Ici, il y a peut-être un peu de roman, mais il faut dire que la dame était fort jolie, n’avait que vingt-huit ans et le jeune officier n’en avait que trente. De plus, il a été rapporté que ce commandant avait été écœuré par le sort qui avait été fait à cette jeune dame par les habitants de La Gacilly.. Sa protégée s’informa de lui plus tard pour lui exprimer sa reconnaissance. Elle apprit avec regret qu’il avait été tué en Vendée. Peu de temps après ces évènements, les dames de Gouyon furent à nouveau arrêtées, conduites, à Rochefort-en-Terre puis à Josselin d’où elles ne sortirent qu’à la chute de Robespierre.
Les bourgs les plus révolutionnaires sont La Gacilly, Renac et Derval et certains villages comme les Zéreux aux Fougerêts et Bocquereu à Allaire. Au village de Binon en Bains-sur-Oust, près de la chapelle Saint-Laurent, la famille Dubignon est souvent inquiétée par les Chouans , car un de leurs fils, auteur de fables distinguées, est membre de la Convention. Les chefs révolutionnaires les plus en vue sont Joseph Séguin à La Gacilly, Pierre Le Cars dit La Grole ou Pelo à Caden, Geslin à Rochefort-en-Terre, Chédaleux, le vicaire défroqué de Saint-Congard qui livrent leurs anciens collègues et enfin Savigne à Carentoir.
23 Mars 1794. (3 germinal an II)
Réquisition du représentant du peuple du Bois-Crancé : « Tous les jeunes gens de 18 à 25 ans, à l’époque de la publication de la loi du 23 août 1793, sont requis de partir au reçu de la présente promulgation, pour se rendre au chef-lieu qui leur sera désigné et qui est Roche-des-Trois pour La Gacilly ». C’est l’enrôlement forcé dans les troupes de la République de tous les jeunes gens en âge de porter les armes. C’était la première fois qu’on imposait aux populations l’impôt du sang et, comme cette menace était prise pour soutenir un régime nouveau mais déjà abhorré ,parents et enfants n’acceptèrent pas sans résistance cette nouveauté qui leur paraissait tyrannique. Ce fut l’origine de ces nombreux groupes de réfractaires et de déserteurs qui, cachés dans les bois et les marais, allaient bientôt fournir des troupes toutes prêtes pour la chouannerie qui commençait à se réorganiser sérieusement dans le pays, sous la direction de nobles revenus d’exil ou d’anciens officiers de l’armée royale échappés au désastre des Vendéens.
6 avril 1794. (16 germinal an II)
Réquisition des draps, toiles et autres matières propres au campement des troupes. Les gens du pays connurent les restrictions et le régime du pain noir.
26 mai 1794. (7 floréal an II)
D’autres atrocités vont être commises, en particulier l’arrestation du chef chouan Pierre Chevalier, responsable du secteur de Carentoir. La guillotine est amenée de Rennes à Carentoir « à grand renfort de publicité » et Pierre Chevalier est exécuté le 26 mai 1794 (4 prairial an II) devant l’église pour servir d’exemple. L’exécution eut lieu sur les cinq heures du soir et sa tête, plantée sur une pique, fut promenée à travers les rues du bourg par les soldats républicains.
Il est rapporté qu’un citoyen de La Gacilly qui assistait à ce spectacle fut tellement écœuré par tout ce qu’il voyait eut l’envie de « tirer dans le tas » de la maison de la Poëllerie où il se trouvait. Suite à cet événement, la guillotine prendra le surnom de Perrine Chevalier. Pierre Chevalier était né au Temple, avait épousé Cécile-Anne-Pauline Tourtal du Bois-Brun en Tréal où il était menuisier. Avant de mourir, il avait demandé une plume, de l’encre et une chemise blanche montrant par-là que sa conscience était pure. D’ailleurs, il semble qu’il refusa le ministère du prêtre assermenté Rubault de La Gacilly. Il est raconté qu’un prêtre réfractaire, posté à un endroit convenu, put lui donner l’absolution avant son exécution.
Trois jours après, le « maystre en chirurgie », Charles-Marie Hurel, le républicain, fut exécuté sommairement contre le mur du parc du château de la Bourdonnaye en guise de représailles, cette fusillade est encore rappelée par le nom de Porte-Rouge, endroit où eut lieu l’exécution.
12 août 1794. (25 thermidor an II)
Les cordonniers sont réquisitionnés ; ils sont tenus de fournir " 5 paires par décade"
Au début de l’année, la Convention thermidorienne engage des négociations avec le chef chouan Charrette à la Jaunaye et à la Mabilais dont les clauses sont acceptées en mai par Stofflet. L’amnistie est accordée aux insurgés ainsi que le libre exercice du culte. Mais en juillet, avec le débarquement d’émigrés à Quiberon, les hostilités reprennent.
12 avril 1795 (2 floréal an III) [9]
Le 2 floréal an Ill de la République française, une et indivisible, une séance publique présidée par le citoyen Gentil et où siégeaient les citoyens Saulnier, Thélohan et Mollié, administrateurs, et Binel, agent national, était tenue à Redon (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 2483°, folio 102. « S'est présenté le citoyen Julien-Alexis Joyaut, fermier de la terre de Rieux ; lequel déclare que la Forêt-Neuve est située dans la commune de Glénac, district de la Roche-des-Trois, département du Morbihan ; qu'après la dernière récolte, il se rendit au Directoire de la Roche-des-Trois et y déclara les grains et foins qu'il avait récoltés sur cette terre, environ 175 demés de seigle, 12 demés de froment; 30 demés d'avoine, le tout mesure de La Gacilly, et 23 milliers de foin;
Ø que le même jour ou le lendemain, les administrateurs de la Roche-des-Trois lui écrivirent de garder les grains et foins sus-référés, parce qu'ils étaient dans l'intention de les faire passer à Redon dans les magasins de la république ;
Ø que, depuis, il a été plusieurs fois à la Roche-des-Trois, et qu'à chaque voyage, il a engagé les administrateurs à disposer des grains et foins dont il s'agit; qu'ils lui ont répondu qu'ils les feraient incessamment conduire à Redon ;
Ø que le 22 germinal dernier, le citoyen Larsonnier, garde des magasins de la république à Redon, se transporta à la Forêt-Neuve avec des voitures et un détachement et fit enlever les foins qui s'y trouvèrent, à une très petite exception près, que les voitures ne purent charger ;
Ø que le lendemain, il vint à Redon, vit le citoyen Aubry, fournisseur, et le pria de faire enlever le plutôt possible les grains restés à la Forêt-Neuve, que ce dernier lui répondit qu'il les ferait enlever dans 5 ou 6 jours et que pour cet effet il aurait besoin d'un détachement ;
Ø que lui, Joyaut, vint à Redon hier soir à l'effet de presser le citoyen Aubry de faire exécuter cet enlèvement; mais que le matin, Louise-Thérèse Joyaut, sa sœur, lui a écrit que les grains en question ont été enlevés la nuit dernière par une troupe de brigands qui s'en saisit violemment
enfin que le particulier qui commandait cet attroupement a donné une déclaration dont voici les termes. : « de par le Roi, je me suis transporté chez le nommé Joyaut avec 200 hommes pour enlever les grains destinés à la République. Fait dans la nuit du 21 avril 1795, l'an III du règne de Louis VII "roi très chrétien" ».
Signé : Constant, capitaine de l'armée catholique et royale de Bretagne. » A côté, l'empreinte
d'un cachet rouge.
Le citoyen Joyaut a signé la présente déclaration et a déposé la lettre ci-dessus, même la lettre de sa sœur de lui: contre-signée. Il a demandé acte du tout, ce que le Directoire, l'agent national entendu, lui a décerné.
Joyaut, Gentil, Molié, Thélohan, Saulnier, Binel et Raulin, secrétaire.
12 mai 1795. (23 prairial an III)
Des réquisitions toujours plus exigeantes et plus multipliées avaient achevé d’enlever aux paysans leurs provisions de grains et de fourrages pour ravitailler Rennes, Redon, Nantes et même Bordeaux. Le pays était menacé de la famine par les exigences des commissaires du district qui parcouraient les campagnes accompagnés de troupes bleues pillant, ravageant, brûlant tout ce qu’elles trouvaient sur leur passage et ne se privant guère de maltraiter et même de tuer les paysans inoffensifs. C’est ainsi qu’en ces jours de mai 1795, les Bleus, en passant, fusillèrent à Saint-Martin-sur-Oust, un paysan laboureur travaillant dans son champ. Poussés par la misère et par la faim, les paysans se révoltèrent, s’unirent aux chouans organisés dans le pays et coururent en armes aux greniers publics où étaient accumulés les grains des réquisitions.
Attaque de La Gacilly par les Chouans
8 juin 1795. (20 prairial an III)
Récit du garde national Etoré.
Le 8 juin 1795, la ville de La Gacilly est encerclée par les chouans de Glénac, des Fougerêts conduits par de Sol de Grisolles et Caillet de Saint-Jacob et de Saint-Martin-sur-Oust. Ce jour-là, le garde national Etoré, cultivateur à Lestun en Cournon, factionnaire de garde, a raconté à J.M. Seguin, le juge de paix, l’attaque des chouans. Ce dernier a dressé un procès-verbal quelques jours après. « L’attaque eut lieu à l’aube vers les trois heures du matin dans la nuit du 19 au 20 prairial ; alors qu’il était de garde à La Gacilly, qu’aussitôt que le jour commença à paraître, la garde se retira pour se reposer à l’exception des factionnaires, qu’il était factionnaire avis (près) la porte de Hersart, qu’environ une demie heure après la garde, étant encore en faction, il entendit beaucoup de monde venant de la rue du cimetière armé de fusils, qu’il leur cria : Qui vive ? Qu’on lui répondit : républicains ; en approchant, qu’il leur répéta : Qui vive ? Halte-là, qu’on lui répondit : Habitants de La Gacilly », que voyant que ce n’étaient pas des habitants de La Gacilly, il se récria : « Qui vive ? Halte-là », qu’au même moment, il fut tiré sur lui cinq coups de fusil, qu’alors il se rasa le long des maisons et vint se cacher contre la porte d’écurie de Guillotin, fit passer son fusil par un trou dans l’écurie et se cacha dans la porte ; que lesdits royalistes étant entrés chez différents particuliers, il entendit saisir sur la rue un homme qui se nommait Robert et sur lequel on fit feu ; qu’il fut lui-même trouvé par un royaliste qui vint gâter de l’eau contre la porte de ladite écurie, qu’il fut conduit lui-même au milieu de leur troupe dans laquelle il reconnut de Sol de Grisolles, les deux Péreau, ( c’est Pério qu’il veut dire), le nommé Puissant ci-devant volontaire, le nommé La Feuillade, le fils aîné de Jean Potier des Fougerêts, Pierre Le Fresne de Maure, les deux Boutemy de Glénac, le fils de Mathurin Hervé de la Bussonaye en Cournon, domestique à la Grignonnaye ; qu’ayant été relâché sur ce qu’il était étranger lequel venait chercher un chirurgien pour sa femme en couches, il ne resta pas à voir ce qui se passait. Ajoute qu’il y a environ un mois et demi que les chouans des Fougerêts et de Saint-Martin-sur-Oust lui volèrent un cheval et cinq demés et demi de seigle qui furent amenés par Joseph Belsoeur, Louis Chotard et Noblet de la commune de Les Fougerêts, que de Sol avait promis de lui faire rendre son cheval en retour du voyage de Carentoir, mais qu’il n’en a rien fait. »
La relation du factionnaire Etoré qui nous renseigne exactement sur l’arrivée des chouans, n’a plus la même précision pour le reste du récit et est sur beaucoup de points en contradiction avec les dépositions des autres témoins. Il faut se rappeler qu’Etoré étant de garde ne peut déclarer avoir abandonné son poste après avoir tiré un seul coup de fusil au lieu des trois prévus. C’est pour cela qu’il affirme avoir fait les trois sommations réglementaires alors que Jean Hersart et Anne Provost, femme Denoual, aux portes de qui cela se passait, ont formellement entendu un seul qui vive, halte-là auquel il fut répondu : royalistes et qui fut suivi de quelques coups de fusil. Caché derrière la porte de l’écurie de Guillotin sur le chemin du Vaugleu, il n’a pu voir ce qui se passait sur la place et la rue devant les Halles, par conséquent la mort de Robert et le pillage des maisons particulières. Les chouans n’entrèrent chez les particuliers qu’après l’occupation de tous les quartiers.
Les témoignages de Marie-Jeanne Le Roy, aubergiste, de Thérèse Clavier, femme de Georges Poligné, tanneur et de Georges Poligné lui-même sont formels : les chouans entrant chez eux leur racontent la mort de Robert en regrettant l’erreur qui l’a produite. De l’ensemble de 24 déclarants, il semble que les choses se soient passées de la façon suivante :
Entrée des Chouans.
Les chouans débouchant du chemin de Bel-Orient ou dévalant les pentes de Graslia entourent l’église et le cimetière. Pendant qu’un groupe occupe l’ancien presbytère habité par Viviers, et descend s’assurer du pont. Jean Grimaud, laboureur, dès le commencement de l’attaque voit « enfoncer (sic) » la porte de la tannerie Dufihol (chamoiserie) et cinq hommes armés tirant sur le citoyen Dufihol qui se sauvait. D’autre part, Viviers fait prisonnier sera amené tout à l’heure devant l’état-major des chouans réuni sur la place. Un autre détachement arrivait par le Pavillon au marché aux vaches, près de la chapelle Saint-Vincent. Le gros de la troupe, contournant le cimetière, s’engageant dans la rue du Pont (rue La Fayette actuelle) se heurtait au factionnaire Etoré placé à l’entrée de cette rue sur la place du Cas Rouge, devant la porte de Jean Hersart (maison Lejout). Etoré ayant fui, après avoir tiré un coup de fusil, pour se cacher dans la rue des Ponts dans la direction du Vaugleu (abattoir J. Epaillard), les chouans, s’avançant, débouchèrent sur la place en face les halles.
Mort de l’instituteur Robert.
A ce moment,
sortant de la maison Grinsart ou de la maison Seguin qui était voisine, un
individu traverse la rue en courant se dirigeant vers le nord des halles. Les
chouans le prirent-ils pour l’homme de garde qui venait de tirer sur eux ou pour
le citoyen Joseph Seguin avec qui les gars de Saint-Martin-sur-Oust et des Fougerêts avaient de vieux comptes à régler
, car, en sa qualité de juge de paix,
il était l’agent naturel de toutes les perquisitions qui leur étaient odieuses
et le canal ordinaire des dénonciations faites contre eux ? En tout cas, ils
tirèrent et l’homme tomba devant la porte de Denis Chédalleux (emplacement de
l’ancienne maison P.Clesio ou J.Renaud, à côté du passage Lasalle). Comme on ne
répondait pas à leur fusillade, les chouans s’avancèrent jusqu’aux halles et ils
virent alors leur erreur en reconnaissant dans la victime Mathurin Robert, un
des gendres de Joseph Grinsart, homme très modéré et inoffensif au su de tout le
monde. La preuve que c’est bien ainsi que se déroulèrent les évènements de cette
matinée tragique, est donnée par le procès-verbal dressé par le juge de paix de
l’époque, Joseph Seguin dont la rédaction fut faite à son retour car il avait
pris la fuite, comme il le reconnaît lui-même, à la première menace du danger.
« Moi, Joseph Seguin, juge de paix du canton de La Gacilly, rapporte
qu’environ les trois heures du matin de ce jour, 20 prairial, une force armée
d’environ 300 hommes étant entrée dans cette ville de La Gacilly par trois
endroits différents, suivant le rapport du bruit public et après avoir fait
prendre la fuite aux factionnaires placés par la garde nationale, et après avoir
entendu 40 à 50 coups de fusil tirés de file par les agresseurs qui criaient
hautement : « Vive le Roi », et voyant la garde forcée et en fuite, sans espoir
de ralliement, étant debout, sur les clameurs que j’entendais de toutes parts,
ayant vu et entendu plusieurs citoyens de l’endroit qui se sauvaient et qui
m’ayant aperçu m’ont crié : « Sauvons-nous, nous sommes perdus », la ville est
prise, tout est forcé, nous n’avons d’espoir que dans la fuite, j’ai suivi ceux
qui s’encouraient pour la sûreté de mes jours. Après avoir été longtemps dehors
et ayant aperçu de sur une hauteur, la force armée qui se retirait, je me suis
rapproché avec plusieurs citoyens. Nous avons trouvé tout le monde en
consternation sur les rues ; les plaintes et les clameurs ont de suite retenti
de toutes parts. Nous avons trouvé l’arbre de la liberté et celui de l’égalité
abattus, différentes voix nous ont appris qu’on avait assassiné Mathurin Robert,
instituteur public de cette commune, comme il sortait de chez lui pour s’évader,
que différentes portes avaient été enfoncées, qu’on avait pillé, volé et désarmé
plusieurs particuliers ; ai appelé deux notables de la municipalité Pierre Soulaine et Joseph Guéhenneuc et Jean-Marie Guillotin, officier de santé, pour
procéder aux opérations de constat. »
La déposition d’Augustin Grinsart, maire, confirme en tous points le rapport du juge de paix :
« A entendu ce matin, environ trois heures, tirer 30 à 40 coups de fusil dans les rues Saint-Vincent et du Pont…qu’ayant vu deux factionnaires obligés de se replier sous les Halles aux coups de fusil qui ne cessaient de tirer, il a fait battre la caisse pour appeler les citoyens et une partie de la garde qui s’était retirée pour se reposer, qu’à peine deux coups de tambour ont été frappés, qu’il a aperçu un nombre considérable d’hommes armés arrivant sur la place du Cas rouge, tirant de toute part et criant : Vive le Roi ; que n’étant pas en force suffisante pour se défendre, il a été obligé de fuir, lui et le reste de la garde par un chemin détourné, attendu qu’il s’est aperçu que cette troupe de royalistes s’avançait en trois points différents pour envelopper les habitants auxquels ont criait de différents lieux : Sauvons-nous !… ».
La description du
cadavre de Mathurin Robert faite par Jean-Marie Guillotin apporte les précisions
suivantes :
« Une balle lui a traversé la tête ; deux, la poitrine ; deux l’ont atteint
au bas-ventre de part en part ; quatre à la cuisse droite. Il a été tiré par-
derrière et de costé ».
Joseph-Marie
Grinsart, beau-père de Mathurin Robert, déclare que le cadavre de son gendre a
été trouvé
« avis la porte de Denis Chedalleux, après une grande fusillade qu’il a
entendue ».
Marie Lorgerais, servante de Grinsart, ajoute :
« qu’elle a entendu tirer 20 à 30 coups de fusils par des gens qui criaient : Vive le Roi… après que la force armée a été retirée, elle a trouvé le citoyen Robert étendu sur la place, mort. »
Seule victime, et d’ailleurs accidentelle, de cette échauffourée matinale, Mathurin Robert était originaire de la paroisse de Domloup du diocèse de Rennes. Il avait, le 12 juillet 1791, alors qu’il était domicilié à Redon, épousé à La Gacilly, Marie-Anne-Jacquette Grinsart, fille de Joseph-Marie Grinsart, dit Lasalle et de Marie-Elisabeth Simonnet. Il était donc le beau-frère d’Augustin Grinsart, maire de La Gacilly et de Philippe Gatault, menuisier, et le cousin germain de Joseph et de Charles-Florentin Seguin et par conséquent connu de tout le monde à La Gacilly et aux environs. Sans situation bien définie à Redon, effrayé peut-être de la tournure que prenaient les évènements, il s’était réfugié avec sa femme chez son beau-père et il venait d’accepter la situation plus que modeste à cette époque, d’instituteur public de la commune. La Convention avait bien en effet décrété l’organisation d’un enseignement national et fixé sur le papier des traitements pour les instituteurs, mais jamais un centime ne fut versé aux intéressés. Du reste, ce traitement était bien insignifiant puisqu’il n’atteignait pas 1.000 francs (en valeur de 1840). Il n’avait, d’ailleurs, guère eu le temps d’exercer ses nouvelles fonctions, s’il les exerça jamais, car c’est seulement à la fin de janvier 1795 que le conseil municipal avait pris un arrêté expropriant François Clésio de sa maison de la rue du Pont pour la transformer en école primaire publique et la période troublée qui avait suivi, avec ses alertes incessantes, ses gardes de jour et de nuit pour la garde nationale dont Mathurin Robert faisait partie, n’était guère favorable à une organisation scolaire régulière.
En tout cas, les chouans ayant reconnu la malheureuse victime et regrettant leur erreur involontaire, comme ils le disent à tout venant, se répandirent rapidement dans les différents quartiers de la ville pour s’assurer qu’ils en étaient bien les maîtres. C’est alors que Etoré et Viviers, appréhendés l’un à la porte de l’écurie de Guillotin, l’autre chez lui, au presbytère de l’époque furent conduits devant l’état-major réuni sur la place du Cas Rouge. Etoré fut immédiatement remis en liberté et regagna Lestun. Viviers, après interrogatoire, fut maintenu en état d’arrestation et confié à la garde de quelques hommes sûrs, place Saint-Vincent.
Les chouans s’occupèrent alors du but principal de leur venue à La Gacilly qui était de se procurer des armes et des munitions. Ils en manquaient en effet et, parmi les assaillants, Jeanne Le Roy, aubergiste, en signale un qui n’avait comme arme qu’une cognée. Comme les chouans étaient à peu près tous du pays et connaissaient parfaitement tous les membres de la garde nationale de La Gacilly, la recherche des armes fut rapide et facile. Dix fusils, un sabre, celui de Roussel, agent municipal, une certaine quantité de cartouches et de balles, constituèrent leur butin de cette journée. Mais les envahisseurs n’en restèrent pas là. Leur premier soin fut d’abattre l’arbre de la Liberté planté devant les Halles, à côté du puits, et ensuite l’arbre de l’Egalité sur la place du Cas Rouge. Cela ne faisait évidemment de mal à personne. Mais ils voulurent de plus profiter de leur victoire pour satisfaire les rancunes accumulées contre les fonctionnaires d’un gouvernement honni, persécuteur et oppresseur, par leurs exactions, leurs réquisitions et leurs dénonciations, et contre tous ceux qui les suivaient, les soutenaient et aussi les imitaient. Des groupes de chouans se portent à leurs maisons, mais ils n’y trouvent pas ceux qu’ils cherchaient. Un grand nombre de révolutionnaires sont partis d’avance se mettre à l’abri à Roche-des-Trois et à Redon. Ceux qui n’ont pu le faire viennent de se sauver dans les campagnes environnantes au premier coup de fusil de la nuit et ils n’ont laissé que leurs femmes et leurs domestiques pour garder leurs demeures. Alors les assaillants furieux commencent à piller et à tout briser chez leurs ennemis, se mettant facilement la conscience à l’aise avec ce principe que tous les fonctionnaires de la République sont des voleurs et que, les rançonner, c’est reprendre son bien.
Il faut bien se rappeler que les chouans de 1795 ne sont plus seulement, comme en 1793, des catholiques révoltés contre un gouvernement persécuteur de la religion. Leurs rangs se sont grossis de tous les adversaires du régime et en particulier des réfractaires à la conscription militaire vivant de vols et de rapines, et de déserteurs de l’armée républicaine qui, entraînés aux violences et aux pillages, étaient fort peu recommandables. Il y en avait dans les rangs des vainqueurs de La Gacilly. Thérèse Clavier, femme de Georges Poligné, tanneur, reconnaît parmi eux le nommé Lequain de Rouen, ex-tambour des armées de la République, qui faisait partie de la troupe cantonnée à La Gacilly au cours de l’année 1794 mais avait quitté les rangs républicains pour entrer dans l’armée catholique et royale. Le garde national Etoré a de même reconnu les ex-volontaires Puissant de La Gacilly et Lefèvre de Maure-de-Bretagne. Rien donc d’étonnant que dans l’enivrement de la victoire, un certain nombre de chouans se soient laissé aller à des actes regrettables de pillage. Le juge de paix, Joseph Seguin, fit à ce sujet un long rapport au district.. En voici de larges extraits qui montrent certains aspects de ces temps de guerre civile. « Ce matin-là, laissant de côté la maison de Joseph Seguin qui fut préservée par le corps de Mathurin Robert, ils se dirigèrent vers la demeure de Patern Soulaine qui habitait place du Cas Rouge, à l’entrée de la rue Saint-Vincent, dans le prolongement de la maison Berthaux (première maison à gauche de la rue Saint-Vincent). Patern Soulaine, gros marchand de la localité, était le beau-frère du percepteur Clémenceau et acquéreur comme lui de biens nationaux. Il s’était, avec son beau-frère, réfugié à Roche-des-Trois. Voici la déclaration de sa femme Marguerite Chollet : « Etant couchée, elle entendit faire dans la porte de sa demeure une grande décharge de coups de fusils par des gens qui criaient : Vive le Roy, et dire : Ouvrez de par le Roy ou nous enfonçons. Déclare qu’elle se leva et ouvrit la porte, qu’au même instant 30 ou 40 hommes armés de fusils, de baïonnettes, de pistolets, de sabres, entrèrent, la saisirent en la menaçant de lui brûler la cervelle, se saisirent d’elle et lui donnèrent une pousse contre le lambris, dont elle fut blessée à la tête, qu’on lui demanda des armes et de la munition, qu’ils prirent tout ce qu’elle avait d’argent dans la boutique et la marchandise qui leur plut, qu’elle reconnut sur la rue les deux Boutemy de Glénac. »
Une voisine, Marie Méaude, femme de Joseph Danard, maréchal, réveillée par le bruit qui se faisait chez Patern Soulaine et entendant les injures et les menaces adressées à sa femme, croyant qu’on allait la tuer, descendit pour lui porter secours, mais ne trouva plus personne. Elle vit tous les linges dispersés dans la place. Patern Soulaine se vit ainsi enlever tant en espèces qu’en marchandises une assez forte somme.
Renée Soulaine, sœur de Patern et épouse du citoyen Clémenceau, enregistrateur à La Gacilly et réfugié lui aussi à Roche-des-Trois, reçut de même la visite des chouans. Elle reconnut Potier fils des Fougerêts, le fils de Gilles Belsoeur, sabotier, des Fougerêts et La Feuillade, maçon, également des Fougerêts qui s’appelait en fait Louis Bocherel et était originaire de Renac. Elle déclare que ce dernier voulait la faire fusiller, qu’elle se cacha ensuite dans un coin de sa maison et ne vit plus rien. Sa maison fut pillée comme celle de son frère Patern.
Un Chef Chouan.
Le comte Louis-Charles-René De Sol de Grisolles, né à Guérande le 29 décembre 1761, fils d’Athanase de Sol et de Jeanne de Sécillon, d’abord officier de marine, rejoint Condé en 1791. Puis on le retrouve à Jersey en janvier 1795 ; il rentre en France en mars avec d’Andigné en débarquant près d’un village de Saint-Quay-Portrieux. Aussitôt dénoncés, ils sont arrêtés ; d’Andigné réussit à s’échapper mais de Sol, blessé, est fait prisonnier par les gardes-côtes ; lors d’un transfert, il s’échappe lui aussi et rejoint Guérande. Ne trouvant personne de sa famille, il se rend à Béganne au château de Trégoët qui est alors une propriété des de Sécillon. C’est là qu’il décide de relancer les actions des chouans de la région. Très entêté, il sera le dernier des derniers insurgés. Il commence par réorganiser les bandes et les groupe en leur donnant des ordres grâce à des émissaires et se constitue un état-major avec M. de Mondoré comme colonel, deux Sécillon, ses deux cousins, comme chefs de bataillon, l’abbé Panhéleux, ex-recteur de Théhillac pour le ravitaillement et les renseignements. Il commence par attaquer les convois de charrettes qui emmènent le produit des perquisitions ; puis le blé et les autres marchandises sont mis en lieu sûr. Il s’attaque ensuite aux greniers municipaux pas toujours très bien gardés. C’est la raison pour laquelle, depuis le 10 mai, celui de La Gacilly est gardé militairement jour et nuit. Puis il prend possession de tous les passages d’eau : Branféré est gardé par Gilles Sébilet tout dévoué à M. de Pioger ; le Port-Corbin, sur l’Aff, est généralement desservi par un des Debray de Coquelin.
De Sol change souvent de domicile accompagné de ses deux ordonnances Jean et Pierre Jaffredo de Limerzel. Quand il vient dans les environs de La Gacilly, il s’arrête très souvent à la Noë-Cado tenue par M. Boudet qui, à la fin de l’année, est arrêté et incarcéré à Redon puis remis en liberté ; né à Saint-Domingue, ce dernier se faisait passer de nationalité américaine ; il fut pendant longtemps administrateur des Fougerêts et fit même arrêter des prêtres réfractaires. D’un autre côté, on peut se demander pourquoi de Sol n’eut jamais d’ennuis tout en rendant d’énormes services à la chouannerie ; peut-être parce que sa maison constitua le point de correspondance des princes pendant un certain temps. Après avoir quitté le commandement chouan de la région de l’Aff, on retrouve de Sol, quelques années plus tard, impliqué dans l’affaire de la « machine infernale ». Arrêté et enfermé au Temple à Paris, il sera délivré avec la Restauration et décèdera à Bordeaux le 13 avril 1886 après avoir été nommé gouverneur du château de Pau.
1796.
En 1796, beaucoup d’émigrés rentrent au pays, en particulier Louis de Gouyon qui se réfugie à Sourdéac. Vu les exactions commises par les chouans et cette arrivée massive d’émigrés, le commissaire Jean-Marie Leblanc ne se sent pas rassuré et il écrit à sa hiérarchie :
« Il est bien cruel pour des républicains que leur vie, menacée par des chouans, ne soit pas plus en sûreté au milieu de ceux qui sont spécialement chargés de la défendre. J’abandonne le tout à votre prudence et à votre discrétion, en vous priant d’en conférer au général Quantin qui n’approuvera certainement point de pareils excès dans sa division. Je vous observe que je travaille ici à faire rappeler ce commandant et sa compagnie et que je ne désespère pas d’y réussir auprès du général Bravot qui doit nous arriver aujourd’hui… ».
1797.
Dans les premiers mois de cette année-là, une épidémie terrible s’abat sur les enfants et les adolescents et en fait disparaître un nombre considérable ajoutant des deuils cruels et répétés à toutes les autres peines qui affligent alors les gens du pays. Toutes ces calamités qui fondent à la fois sur la population et surtout sur les pauvres ont un effet auquel ne s’attendent sans doute pas les meneurs révolutionnaires de la petite cité, celui de réveiller le sentiment religieux violemment comprimé pendant la période de persécution et de terreur et de faire les pauvres gens se tourner vers Dieu.
Dans les environs de La Gacilly, les patriotes de la République règnent en maîtres absolus. C’est cette année-là que furent créées les bandes dites des « galériens », en fait de faux chouans, de véritables égorgeurs. Dans la région, l’une de ces bandes va opérer avec pour chef un Kermorin de Questembert, puis plus tard un Allemand nommé Muller. Pourtant, dans les environs de La Gacilly, le résultat des recherches et des perquisitions est nul pendant toute l’année. Dès que Seguin arrive quelque part avec sa troupe de bleus, les paysans sont tranquillement occupés aux travaux des champs et les prêtres réfractaires si bien cachés qu’ils sont insaisissables comme à la [10]Chohannière à Glénac.
Si en 1793 les chouans menèrent une guerre très dure contre la République, l’année 1799 est marquée aussi par une guerre sans merci, sans grandes prises d’armes, mais plutôt faite d’une multitude d’escarmouches locales ; les Anglais approuveront et mettront tous leurs espoirs dans ce nouveau soulèvement et tenteront d’aider les chouans en particulier avec le débarquement. Ces coups de main militaires, ces attaques de villages ou de petites villes de garnison vont se succéder jusqu’à la fin de l’Empire.
Dès le 9 novembre, beaucoup de royalistes armés se réunissent à Saint-Martin-sur-Oust, aux Fougerêts et à Glénac pour attaquer Redon où ils pénètrent le 10 au matin sous les ordres de Sol. Aussitôt les commissaires dont celui de La Gacilly adressent une missive au commissaire du Directoire près l’administration centrale, datée de Redon du 20 brumaire où il est dit : « Beaucoup des habitants de La Gacilly et de Carentoir se sont liés à eux et nous ne doutons nullement qu’un bien plus grand nombre ne va s’y joindre s’il n’y vient sous peu une force importante.» De Sol quitte Redon le 14 novembre au matin sous les menaces et l’arrivée subite du général Gency qui est remplacé, deux mois plus tard, par le général Chabot, celui-ci prend le commandement de la région de l’Aff, de Guer à Redon.
21 novembre 1799.
Il est souvent question du débarquement qui, en 1795, fournit à Charette des milliers de fusils anglais, des canons et 45.000 livres en or. Mais, en Bretagne, plusieurs débarquements eurent lieu dont celui de Quiberon le 21 novembre 1799 : les Anglais occupaient alors Belle-Ile. En fait beaucoup d’armes et des barils d’argent furent débarqués à Billiers : un convoi de 85 charrettes prit la direction d’Elven et un autre convoi de 200 charrettes, sous la direction de Sol, prit la direction de Limerzel, Béganne, Redillac en Saint-Jacut puis la forêt de la Bourdonnaye. Si l’argent a pu être découvert et employé par certains, par contre, les armes et les munitions ont disparu sans laisser aucune trace. Où sont-elles ?
René-Noël Rubault. (Prêtre)
René-Noël Rubault de Béculeux en Ruffiac était très connu des Gaciliens. Né à Malestroit de Jacques Rubault et de Honorée Jarnier en 1743, il apparaît à La Gacilly dès 1766 où il signe au registre des baptêmes comme clerc minoré (il avait pris l’habit chez les Bernardins de Prières le 4 janvier 1765) puis en 1770 comme sous-diacre. Ces séjours à La Gacilly s’expliquent par le fait, qu’à cette époque, résidait à La Gacilly un nommé Jarnier, homme de loi et procureur du marquisat de la Bourdonnaye. Or c’était sans doute son oncle et il venait chez lui passer ses vacances de séminariste. Ordonné prêtre le 21 septembre 1771 au Mené par monseigneur de Bertin, il revient à La Gacilly comme vicaire de Claude-René Le Masle, en 1776 ; il demeure à La Gacilly jusqu’en 1784 où il est nommé curé de Malansac. De là, il n’oublie pas ses amis de La Gacilly où il vient de temps en temps comme en 1785 et en 1786 pour présider à un baptême et à un mariage.
Il est nommé curé de Glénac en 1787 et rend de nombreuses visites à La Gacilly ; au cours de cette année, il assiste à deux sépultures et plusieurs baptêmes dans cette trêve ; en 1788, il y fait quatre baptêmes, un mariage et quatre sépultures et, en 1789, quatre baptêmes et deux mariages. Il avait peut-être abandonné dès 1788 son poste de Glénac pour se retirer à La Gacilly, car il dit la messe matines à l’église de cette ville en 1789 et, en 1790, il assiste à la bénédiction de la seconde cloche où il signe Rubault de Béculeux sans faire suivre son nom d’un titre clérical comme auparavant. Il prête le serment constitutionnel le 20 février 1791. Il signe encore un baptême en avril de cette même année sur le registre de La Gacilly puis il rejoint Malestroit où il vient d’être nommé vicaire par l’évêque schismatique Le Masle. Le 10 septembre de cette même année, il refuse le rectorat de Taupont à cause de « sa santé ruinée par le chagrin et la calomnie » écrit-il au district mais plutôt parce qu’il sait la façon dont les catholiques de la région de Ploërmel accueillent les prêtres jureurs. Resté à Malestroit dans l’attente vaine d’un traitement qui ne vient pas ou par bribes insignifiantes, il y est dans la misère et meurt de faim. On le retrouve « vicaire et bénéficier » à Sérent en 1792.
Il prête encore, le 8 janvier 1793, le nouveau serment exigé par la loi de septembre 1792 de tous les fonctionnaires publics : « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la Liberté et l’Egalité ou de mourir à mon poste ». Mais une première lâcheté en entraîne une autre et pris dans l’engrenage, le pauvre Rubault ne pourra plus se dépêtrer qu’il n’ait touché le fonds de l’abîme et ne soit devenu traître à ses engagements les plus sacrés. Il prêtera en effet sans hésitation et sans trouble apparent de conscience tous les serments demandés aux fonctionnaires et il en signera les formules variées au registre de La Gacilly, de sa grande écriture épaisse et anguleuse.
L’état misérable de René-Noël Rubault fut vite connu à La Gacilly et ses amis, d’anciens élèves, l’invitent à revenir à La Gacilly et, bien sûr, il y accourt en février 1793. En effet, le 27 de ce mois , le conseil municipal dont le maire est M. Joseph Grinsard, le nomme curé de la Gacilly ,Glénac, Cournon et d'autres communes. Il était assuré d’un traitement convenable qui lui permettait désormais de vivre sans l’âpre souci du pain de demain ; il va enfin connaître la tranquillité. Ce bonheur ne dura même pas un mois. Le 19 mars, à peine installé dans la chambre qu’il vient de louer chez la veuve Legouër, boulangère, dans la deuxième maison de la rue du Pont, à droite, en partant du Cas-Rouge (emplacement de l’ancienne maison P. Debray, n° 2 de la rue La Fayette d’aujourd’hui), il est obligé de fuir en toute hâte et d’aller se réfugier à Redon, sous la protection des soldats du général Beysser, pour éviter la colère des paysans révoltés qui se portent partout dans notre pays à l’assaut du centre où le pouvoir révolutionnaire est organisé. A la fin du mois, les chouans se retirèrent et l’abbé Rubault put revenir. C’est alors que Montméjean est arrêté et guillotiné ; ses propriétés en Carentoir sont vendues comme biens nationaux ; sa métairie et son pourpris de la Danais sont adjugés à René Rubault pour la somme de 7.175 livres. Mais l’accalmie, cette fois encore, ne devait pas être bien longue pour notre curé, la Terreur n’était pas loin.
En janvier 1794, La Gacilly eut la fête de la Raison sous les yeux du curé constitutionnel Rubault, honteux, humilié et impuissant. Le petit troupeau de fidèles qui s’était réuni autour de son curé constitutionnel se dispersa pendant cette période troublée et leur curé jureur prit le parti de se cacher. Le pauvre René-Noël Rubault ne pouvait qu’être effrayé par les ruines amoncelées par le torrent dévastateur dont il avait contribué lui-même à rompre les digues par sa complaisance pour des idées nouvelles et dangereuses, sa désobéissance vis-à-vis de ses chefs spirituels, sa lâcheté devant Dieu et devant les hommes. On n’arrête pas un torrent débordé, on est nécessairement entraîné ou broyé par lui. Le curé intrus put croire un instant que le flot destructeur ne monterait pas jusqu’à lui qui avait pris tant de précautions, même coupables, pour sauver son existence, car la persécution furieuse et sanglante s’abattit d’abord sur les prêtres restés fidèles à leurs devoirs et cachés dans le pays pour pouvoir venir au secours des pauvres âmes désemparées. Les prêtres restés en France au péril de leur vie, furent traqués comme des bêtes fauves, les uns comme réfractaires au serment schismatique, les autres comme entrés sur le territoire après leur exil ou leur déportation.
Dénoncés ou pris au hasard des perquisitions exercées par les troupes républicaines dans tout le pays, jeunes, ils étaient exécutés dans les vingt-quatre heures, comme le demandait le décret de la Convention du 11 mars 1793 ou envoyés en prison s’ils avaient plus de soixante ans ou étaient malades. C’est ainsi que Rubault vit deux de ses confrères voisins qu’il avait nécessairement connus dans son ministère régulier d’autrefois à La Gacilly et à Glénac, monter à l’échafaud pour rester fidèles à leur foi
Michel Després, natif de Bains-sur-Oust et vicaire de cette paroisse qui, tombé entre les mains des révolutionnaires, fut guillotiné à Redon le 24 octobre 1793 et Julien Racapé, né à Saint-Just et vicaire à Brain-sur-Vilaine. Ce dernier, caché chez ses parents, arrêté, traduit devant le tribunal révolutionnaire et condamné à mort, marcha vers l’échafaud le 1° novembre 1793 en chantant courageusement le cantique du Père de Montfort : « Allons amis au bonheur véritable ». Bains-sur-Oust et Saint-Just faisaient alors partie du diocèse de Vannes comme La Gacilly et Glénac. Le pauvre renégat put, de même, voir partir pour être emprisonnés à la retraite de Vannes les prêtres âgés ou malades de son voisinage qu’il avait connus, respectés et estimés autrefois. De même, Rubault ne peut ignorer l’arrestation et l’emprisonnement à Josselin de son ancien confrère et prédécesseur à Glénac, l’abbé Fleury de Buléon, car le fait suivant, consigné aux archives de Josselin, ne put manquer de défrayer les conversations de La Gacilly lorsqu’il y fut connu. M. Fleury était l’oncle des Clésio de La Gacilly. Le bruit de sa mise en prison ayant couru, l’un de ses neveux partit immédiatement pour Buléon afin d’avoir des renseignements sûrs. Ayant reçu là-bas confirmation de l’emprisonnement de son oncle à Josselin, il résolut d’aller le voir avant de rentrer à La Gacilly et de lui porter quelques secours. Accompagné et guidé par un de ses cousins, Trévalinet de Buléon, aussi neveu de l’abbé Fleury, il se dirigea sur Josselin et tenta d’entrer en relation avec son oncle. Mal lui en prit, car le 23 décembre 1794, le directeur de la poste de Josselin annonçait au département l’arrestation de Trévalinet de Carascouët en Buléon et de Clésio de La Gacilly « parce qu’ils demandaient à voir un prêtre nommé Fleury et avaient l’intention de lui remettre quelque chose ». Les deux cousins payèrent de quelques mois de séjour dans les infectes prisons de Josselin (c’est le mot du représentant du peuple, Prieur de la Marne) leur acte de dévouement pour leur vieil oncle.
Ces exemples de courage et de fidélité au devoir de ses anciens amis, n’ont pas l’air d’émouvoir l’endurci Rubault et il reste dans sa situation pénible de jureur et de révolté. Il n’est pas encore tombé assez bas et il faudra qu’il touche le fond de l’abîme pour voir ses yeux se dessiller et comprendre l’indignité de sa vie.
Mais voici que la persécution menace à leur tour les prêtres constitutionnels et il va avoir à trembler pour lui. C’est que la Convention, sous la poussée des clubs de Paris composés d’impies et de francs-maçons, ne tendait à rien moins qu’à l’athéisme officiel, à la suppression de tout culte religieux et d’abord du culte catholique, pour le remplacer par celui de la déesse Raison. Après avoir réquisitionné les églises pour le culte de la Raison et interdit l’exercice du culte en dehors du décadi, sans tenir compte du dimanche, ils vont exiger des prêtres jureurs la remise de leurs lettres d’ordination et la renonciation à l’exercice de leur culte. Le 13 avril 1794, Le Carpentier, représentant du peuple (c’est à dire de la Convention) en mission dans la région prend l’arrêté suivant :
« Sont déclarés suspects, tous les prêtres qui ont attendu jusqu’à ce jour pour déposer leurs lettres de prêtrise soit à la municipalité, soit au district ; tous ceux qui, après avoir renoncé à leurs fonctions en ont repris ou continué l’exercice, les autres prêtres qui travailleraient d’une façon quelconque à exciter le fanatisme dans les cités ou dans les campagnes.
En conséquence, tous les prêtres ci-dessus désignés (et tous les prêtres restés dans le pays rentraient dans l’une ou l’autre des catégories énoncées) seront mis en état d’arrestation et conduits à la maison d’arrêt du lieu comme perturbateurs ou ennemis de l’ordre public.
Les autorités constituées sont expressément chargées de procéder à la célébration du décadi dans les lieux où cette institution morale et civique ne serait pas encore établie, comme de veiller à son maintien dans les communes qui ont déjà élevé un temple à la Raison. »
Voilà donc le curé schismatique, malgré son empressement à prêter tous les serments qu’on lui demande et même ceux qu’on ne lui commande pas, considéré à son tour comme suspect et menacé d’être mis en état d’arrestation. Dès le 18 avril, il est à Rochefort-en-Terre devant le district pour y remettre ses lettres d’ordination et de prêtrise et renoncer à ses fonctions sacerdotales. Il rentre à La Gacilly et n’osera plus remplir publiquement les fonctions de son ministère. Il devient alors agent de recensement pour les toiles puis pour les chanvres et enfin pour les grains. En cachette, il continue à baptiser, à confesser et à marier religieusement. René-Noël Rubault sera membre du synode de Lorient en juillet 1800 avec le titre de vicaire de La Gacilly depuis 1776.
[1] Histoire de La Gacilly par J.C Magré
[2] Bulletin Archéologique de 1854
[3] Noblesse Bretonne au XV Siècle par le Comte de Laigue
[4] abcdblog Hautetfort.com
[5] Martyrs de la Révolution par G. Mathiot
[6] Histoire de la Révolution dans les Départements par A. Duchatelier
[7] Revue Prospections – Juillet 1988 – Les Trésors Enfouis de la Chouannerie – p. 14 - D. AUDINOT
[8] Général Lemené
[9] Revue Morbihannaise la Famille de Rieux par P.Merlet
[10] Histoire de la Révolution dans le Département prêtres par Duchatelier
.
Mon grand-père, Jean-Baptiste Vincent de Gouyon de Coipel, épousa Marie-Phénix de FOUCHER de CAREIL, fille d’un premier mariage d’un conseiller au parlement de Bretagne. Ils eurent 7 enfants : 4 garçons et 3 filles.
Mon père, Louis de Gouyon, vécut d’abord à la Villejanvier avec Laurent et fut maire de Cournon. Ensuite, il épousa Melle de BLOIS et s’installa au Haut Sourdéac en Glénac (qu’il appelle seulement "Sourdéac"). Il fut alors maire de Glénac et exploita, après 185O, des mines de fer qui se trouvaient pratiquement sous la propriété. Cela ne porta pas chance à cette dernière : la maison s’effondra sans prévenir vers 1900 alors qu’elle appartenait à Madame de Tonquédec, fille de l’oncle Armand. Celui-ci mourut fort âgé en 1892.
|
Château du Haut-Sourdéac |
Coup d’œil sur la Société du Pays avant la Révolution.
Pour faciliter l’étude des évènements qui vont suivre, il est nécessaire que nous fassions connaissance avec l’entourage du Haut-Sourdéac, c’est-à-dire, avec les familles qui habitaient dans un certain rayon. Nous allons commencer par Glénac.
Le vieux château de Sourdéac, appartenant aux de Rieux, n’était habité que par un procureur fiscal et même les dernières années avant la Révolution, il ne l’était pas du tout. C’était un Hoeo La Valliere qui habitait au Boisjumel en Carentoir qui remplissait cette charge et qui venait seulement une fois la semaine donner audience.
La Forêt -Neuve, également aux de Rieux, était habitée par un homme d’affaires, Mr. Joyaut de Coisnongle homme fort respectable ainsi que toute sa famille. Il vivait simplement et voyait la société du pays. Il y avait aussi un chapelain entretenu par les de Rieux qui n’avait autre chose à faire que de dire sa messe à la chapelle du château.
La famille de Quelo qui habitait la Gaudinaye, était composée du père, de la mère (qui était une de Forges), d’un garçon et de trois filles dont les deux ainées épousèrent les deux frères Boudet, colons de St-Dominique dont l’un prit le nom de Boudet de Cadouzan parce qu’il acheta cette terre de la famille de sa femme et l’autre Boudet de la Noê-Cado qu’il habita jusqu’à sa mort après l’avoir achetée. Enfin ,la troisième fille paralysée depuis 18 ans est morte à la Gaudinaye à 75 ans la dernière de cette famille éteinte.
Le Grand Clos habité d’abord par les demoiselles de la BOURDONNAYE, puis par un vieux prêtre Mr MACE, fut enfin acheté par Mr de FOUCHER.
Le Haut Sourdéac était habité par ma grand-mère et sa famille,
La Chouanière par la famille Rado composée du père, de la mère, de 2 garçons et de 3 filles dont la dernière, veuve d’un M. La Piclière et qui en avait deux enfants, épousa en deuxième noce Mr. GENTIL, juge de paix à Redon et devint mère de l’ancienne supérieure de la Retraite.
Enfin, au bourg, demeuraient deux sœurs de Mr. de QUELO de la GAUDINAYE qu’on nommait l’une Mademoiselle de CADOUZAN, l’autre Mademoiselle de VILLELOUET.
Dans les Fougerets, il n’y avait que Mr. BOUDET de la NOÊ-CADO qui demeurait dans son trou à bord de la lande et y mangeait 50 à 60.000 livres de rente et , au Pont d’Oust, deux vieilles demoiselles des AULNAYS.
A Saint-Martin, Castellan était habitée par le marquis de CASTELLAN qui se maria plus tard avec une demoiselle de la RUEE et qui n’eut qu’une fille plus tard Madame de BOTTEMONT.
La Houssaye était habitée par la famille de ce nom, famille très nombreuse dont 3 garçons étaient chevaliers de Malte.
La Luardais était habitée par deux vieilles demoiselles TIREL.
A Carentoir, la Guichardaye par la famille de CARHEIL.
La Herblinaye par les de BOREL.
La Villequéno par les TALHOUÊT.
La Chouannière par les MARNIERES.
La Meule par les GUILLERMAT.
La Bourdonnaye n’était habitée que momentanément.
Peccadeuc par les PICOT de PECCADEUC.
La Touche-Péchard par les LA BOUEXIÈRE.
A Sixt, la Cour de Sixt par la famille LA SOULAIS.
Trégaret par une famille de la RUEE.
Pommeris par les GOURO de POMMERIS.
La Haye du Déron par les MORAUD de CALLAC.
A Bains, la Giraudais par les du FRESCHE.
La Rouardaye par les LEVEQUE DE LA FERRIÈRE.
A St-Vincent, Boro par les PIOGER.
Launay par les COUESSIN ?
Une maison au bourg par les demoiselles de la LANDELLE.
A Peillac, la Gräe également par une famille de la LANDELLE.
A Tréal, le Préclos par les de la RUÉE.
Voilà, à peu près, la société que fréquentait ma famille avant la Révolution. Je ne m’étendrai donc pas plus loin.
Manière de Vivre de la Noblesse du Pays
Le genre de vie que menait la noblesse à cette époque était tout différent de ce qu’il est aujourd’hui. On ne s’occupait ni d’affaires, ni d’agriculture, aussi en général les fortunes étaient-elles loin d’augmenter. Le commerce était fermé à la noblesse par la seule raison qu’un gentilhomme qui s’y livrait perdait ses privilèges et n’en rentrait en possession que lorsqu’il avait entièrement abandonné les affaires. L’amélioration des propriétés eut cependant été la seule ressource pour augmenter les fortunes, mais l’esprit du temps n’était pas tourné de ce côté. L’agitation continuelle et les plaisirs absorbaient toutes les idées et tous les capitaux. Puis, presque toutes les fortunes de la noblesse comptaient des fiefs dont les revenus ne payaient point d’impôts et arrivaient sans frais. Or l’argent qui arrive facilement est aussi facilement dépensé. Les ordres sacrés, l’armée et la marine étaient les seules carrières ouvertes aux cadets. On pouvait y acquérir beaucoup d’honneur et de gloire, mais il n’y avait que les favorisés de la fortune qui pouvaient arriver aux grades élevés attendu que les régiments et les compagnies s’achetaient. Aussi la majeure partie des officiers se retiraient avec la modique pension de capitaine. On voit que cette carrière honorable ne pouvait que rarement procurer la fortune.
Les habitants des châteaux se voyaient fréquemment et sans cérémonie. On allait toute une famille passer une semaine entière chez des voisins, à titre de revanche. C’étaient des parties de plaisir continuelles. On faisait, en général, assez bonne chère. Les grands-parents jouaient le boston ou le reversis et la jeunesse aux barres, à la boule et aux quilles; pendant le jour on allait recruter des danseurs pour le soir. La danse finie, on se retirait dans les chambrées, les dames d’un côté, les messieurs de l’autre. On dédoublait les lits. Une paillasse par terre et un matelas était réputé un lit excellent pour la jeunesse et, si les convives étaient trop nombreux, les jeunes gens allaient au grenier à foin et tout était dit.
Vous vous étonnerez, peut-être, qu’à cette époque où il n’y avait pas dans tout le pays, sauf les routes royales, un seul chemin praticable, on pût dans le fond des campagnes se réunir continuellement et en si grand nombre. Eh bien, c’était chose beaucoup plus simple qu’aujourd’hui quoique nous ayons chevaux et voitures. On prévenait un de ses fermiers de graisser sa charrette et de bien soigner ses bœufs, on jetait sur quelques cercles un drap bien blanc, on plaçait trois sacs de paille ou de foin en travers de la charrette, les dames montaient par devant, on faisait pour cela écarter un des bœufs, et les chambrières par derrière. La descente comme la montée s’opérait de même au moyen d’une chaise et d’un bras galant ou secourable. Quant aux hommes, ils montaient les petits chevaux du pays et le plus souvent à pied.
Voilà la vie que menait la noblesse avant et jusqu’à la Révolution. Cela s’appelait vivre noblement, c’est-à-dire ne faisant aucun commerce, ni n’exerçant aucune fonction dérogatoire qui put la priver de ses privilèges. Cependant , la culture de ses propres terres n’était pas regardée comme dérogatoire, aussi dans plusieurs anciennes maisons, on comptait des membres de la famille, cadets presque sans fortune qui vivaient comme des paysans. Cela ne les empêchait pas de porter l’épée et d’aller aux Etats comme les autres.
On les appelait les épées de fer. En revanche, ils désignaient la noblesse de robe par les " robins " et les riches parvenus par les charges achetées par le mot " les carrossiers ". Ils étaient invités, comme les autres, aux dîners et bals qui avaient lieu chez les autorités lors des tenues d’état.
Dans une pareille circonstance, un RADO de la CHOUANNIERE, qui frisait de très près l’épée de fer et qui ne passait pas pour un aigle donna un coup de boutoir qui eût été un prodigieux succès dans tout le reste de la tenue des états de 1781 à Rennes. Voici le fait.
A un grand dîner, chez l’intendant de la province, je crois, il se trouvait un assez grand nombre de carrossiers d’assez fraiche noblesse qui traitèrent le bonhomme RADO un peu cavalièrement à son entrée dans le salon. Il en fût piqué. Lorsqu’on passa dans la salle à manger, la maitresse de maison s’occupait de placer ses convives comme on faisait alors en les appelant par leur nom. M. le marquis, Mme la Comtesse, M. le Vicomte un tel etc...
Le bonhomme qui se croyait, avec raison, de meilleure roche que la plupart d’entre eux, outre que le privilège de ses cheveux blancs lui donnait droit à certains égards, fut mortifié de voir qu’il ne serait pas placé comme il croyait devoir l’être. En conséquence , il s’assit à la place d’un autre que la maitresse de la maison désignait déjà du regard, en disant : " Au milieu de tant de comtes et de marquis, je vois qu’il n’y que moi de gentilhomme ici et je prends ma place ". Ce fut un véritable coup de théâtre. Plus d’une figure s’allongea, d’autres se mordirent les lèvres. Le maitre et la maitresse de maison se regardèrent fort déconcertés, mais que dire à un vieillard presqu’octogénaire. Tout le monde garda le silence et la gaité du diner se ressentit de la mauvaise impression causée par la boutade du vieux Celte.
Cependant, parmi les convives, il y en avait un certain nombre que cette sortie un peu rustique ne pouvait atteindre; ceux-là souriaient malignement en regardant ceux à qui elle s’adressait.
Aussi dans la soirée tous les salons de Rennes connaissaient cette petite scène, on riait beaucoup de la jeunesse mordante du propos et de la déconvenue des personnes à qui il était adressé. On peut dire que le bonhomme RADO revint à sa Chouannière sans se douter qu’il était l’homme dont on s’occupait le plus aux états de Bretagne.
C’est peut-être ici la place de vous expliquer à qui s’appliquait particulièrement l’épithète de Carrossiers. La noblesse de fortune moyenne et les épées de fer ne désignaient point ainsi tous les membres riches de la noblesse. Cette dénomination s’appliquait aux familles anoblies récemment par les charges qui s’achetaient et qui, sortant généralement du haut commerce, étaient fort riches. Lorsqu’un négociant se trouvait assez riche pour quitter les affaires, il tachait d’acheter une charge soit à la chancellerie à la cour des comptes ou de se faire nommer échevin de la ville de Nantes qui avait le privilège de conférer la noblesse. La noblesse d’épée plus ancienne avait coutume de dire : " Noblesse d’épée vaut mieux que noblesse de robe ".
En effet, les lettres patentes instituées par François II en 1559 avaient leur raison d’être, mais les rois battirent monnaie et en abusèrent si bien qu’il y eut de fortes réclamations lors des dernières réformations et Louis XIV fut obligé de retirer certains titres, mais il ne rendit pas l’argent. Sous Louis XV, ce fut bien pire encore. Là comme ailleurs, il fallait des réformes.
Dans le clergé, il s’était aussi glissé de grands abus. Je ne veux pas m’étendre là-dessus; je n’en citerai qu’un seul qui porta la désorganisation et souvent la démoralisation dans les communautés d’homme, je veux parler de la commande, c’est-à-dire que la nomination des abbés portant crosse et mitre étant réservé au roi comme celle des évêques, il arriva souvent que les rois nommèrent leurs créatures, même des gens qui n’avaient d’abbé que le nom, qui ne mettaient jamais les pieds dans leurs couvents dont ils se bornaient à toucher le 1/3 du revenu. La plupart cependant étaient ecclésiastiques, mais ne pouvaient pas d’avantage résider, étant déjà pourvus ailleurs. C’est ainsi que le dernier abbé des Bénédictins de Redon fut un évêque de Verdun. Je ne pense pas qu’il n’y soit jamais venu.
Cela était sujet à de grands abus. Cet état de choses appelait de grandes réformes et Louis XVI les eût accomplies. Mais l’esprit français dépasse toujours le but et au lieu de réformes sages, la démagogie fit table rase.
Mariage de mon Père - Portrait de Mr. FOUCHER, Oncle, puis Beau-frère de mon Père.
Pendant les trois ans où nous avons laissé Mr. et Mme de FOUCHER et sa sœur à Plôermel, mon père avait eu plusieurs fois l’occasion de voir Melle de KERVEN chez son oncle (n’oublions pas que Mr. de FOUCHER était le mi-frère de sa mère). Il la trouvait fort à son goût, mais n’était pas encore décidé à la demander en mariage. La Providence qui avait des vues hâta cet événement en les rapprochant. Voici à quelle occasion.
La Révolution approchait, les événements marchaient, les esprits s’échauffaient de part et d’autre, la bourgeoisie ou le Tiers État était fort exalté. La maison voisine de celle de Mr. de FOUCHER à Plôermel avait un jardin, qui n’était séparé du sien que par une haie et le propriétaire était justement le chef du parti du Tiers dans cette ville. Or, un jour qu’il y avait réunion des plus marquants dans ce jardin, Mr. de FOUCHER qui les entendait et qui, peut-être, avait bien diné, osa s’écrier assez fort pour qu’on l’entendit : " Tiers, apporte-moi du papier pour torcher mon derrière " Cette insolence faillit le faire écharper. Il y eut en un clin d’œil rassemblement tumultueux devant la maison et le père FOUCHER n’eut que le temps de filer abandonnant ces dames et son enfant à la merci de la populace. Ces dames étaient aimées et le coupable ayant pris la clef des champs, on finit par les laisser tranquilles.
Pour lui, il courut toute la nuit et arriva le lendemain à Sourdéac chez sa sœur assez penaud, mais sans se vanter de sa malencontreuse affaire. Cependant , des lettres de Plôermel arrivèrent qui lui faisaient savoir qu’il ne fallait pas songer à y revenir. Heureusement le Grand Clos, habité par un vieux prêtre retiré nommé Mr. MACÉ, se trouva libre par la retraite à Rennes de son propriétaire qui consentit à l’affermer à Mr. de FOUCHER lequel ne tarda pas à l’acheter lorsque la mort de Mr. MACE arriva. Il s’empressa de s’y installer et d’y faire venir ces dames. Voilà comment ma mère se trouva amenée, pour ainsi dire, par la Providence à achever la connaissance de mon père et à devenir sa femme.
Le mariage eut lieu en 1790 et le nouveau ménage habita Sourdéac avec leur mère et les autres frères et sœurs. Les deux militaires FOUCHER, frères de celui du Grand Clos, continuèrent à y venir passer leurs semestres. J’aurai souvent l’occasion de vous en parler, mais surtout de l’aîné devenu le beau-frère de mon père, oncle qu’il était avant. Quoiqu’il eut soin de le lui rappeler de temps en temps, mon père ne le goutait guère et ne le respectait pas davantage. Il faut avouer que c’était un assez drôle de personnage et je vais essayer de vous en faire le portrait. Il était de taille moyenne et d’un physique agréable. Il ne manquait pas d’esprit et de connaissance, mais avait un caractère léger et sans consistance avec un grand fond de vanité. Insolent quand il n’y voyait pas d’inconvénient, il devenait obséquieux dès qu’il avait la moindre chose à craindre. Il se vantait même de sa poltronnerie. A part des petits défauts, bon homme au fond.
Bavard et curieux à l’excès, toujours à l’affût des nouvelles, pour lui le dernier mot de la politique était la prudence. Quoiqu’il fut légitimiste au fond, il avait toujours refusé de se faire inscrire sur les listes électorales et il en voulut beaucoup à Mr. Armand de PIOGER qui à la fin de la Restauration en 1829, lorsqu’il y avait besoin de toutes les forces du parti pour combattre la Révolution, l’avait fait inscrire d’office, à 74 ans, quand il est mort, il n’avait encore que 15 ans pour la raison.
Je n’en finirais pas si je voulais vous raconter toutes les anecdotes dont il fut le héros. J’en raconterai pourtant quelques-unes au fur et à mesure de mon récit. Ce sera le meilleur moyen de vous le faire bien connaître. En voici une qui aurait pu être tragique.
On était à la fin d’Octobre et le père FOUCHER était allé sur son bidet, comme on voyageait alors, toucher les revenus de sa terre de Careil près Guérande et ne devait rentrer que fort tard car la route était longue et déjà la nuit se fait de bonne heure à cette époque. Ses deux frères étaient à ce moment à Sourdéac et l’un d’eux dit, en faisant une partie de cartes avec mon père et le chevalier : " il va faire bien noir ce soir, c’est mon frère qui va avoir une fière peur. Si nous allions l’attendre sur le chemin en simulant une attaque de voleurs ? "
« Oui, répondit-on, c’est cela, nous allons rire. »
« Mais, dit l’autre frère, je l’ai vu mettre des pistolets dans ses fontes, s’il allait s’en servir. »
Lui ! dit mon père, impossible ,je parie ce que vous voudrez qu’il n’osera pas s’en servir. C’était une grande imprudence et mon père n’était pas plus sage que les autres. Ils le sentaient si bien qu’ils convinrent de n’en rien dire à ces dames et de prétexter une course quelconque pour leur donner le change. La nuit approchant, ils allèrent se poster dans un chemin creux affreusement boueux et noir qui se trouvait en Bains, un peu avant le village de Panleur et par où il fallait absolument passer pour gagner la chaussée du passage du Port-Corbun. Ils attendirent quelque temps dans les champs au dessus, deux de chaque côté. Ils s’étaient partagé les rôles. Deux devaient accoster par les côtés et les deux autres par-derrière et par devant afin qu’il ne pût leur échapper.
Bientôt, on entend le pas de la haquenée dans la boue du chemin. Aussitôt, chacun à son poste saute dans le chemin au moment favorable en criant : " La bourse ou la vie " puis se rapprochant ils saisissent le cheval de tous côtés. La valise et les fontes s’y trouvaient bien, mais de cavalier plus question. Ils l’appelèrent de tous côtés sans résultat et le crurent tomber sans connaissance quelque part. Mais il faisait si noir qu’ils ne purent rien voir et se disposèrent à regagner Sourdéac avec leur prise, mais assez inquiets de ce qui allait en résulter car, s’il arrivait en cet état jusqu’au Grand Clos, sa femme pouvait être surprise par la frayeur. Ils se hâtèrent donc pour arriver au passage avant lui s’il était possible. Il n’y vint pas, ayant pris sa course vers la Chouannière où il se fit passer. Ces messieurs ne dirent rien aux dames et comptaient aller jusqu’au Grand Clos après le souper qui était servi. On se met à table assez penaud.
Tout à coup, la porte s’ouvre et le père FOUCHER blême, hagard, crotté des pieds à la tête fait son entrée dans le salon ; il leur fallut enfin faire leur confession devant ces dames. Le père FOUCHER était tout malade de frayeur. On se hâta de le soigner. Il coucha à Sourdéac et ne rentra au Grand Clos que le lendemain matin. Il avait recouvré son assiette. Il ne parla plus de son aventure et nos jeunes fous se gardèrent bien de la lui rappeler. Il riait volontiers de ses frayeurs, mais de celle-ci il ne parlait jamais.
Quelque temps après, Auguste (le fantassin) partait pour Brest où il allait embarquer pour la Guadeloupe et Louis (l’artilleur) rejoignait son régiment à Rennes. Il se maria à une demoiselle BOREL de BOTTEMONT, tante de Mr. de BOREL qui a habité Castellan et qui y est mort en 1859 ; il perdit sa femme au bout de cinq ou six mois de mariage.
AUTRE ANECDOTE de M. de FOUCHER.
Comme je viens de vous raconter une anecdote forte désagréable pour Mr. de FOUCHER, je tiens à vous parler d’une autre anecdote qu’il affectionnait beaucoup et qu’il racontait complaisamment avec un certain orgueil. Pour cela, il faut revenir en arrière, avant son mariage et à nous reporter à la tenue des Etats de Bretagne qui avaient lieu après la guerre de l’Indépendance d’Amérique.
La plus grande partie de cette armée débarqua à Brest; il passa beaucoup de troupes à Rennes et les officiers qui y séjournaient, recevaient des invitations chez les autorités. A un bal chez l’intendant de la province, Mr. de BEAUHARNAIS (le premier mari de l’impératrice Joséphine et père du prince Eugène et de la reine Hortense), jeune général revenant d’Amérique dansa beaucoup et tellement bien que tous les beaux danseurs bretons furent éclipsés. L’amour propre national fut piqué au vif. Monsieur de BEAUHARNAIS passait pour un des plus beaux danseurs des bals de la reine où les jeunes grands seigneurs faisaient assaut de beaux pas et de grâces.
Les gentilshommes bretons ne pouvaient pas rester sous le coup d’une défaite. On en parla dans tout Rennes le lendemain et le président de la noblesse donnant un bal où Mr. de BEAUHARNAIS devait assister, on choisit les trois meilleurs danseurs parmi les jeunes gentilshommes présents aux Etats pour danser un quadrille avec lui et venger l’honneur de la province. Ce furent : le marquis de KEROUARTZ (père de votre tante Elisa), Monsieur de LAMBILLY (père de Mme DUSMOUSTIER de Redon) et Monsieur de FOUCHER.
Les danseuses dont je ne me rappelle plus le nom durent aussi être choisies parmi les sylphides les plus habiles. Ce quadrille fut splendide et passionna l’assistance, on montait sur les chaises et les banquettes pour ne pas perdre un seul entrechat; les ronds de jambes et les jettés-battus des danseurs se multiplièrent si bien que le général de BEAUHARNAIS en fut abasourdi et le triomphe des Bretons fut complet.
Mr. de FOUCHER n’était pas celui qui triomphait le moins. Lorsqu’il racontait ce glorieux épisode, il entrait dans tous les détails et décrivait les costumes des danseurs sans oublier un bouton. Il s’animait et parlait avec une telle volubilité et une telle importance qu’il était alors curieux à voir.
Mais reprenons notre récit où nous l’avons laissé. Pendant le reste de l’hiver et l’été qui suivirent, les événements politiques marchèrent rapidement. Le parti de la Révolution grossissait et prenait de l’audace. La noblesse et le Parlement résistaient et l’agitation régnait partout dans les villes comme dans les campagnes.
Le tiers état ou la bourgeoisie tenait déjà des conciliabules et des espèces de clubs qui s’entendaient avec les meneurs de Paris.
La noblesse de son côté ne restait pas inactive et se réunissait aussi dans les châteaux pour organiser les protestations et les moyens de résistance. Les réunions du Préclos avaient lieu au Préclos en Tréal chez Mr. de la RUÉE, ancien officier d’une grande bravoure, mais n’ayant rien de ce qui caractérise un chef de parti surtout pour l’organisation secrète. Aussi tout ce qui se faisait et se disait dans les réunions du Préclos était-il connu à Plôermel où il y avait une garnison et où le parti du tiers était considérable comme nous l’avons vu plus haut. Pendant six semaines à deux mois, ce furent des allées et venues continuelles. La maison était toujours pleine et on parlait la bouche ouverte.
Le commandant des dragons de Plôermel reçut ordre de surveiller ces réunions. Or l’émigration n’ayant pas encore commencé, les officiers étaient encore pour la plupart des membres de la noblesse ou des gens bien intentionnés pour le parti du roi. Cet officier s’empressa de faire prévenir Mr. de la RUÉE, l’engageant de faire cesser les réunions pour lui éviter des procédés fort désagréables. Cet avis indirect, partant d’un cœur noble et généreux, ne fut pas pris en très bonne part au Préclos. On convint de continuer les réunions et même de s’y rendre en armes afin de repousser au besoin la force par la force. C’était une folie. Mon père qui y fut plusieurs fois comme les autres ainsi que son frère, le chevalier, en jugeait ainsi et ne le cachait point à ces dames.
L’autorité se lassa enfin d’entendre parler des mesures de résistance que l’on prenait au Préclos. Un soir donc les dragons cernèrent la maison au moment du souper et les arrestations se firent sans résistance et avec les formes de la vieille politesse française. Les prisonniers ne furent pas gardés longtemps à Plôermel. Cette affaire, connue sous le nom d’échauffourée du Préclos, s’étouffa dans le ridicule et chacun revint chez soi. Mon père et mon oncle chevalier ne se trouvant pas ce soir-là au Préclos ne furent point inquiétés. On peut voir cependant ce que le chevalier en dit dans ses mémoires.
Si je suis entré dans les considérations générales et les détails qui précèdent, c’est pour bien vous faire comprendre la position de chacun et l’état général du pays avant la Révolution. Je reprends les événements de famille où je les avais laissés.
L’artilleur FOUCHER étant devenu veuf au bout de quelques mois de mariage, pour faire diversion à sa douleur, ma mère l’invita à demander un congé et à venir passer quelque temps à Sourdéac. Pendant le séjour qu’il y fit, les événements politiques de la plus grande gravité étaient sur le point de s’accomplir. Des assassinats sur différents points en étaient le triste prélude.
L’assassinat de deux jeunes gentilshommes à Rennes, Messieurs de BOISHUE et de SAINT-RIVEUL provoqua dans la noblesse une grande effervescence. De toute part, on marcha sur Rennes où l’on devait se trouver en armes un jour donné. Mon père, le chevalier, l’artilleur FOUCHER et leur voisin Mr. RADO de la CHOUANNIERE furent prévenus dans l’après-midi qui précéda le jour fixé. Ils firent à la hâte quelques préparatifs, cherchèrent des chevaux et résolurent de voyager toute la nuit, espérant arriver à Rennes le lendemain de bonne heure.
Quoiqu’on fût au mois de novembre, il avait fait assez sec et l’Aff était guéable. Ils passèrent donc cette rivière au gué de la Vallée et résolurent d’éviter les grands bourgs. Ils devaient prendre les landes de Sixt et de Bruc, se diriger vers Maure et ne prendre la grande route qu’à Pont-Réan. Mon père se fit fort de guider la caravane, mais il avait compté sans le brouillard qui grâce à l’absence de la lune fit une nuit tellement noire qu’on ne voyait pas à deux pas. Or, sur les landes où il n’existe aucun arbre ou édifice qui puisse servir de repère quand on ne peut voir à une certaine distance, tous les chemins se ressemblent et il est bien difficile de se conduire. Ils devaient en faire la triste épreuve. Ils marchaient depuis longtemps sans rencontrer aucun des points qui devaient leur servir de jalons. On s’arrêta, on tint conseil et mon père avoua ne plus savoir du tout où ils se trouvaient. Enfin, après avoir changé de direction plusieurs fois sans rencontrer une seule maison, ils virent un chemin qui leur paraissait plus battu que les autres et le prirent dans l’espérance qu’ils les conduiraient à quelque village.
Le jour s’annonçait déjà comme une lueur imperceptible quand ils arrivèrent à une ferme. Ils frappèrent à la porte et le fermier qui allait se lever quand il entendit leur voix les reconnut et vint leur ouvrir. Où sommes-nous demande mon père ? Ah ! Monsieur de GOUYON vous le savez aussi bien que moi, vous v’lez donc vous gausser de nous ? - C’était le fermier du Tertre près la Villejanvier qui répondait ainsi. Ces Messieurs restèrent stupéfaits. Ils avaient voyagé toute une nuit froide d’hiver pour se retrouver échinés au point de départ, lorsqu’ils se croyaient sur le point d’arriver à Rennes. Jugez de leur désappointement. Mais il fallait en prendre son parti, leurs chevaux étaient rendus et eux aussi. Ils reprirent donc le chemin de Sourdéac où ils s’empressèrent de se coucher pour réparer un peu leurs forces.
Quelques jours plus tard, vu la gravité des circonstances, Mr. de FOUCHER rejoignit son régiment. Les Etats ou plutôt la réunion de la noblesse voyant la guerre civile éclater à Rennes, dut se réunir de nouveau à Saint-Brieuc. Mon père y alla avec un grand nombre de gentilshommes du pays. On y protesta contre les mesures révolutionnaires, mais les événements précipitaient rapidement la France vers l’anarchie.
En 1790, les princes quittèrent la France et se rendirent à Coblentz. Presque tous les jeunes gens de la Cour les suivirent. Le mot d’ordre fut donné partout et presque tous les jeunes gens et même les hommes mûrs en état de porter les armes les imitèrent. On forma un corps d’émigrés qu’on appela l’armée des princes. On partait le cœur gai en disant que, dans trois ou quatre mois, on rentrerait triomphant dans Paris. Tout le monde partageait cette illusion. Elle était en effet bien pardonnable. L’armée avait par l’émigration perdu presque tous ses officiers, qu’on remplaçait à la hâte par des sergents qui en quelques mois furent improvisés officiers supérieurs et généraux et telle était l’excellente constitution de cette armée, que plusieurs furent à la hauteur de leur nouvelle position et sont devenus des hommes de guerre remarquables. Du reste, l’illusion serait probablement devenue une réalité sans la trahison du roi de Prusse comme on le verra tout à l’heure. Si les événements prouvèrent que l’émigration fut une faute, ça ne fut point une folie comme beaucoup l’ont dit ensuite. Elle eut des conséquences funestes surtout pour les fortunes que l’état s’empressait de confisquer; mais il était tout simple que les nobles traqués en France comme des bêtes fauves cherchassent à se soustraire à un sort si affreux et l’honneur commandait à ces gentilshommes qui de droit étaient tous soldats de répondre à l’appel des princes pour travailler de concert au rétablissement de la royauté.
Mon père, le chevalier son frère et son ami Monsieur GUILLARD des AULNAYS dont les parents habitaient le Lindreuf en Caden, Messieurs de QUELO père et fils de la Gaudinaye partirent pour l’armée des princes et y arrivèrent pour ainsi dire les premiers. Il en résulta que mon père qui n’avait servi que dans la marine marchande fut tout d’abord nommé sergent-major parce qu’on se servait, pour composer les cadres, de ce qu’on avait sous la main et qu’il connaissait assez la comptabilité, ce qui n’était pas le fort de la noblesse en ce temps-là. Les nouveaux arrivants étaient incorporés comme simples soldats et je lui ai entendu dire qu’au moment de l’entrée en campagne, il avait dans sa compagnie plusieurs officiers portant le sac sous ses ordres. C’était en 1791. Mon père avait 26 ans et le chevalier 21. Mon père entra dans les gendarmes à cheval, mais comme son frère n’aimait pas le cheval, il entra dans les chasseurs nobles et ils furent séparés. Son ami des AULNAYS qui ne le quitta point de toute la guerre et qui fut tué comme lui dans les derniers combats entra aussi dans les chasseurs, ainsi que Messieurs de QUELO père et fils. Ce fut ce dernier qui rapporta à la famille le précieux manuscrit où le chevalier raconte ses aventures jour par jour et qu’il avait sur lui lorsqu’il fut frappé d’une balle à Oberkamlach. Il est dans les papiers de famille.
Cette armée entra en campagne formant l’avant-garde de l’armée prussienne. Elle arriva de succès en succès jusqu’au- delà de Verdun; les premiers avant-postes des émigrés n’étaient plus qu’à 45 lieues de Paris. Tout le monde considérait la Révolution comme finie et elle l’était bien certainement si la marche de l’armée eût continué; mais les meneurs de la Révolution connaissaient l’avarice du roi de Prusse, allèrent à sa rencontre munis des diamants de la Couronne de France et achetèrent la paix qui fut conclue à Verdun.
Je n’entreprendrai pas de décrire la douleur, la rage et les malédictions qui éclatèrent contre le roi de Prusse tant l’armée des princes que dans toutes les classes honnêtes en France.
Le coup était d’autant plus terrible qu’il était imprévu et que tout le monde, au contraire, se réjouissait du rétablissement de l’ordre, ce qui fut indubitablement arrivé sans cette cupide trahison. Au reste, la Prusse l’a payée bien cher plus tard, car l’empereur Napoléon qui avait cette nation en horreur la pressura de toutes les manières et sous toutes les formes.
Les pauvres émigrés furent donc obligés de battre en retraite en maugréant. Arrivés en Prusse ils furent tout simplement licenciés et seraient morts de faim si la Russie et l’Autriche n’en eussent pris un grand nombre à leur service. Ils furent si bien traités surtout ceux qui passèrent en Russie que plusieurs dépouillés de leurs biens en France ne rentrèrent pas et remplirent, dans ces pays, de très hautes positions.
Mon père et son frère le chevalier n’eurent pas cette bonne inspiration. Le premier passa en Angleterre et même à Jersey pour se rapprocher de la Bretagne où il espérait rentrer. Il passa d’abord à Londres et s’associa à deux autres officiers de marine pour acheter une barque en commun et faire le métier de pêcheurs. Il donna aussi des leçons de danse à Jersey. Quant au chevalier, il resta en Allemagne avec ses amis QUELO et des AULNAYS et ils vécurent forts misérablement attendant toujours une nouvelle campagne.
Avant de terminer ce chapitre, il faut que je vous parle de l’artilleur FOUCHER. Nous l’avons vu quitter Sourdéac avant l’expiration de son congé à cause des événements politiques. Lorsqu’il arriva à son régiment, plusieurs officiers avaient déjà quitté le service. En rentrant, il se trouva capitaine. Malgré cela, il voulait donner sa démission et émigrer, mais le manque d’argent l’en empêcha d’abord, puis les grades venant rapidement, cela lui devint de jour en jour plus difficile, car on exerçait une grande surveillance sur les chances de la fortune. Elle le servit bien puisqu’il fit plus tard général sous l’Empire et sous la Restauration. Nous allons donc le perdre de vue pendant longtemps et aller retrouver ces dames que nous avons laissées seules à Sourdéac après le départ des émigrés.
Mon père et le Chevalier partis avaient laissé ces dames sous le coup d’une vive douleur, car on avait beau se dire que, dans quelques mois, l’armée des princes entrerait à Paris et rétablirait l’ordre et le pouvoir du roi, ils n’étaient pas exposés aux hasards d’une guerre qui quoique courte pouvait être très meurtrière. Comme on le pense bien, le gouvernement cachait à la France le plus possible le succès des émigrés, mais on le connaissait néanmoins et on vivait dans l’espérance d’apprendre d’un jour à l’autre leur entrée dans Paris.
Quelle ne fut donc pas la stupéfaction générale quand on apprit que l’armée victorieuse des émigrés battait en retraite sans avoir éprouvé le moindre échec. On ne s’expliquait pas ce changement subit. Le mot de trahison fut bien prononcé, mais on ne savait encore à qui l’appliquer. Plus tard, quand on connut l’énormité de ce malheur, le découragement s’empara de tous les esprits.
Ce fut après cette malheureuse trahison que commencèrent les arrestations, les visites domiciliaires et les tracasseries de tous genres. Aussi l’émigration recommença sur la plus grande échelle. Ce n’étaient plus seulement des hommes qui allaient servir le roi en rejoignant l’armée des princes. C’étaient des familles entières avec les femmes et les enfants qui fuyaient une patrie où leurs jours étaient menacés.
C’est ici le moment de parler des différentes familles du pays, de celles qui émigrèrent comme celles qui restèrent, soit qu’elles s’y décidassent de leur pleine volonté, soit qu’elles n’en eussent pas les moyens. On comprend en effet qu’il fallait pour cela beaucoup d’argent comptant et l’on ne pouvait pas emprunter, car, comme à toutes les époques de perturbations politiques, les capitaux se resserraient et le taux de l’argent devenait énorme. Quoique bien effrayées des événements, ces dames restèrent à Sourdéac.
Les FOUCHER du Grand Clos en firent autant.
Les dames de QUELO restèrent à la Gaudinaye.
Mr. et Mme BOUDET de la NOÊ-CADO aussi.
Les PIOGER et les du FRESCHE restèrent chez eux.
Mr de CARHEIL émigra. Il habitait en ce moment Launay, près de Nantes, qu’il venait de rebâtir. Sa femme y resta, mais elle fut bientôt obligée de se cacher après l’incendie du château par les révolutionnaires de Nantes et la confiscation de la propriété qui ne trouva pas d’acquéreur. Elle fut longtemps cachée dans l’étang de Launay au milieu des joncs, sur une petite île où on lui avait arrangé une petite cabane.
Les BOREL et les du BOT de la GREE durent se cacher à Paris.
Mr de CASTELLAN émigra avec sa famille. Les dames passèrent en Espagne et le Chevalier les retrouva à Bilbao comme il le raconte dans ses mémoires.
Mr de GUER quitta Coätbot avec toute sa famille.
Le clergé des paroisses était resté jusque-là à son poste sans prendre part à l’émigration, mais le 27 Novembre 1790 parut la fameuse constitution civile du clergé qui ne reçut point l’approbation du Pape. On obligea les ecclésiastiques à prêter le serment à cette constitution qui était un véritable schisme. Presque tous refusèrent et furent traités de réfractaires et d’intrus et bientôt poursuivis.
Peu de temps après, le Morbihan fut le premier département de l’Ouest à protester en armes contre ce décret impie. Il a donc l’honneur des prémices de la résistance à la République quoiqu’il ait été plus tard bien dépassé par la Vendée. Voici ce qui se passa.
Monseigneur AMELOT évêque de Vannes avait refusé le serment; quelques vauriens prétendus patriotes le forcèrent à arborer la cocarde tricolore. Le bruit se répandit dans les campagnes que l’Evêque était prisonnier. Aussitôt un rassemblement de plusieurs milliers d’hommes se forma aux portes de la ville et remit une réclamation pour la liberté des cultes. On leur opposa quelques troupes de ligne et la garde nationale. Ils se retirèrent en disant qu’ils viendraient chercher la réponse.
Les Révolutionnaires de Vannes furent très effrayés. Un courrier fut expédié à Lorient d’où on envoya des troupes, de l’artillerie et les fameux dragons rouges de Beysser, espèces de garde nationale à cheval formée par cet ardent révolutionnaire. Les paysans qui avaient connaissance de ce déploiement de force militaire, eurent cependant la sottise de tenir leur parole. Six jours après, ils arrivèrent du côté d’Elven au nombre de 4000 armés de fusils de chasse, de fourches et de bâtons. Les troupes de Vannes en furent prévenues de bonne heure et eurent le temps de prendre leurs dispositions. La rencontre eut lieu à peu de distance de la ville; on ne parlementa point, les coups de fusils partirent des deux côtés. Les paysans s’abritèrent derrière les fossés et tiraillèrent assez longtemps, mais les dragons finirent par les mettre en fuite et les poursuivirent. Il y eut des morts et des blessés de part et d’autre et quelques prisonniers furent amenés à Vannes. Je vous cite ceci parce que c’est le premier acte de résistance armée contre la Révolution. On peut dire que c’est la guerre de Vendée et la Chouannerie qui commencent. Il y avait sans doute des chefs. On ne les connut pas d’abord, mais on croit que Messieurs de la HAYE et de FRAUCHEVILLE n’étaient pas étrangers à ce mouvement.
A la suite de tout ceci, un grand nombre d’ecclésiastiques fut forcé de prendre le chemin de l’exil; ceux qui restèrent dans le pays se cachèrent sous divers déguisements. C’est à partir de ce moment que la Révolution institua des évêques et des prêtres constitutionnels qu’on appela communément jureurs.
Nous sommes maintenant en pleine révolution. Je ne suivrai sa marche qu’en ce qui concerne mon récit, c’est-à-dire, en ce qui se rapporte à ma famille.
Comme je l’ai dit, les émigrés après la paix de Verdun, qui ne fut pas longue, se divisèrent. Mon père qui parlait assez bien l’anglais retourna en Angleterre où il gagna sa vie comme pêcheur et en donnant quelques leçons de danse. C’est pendant ce séjour en Angleterre qu’il fut assez heureux pour sauver la vie à Monsieur de la FRUGLAYE de Kerauroux qui se noyait. Un jour, se promenant au bord de la mer, il entendit des cris en français; c’était Mr de la FRUGLAYE qui allait se noyer. Mon père ancien marin nageait fort bien. Il n’hésita pas à se jeter à l’eau et le ramener à bord. Il ne le connaissait pas alors. Je savais cette aventure, mais je l’ai depuis entendue raconter à Mr de la FRUGLAYE lui-même à Kerauroux.
Quelle force de caractère les émigrés français ont montrée partout où l’exil les a conduits ! Ils savaient se suffire à eux-mêmes. On a vu des personnes délicates et habituées aux douceurs de la vie confortable et opulente, se plier en riant à des travaux au-dessus de leurs forces et faire l’admiration des peuples chez lesquels l’adversité les avait jetés.
Par exemple, le marquis de KEROUARTZ, père de votre tante Elisa, qui avait un véritable talent, donna des leçons de dessin; Mr de LAMBILLY de Redon, le figurant au quadrille Beauharnais, donna des leçons de danse; les JACQUELOT du BOISROUVRAY avaient monté un atelier ou petite fabrique de parapluies (Mr DUCHESNE y travailla). Je n’en finirais pas de vous citer des exemples pareils. Toujours est-il que la noblesse française, pendant cette terrible épreuve que lui envoya la Providence, se montra plus forte que ses malheurs. On ne la vit jamais tendre la main; elle préféra toujours le travail.
Le Chevalier et ses compagnons, MM. de QUELO et des AULNAYS, étaient restés en Allemagne espérant reprendre du service. L’armée de Condé ne se reconstituant point encore, ils se trouvèrent dans la plus affreuse misère. Dans ces conditions, mon oncle et son ami des AULNAYS se laissèrent prendre aux belles paroles d’un sergent qui recrutait dans les Pays-Bas pour le compte de l’Espagne et qui leur promettait un brevet d’officier dans les gardes wallonnes. Ils partirent donc pour l’Espagne à destination de Bilbao où ils arrivèrent après une très dure traversée, mangés de vermine et fort mal traités. Dans l’intervalle, l’Espagne ayant fait la paix avec la France, ils furent gardés comme des espèces de prisonniers de guerre et loin d’avoir égard à leurs réclamations par rapport à leurs engagements, on les parqua sur la paille dans une vieille église où ils mouraient de froid.
Ayant appris, qu’un assez grand nombre d’émigrés français, tant prêtres que laïques, se trouvaient dans cette ville, ils eurent l’idée de placarder leurs noms et leurs pays sur la porte et un prêtre breton ayant remarqué ces noms vint les voir et leur apprit que plusieurs dames de leur connaissance se trouvaient à Bilbao et qu’ils auraient pu se racheter du service d’Espagne, mais ils n’avaient pas un sou, ni le moindre moyen de s’en procurer.
Il se trouva que Mme des AULNAYS, la marquise de CASTELLAN, Melle de LAMBILLY et plusieurs autres de leur connaissance faisaient partie de la colonie de Bilbao, ainsi qu’un assez grand nombre de prêtres bretons. Ils se cotisèrent pour les racheter. Il y avait aussi avec eux un du PLESSIS de GRÉNÉDAN qui retrouva là sa tante de GOUVELLO.
On se les partagea et ils vécurent quelque temps dans cette petite colonie attendant une occasion de retourner à l’armée des princes. Le Chevalier fut reçu par la marquise de CASTELLAN dont il fait un grand éloge dans ses mémoires. Melle de LAMBILLY habitait aussi chez elle avec sa nièce Melle LEVALLOIS de SEREAC, aux charmes de laquelle notre jeune chevalier se laissa prendre avec toute l’ardeur d’une première passion. Il le raconte lui-même tout naïvement dans ses mémoires. Cela rendait la position difficile. Il dut donc saisir la première occasion de partir qui lui fut offerte et il repassa en Angleterre et, de là, en Allemagne avec son ami des AULNAYS. Ils furent incorporés dans les chasseurs nobles de l’armée de Condé où ils retrouvèrent les QUELO. Ils en firent toutes les campagnes et furent tués tous les deux, dans la dernière, à Oberkamlach sur la frontière au moment de rentrer en France. Le jeune de QUELO dont le père était mort précédemment se trouvait à côté du Chevalier quand il fut frappé. Voici ce qu’il a lui-même raconté à la famille à son retour : " Nous étions en tirailleurs ,tout à coup je le vis tomber frappé d’une balle. J’avais remarqué qu’il tenait un journal. Pensant qu’il le destinait à sa famille, je m’en saisis et vous l’apporte ". Ce journal est fort curieux. Quoique le Chevalier n’eût que 27 ans puisqu’il est mort en 1796, cet écrit est rempli d’appréciations qui feraient honneur à un homme mûr. Il donne une juste idée des sentiments d’honneur qui animaient alors la noblesse, joints aux sentiments les plus chrétiens.
Il eut tant à souffrir sur la terre étrangère que ses mémoires sont empreintes d’un bout à l’autre du regret d’avoir quitté sa famille. Il ne s’en console qu’en pensant qu’il obéissait à la voix de l‘honneur, mais il conseille à ceux qui, dans la suite, pourraient se trouver dans les mêmes circonstances de ne pas l’imiter. Il vaut mieux se défendre dans son pays, si l’on a des ennemis, on y a aussi des amis; enfin si l’on meurt c’est sur la terre natale et pour la défense de ce qu’il y a de plus sacré.
Dans ce chapitre, je n’ai point tenu compte des dates, puisque nous voici à la fin de l’émigration. Mais je devais le faire pour terminer l’histoire de mon oncle, le Chevalier, dont je n’aurai plus à m’occuper désormais. Je reprends donc mon récit.
Confiscation des Biens de mon Père et du Chevalier.
Après l’échauffourée des paysans des environs de Vannes, la persécution contre les prêtres commença et celle déjà commencée contre les royalistes et les parents d’émigrés redoubla de rigueur.
Les visites domiciliaires soit par les agents de districts, par la force armée ou les colonnes mobiles, soit par les patriotes de La Gacilly se succédèrent dans le pays. Il ne se passait pas de mois sans qu’il y en eut au moins une et chacune d’elle était marquée par quelque acte de pillage. La première fois qu’ils vinrent à Sourdéac, ils emportèrent 3 couverts d’argent, et du grain et chaque fois ils faisaient main basse sur le liquide. Le vin fut porté dans la cave du rocher (aujourd’hui détruite par l’exploitation du minerai) et l’on apportait à la maison qu’une minime quantité à la fois. L’entrée de cette cave était dissimulée par des fagots entre lesquels un chemin avait été ménagé. Mais ils ne tardèrent pas à s’en apercevoir et tout fut bu ou pillé.
Le bien des émigrés mis d’abord sous le séquestre ne tarda pas à être confisqué et vendu.
Pendant le séquestre, le gouvernement s’en adjugeait la rente de sorte qu’à tout instant les parents d’émigrés avaient, sur le dos, les agents du fisc. Ils vous forçaient aussi à faire le partage du mobilier qui était vendu. Ces agents se faisaient accompagner d’une certaine force armée qui ne se retirait jamais les mains vides.
Enfin, le gouvernement força les familles à faire le partage des biens avec ceux de leurs membres qui avaient émigré, s’empara de leur part et la fit vendre. Les Révolutionnaires du pays et surtout les Gaciliens s’en réjouissaient, ils allaient enfin s’enrichir à bon marché.
Le jour de la vente des biens de mon père et de son frère le Chevalier était fixé au tribunal de Vannes. Heureusement pour notre famille que les meneurs qui avaient acheté précédemment le bien des de RIEUX et de quelques autres familles, estimèrent en avoir assez pour le moment. En effet, les chouans usaient de représailles et avaient déjà fait quelques exemples qui répandirent la crainte parmi les acquéreurs. Ma famille avait connaissance de l’état des esprits et résolut d’en profiter. En conséquence, au lieu de charger un tiers de cette acquisition, Marie qui fut plus tard Mme DUCHESNE, fille de 28 ans environ, d’une grande capacité et d’un caractère qui ne se laissait pas intimider, résolut de se présenter au tribunal au milieu de tous ces fougueux révolutionnaires et de se rendre adjudicataire du bien de ses frères. On lui fit toutes les observations possibles, mais tout fut inutile, son parti était pris.
Il fallait se procurer de l’argent, ce qui n’était pas chose facile à cette terrible époque. Les biens de mon père et ceux du Chevalier avaient été mis à prix à quarante -cinq mille francs. Elle partit seule à cheval , accompagnée d’un domestique par les chemins de traverse jusqu’au Petit-Molac. A son arrivée à Vannes, elle se mit en quête pour trouver l’argent, au cas où elle serait adjudicataire. Elle y réussit et deux jours après, au jour fixé pour la vente, elle se présentait bravement devant les tribunaux.
Son nom fut connu de quelques triporteurs qui faisaient cette triste spéculation; elle leur imposa si bien qu’aucun n’osat mettre sur elle. Elle eut donc le bien pour une simple enchère et comme les assignats, quoique monnaie légale, étaient fort dépréciés, elle put se procurer la somme en papier pour 3000 livres en espèces et la compta à l’enregistrement. Vous voyez que, grâce à son sang froid, la famille en a été quitte assez bon marché. Dans un pareil temps, c’était vraiment un acte de courage qui n’était pas sans danger, même pour une femme. Il suffisait d’un mot pour vous envoyer en prison et de là, à l’échafaud. Nous lui devons donc non seulement notre admiration, mais même une grande reconnaissance pour avoir sauvé une partie de notre fortune. La part du mobilier fut aussi vendue à la maison. Pas un habitant de Glénac ne se présenta et la famille racheta le tout au prix de l’estimation.
Toutes les familles d’émigrés n’avaient pas envisagé la situation d’une manière aussi juste. Beaucoup conservaient encore l’espoir, même après la paix de Verdun, de voir sous très peu de temps la-contre Révolution. C’était si fort chez quelques personnes qu’elles désiraient une plus grande somme de déprédations estimant devoir en être bientôt remboursées au centuple.
Ainsi les dames de QUELO de la Gaudinaye, loin de racheter, comme nous, la part de leurs émigrés, excitaient les paysans du voisinage à mettre sur le mobilier, par le motif que je viens de rapporter plus haut. Quelle déception, elles se préparaient pour le présent et même à la rentrée du roi.
En effet, que de peine la Restauration n’eut-elle pas à faire voter l’indemnité, si faible qu’elle pût paraître à plusieurs. Il y a des choses inévitables qu’il faut prévoir et la prudence commande de tirer le meilleur parti possible des circonstances où l’on se trouve.
Le Personnel Révolutionnaire du Pays.
Avant de continuer ce récit, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur le personnel révolutionnaire qui exerçait un droit de vie et de mort sur le pays qui nous avoisine.
Redon était entre les mains d’un nommé LE BATTEUX (grand-père de Mesdames MATARD et GUIHAIRE) dont je ne connais pas les antécédents, mais qui comme toutes les célébrités sanguinaires de cette époque, s’habitua progressivement à verser le sang. Il en arriva au point d’être un des principaux pourvoyeurs de la guillotine, le Carrier de Redon. Il tenait l’auberge de la Tête Noire qui était dans la grande rue en face du pont de St-Nicolas. Il n’en reste plus aujourd’hui que le portail, le reste a été abattu pour faire le canal. Cet homme altéré de sang guidait souvent les colonnes mobiles dans les environs et pourchassait les aristocrates, les prêtres et les suspects comme on disait alors. Dans une de ses tournées, il fit incendier la chapelle de la Croix à Cournon. Cette chapelle était fort ancienne, c’était la chapelle des caqueux ou lépreux et la prairie du presbytère portait encore le nom au cadastre de pré de la Maladrerie. Leur cimetière était probablement au bas de cette prairie. Ce qui me le fait supposer, c’est que Jean-Louis BOUDART, en faisant enclore en 1834 une petite pâture qui la joint, trouva une assez grande quantité d’ossements humains que j’ai vus.
Le Calvaire a été bâti sur l’emplacement même de la Chapelle. Tant que je suis à l’article de LE BATTEUX, je veux vous raconter sa triste fin où le doigt d’un Dieu vengeur apparut d’une manière terrible. C’était longtemps après la Révolution. Le BATTEUX vivait tranquille mais abhorré. Sans doute, les ombres de ses victimes et le souvenir de ses crimes l’obsédaient constamment. Un jour qu’il traversait, tout absorbé, la place de Redon, il crut entendre appeler et, se retournant vivement, demanda qui l’appelait. Il n’y avait personne derrière lui, mais un ouvrier qui passait répondit : " Tu ne vois donc pas que ce sont les demoiselles de Renac qui t’appellent ". Or, c’était précisément à cet endroit qu’il avait fait guillotiner les deux demoiselles de Renac pendant la Révolution. L’impression qu’il ressentit fut si forte qu’il en tomba malade et qu’il mourut quelques jours après.
Il y avait à Redon d’autres révolutionnaires, mais c’était le BATTEUX qui menait tout ; les autres n’agissaient que par peur. La Bourgeoisie avait d’abord adopté chaleureusement les idées de la Révolution, elle s’était fourrée dans les gardes nationales; mais quand le sang commença à couler, elle se retira petit à petit et fut remplacée par la lie du peuple.
A la Gacilly, il y avait deux Révolutionnaires pur sang, c’était Séguin BEAUVAL, grand’ père du côté maternel de Mr ETRILLARD le notaire, et un nommé GUILLEMIN qui n’était guère connu que sous le nom de Cadet. Ce dernier était étranger au pays. Il venait de Normandie, mais il se fixa à La Gacilly où il a joué un rôle et y est mort. SEGUIN-BEAUVAL était le chef. Il était excessivement mauvais et remplissait à La Gacilly le rôle de Le BATTEUX à Redon. Les autres ne faisaient qu’obéir à ces deux révolutionnaires.
Mr CHEVAL l’ancien notaire mort en 1829 était syndic. Il ne marchait que par peur et dans plusieurs visites domiciliaires, il rendit des services aux persécutés. Il se montra bien pour ma famille et fit souvent prévenir ces dames quand une visite devait avoir lieu à Sourdéac. Aussi ma mère lui en a toujours conservé une grande reconnaissance et je l’ai vue souvent prendre sa défense en racontant ce que je viens de dire, quand on l’accusait d’avoir trempé dans la Révolution.
Carentoir avait pour meneur un LEBLANC du Bourgneuf. GAREL, le maire ou syndic, était un homme tout à fait illettré qu’il poussait en avant en se tenant derrière le rideau. Comme homme d’exécution, il y avait un nommé HOÊO-BOISGESTIN qui, plus tard, fit partie du district de Rochefort. Vers la fin, revenu de ses erreurs, il rendit de grands services aux prêtres et aux personnes qui se cachaient.
Sixt avait LE BEAU avocat du maximum.
Cournon avait TRÉMOUREUX qu’on avait surnommé Saint-Amand (le surnom a passé à son fils et même à son petit-fils. R. de G.) parce qu’il avait abattu la statue de ce saint, patron de la paroisse, en lui passant une corde au cou. Il y avait aussi un nommé TRIGUET dont je parlerais plus tard.
A Glénac, il n’y avait pas un seul révolutionnaire. Le maire CHEVALIER était inoffensif. Deux ou trois familles avaient bien acquis du bien national et pour cela étaient partisantes de la République; mais personne ne se mettait en avant.
Bains était généralement mauvais. Le maire était un MAHÉ, au nombre des plus dangereux, on citait un GASCARD et un COLLET. Il y avait encore au Bignon, Mr JEAN DUBIGNON, père de celui qui habita plus tard Trégaret; il n’était pas mauvais au fond quoiqu’à la Convention dont il faisait partie, il ait voté la mort du roi, avec il est vrai, la restriction de l’appel au peuple. Il avait connu Mr DUCHESNE au collège et le voyait quelquefois. Celui-ci lui dit un jour ; " Comment DUBIGNON, tu as voté la mort du roi ! " Il lui répondit : " Que veux-tu ! J’ai voté l’appel du peuple. Nous votions sous les poignards ". Pour vous faire comprendre en quelles mains la France était tombée à cette époque, je vais vous raconter une charge qui a bien son mérite et dont MAHÉ le fameux maire de Bains dut la paillasse. MAHÉ avait trouvé le moyen de garder sa mairie sous les différentes phases révolutionnaires. L’empire le trouva au poste et il fut encore son très humble serviteur. Or, comme à cette époque la guerre dévorait, beaucoup d’hommes, les maires les plus difficiles à admettre des exemptions lors du recrutement, étaient les mieux notés. MAHÉ était de ce nombre et était sous ce rapport en haute réputation à la préfecture de Rennes.
Un jour donc en 1812 qu’il s’y était rendu pour affaires de recrutement et qu’il s’était montré coulant, le préfet pour récompenser son zèle, l’invita à diner avec les générales et autres notabilités. Il fut tout le temps le jouet de la compagnie sans même sans s’en douter aucunement. Pour compléter la soirée, on le mena au spectacle en habit de cassaux et en grand chapeau dans la loge du préfet. Lorsqu’ils y entrèrent, le préfet et le général furent l’objet de nombreux saluts. On persuada à MAHÉ que c’était pour lui. Il s’avança donc son chapeau à la main et salua le public à diverses reprises, au grand divertissement de toute l’assistance.
On donnait, ce soir-là, Les Visitandines, pièce assez mauvaise où l’on fait paraître sur la scène toute une communauté de femmes en costume religieux. En rentrant à Bains, MAHÉ raconta que le préfet, après lui avoir donné un bon diner, l’avait mené dans sa voiture voir un couvent de religieuses où on lui avait fait beaucoup de politesses.
Voilà pourtant un de ces nigauds dont la Révolution se servait et qui pendant le plus fort de la Révolution eurent droit de vie et de mort sur la France. A côté de ces hommes vendus à la Révolution, il y en avait un grand nombre restés dans les bons principes et qui ne craignaient pas d’exposer leur vie pour cacher les proscrits et les vases sacrés du culte. Les cloches actuelles de Glénac ont passé la Révolution dans le marais; les calices cachés chez les habitants. A Cournon, les cloches furent aussi descendues une nuit en l’absence de TRÉMOUREUX et de son compère TRIGUET et enfouies dans la rivière; les vases sacrés furent cachés chez Jean-Louis BOUDART à la Juberde. Je n’en finirais pas si je voulais m’étendre sur la facilité qu’on avait à trouver un gîte chez un grand nombre de paysans ; par une grâce spéciale dans ces temps malheureux, les enfants eux-mêmes rivalisaient de discrétion et de dévouement avec leurs parents et je n’ai jamais entendu dire que leur légèreté eut été la cause d’une seule arrestation.
Nous avons laissé notre récit au moment de la vente des biens des émigrés. Maintenant, je vais vous parler des vicissitudes que subirent ces dames restées à Sourdéac.
Sous je ne sais quel prétexte, une colonne mobile commandée par les Gaciliens se présenta un matin à Sourdéac et déclara à ces dames qu’elles étaient en état d’arrestation et qu’on allait les conduire à Rochefort où se trouvait le district et qu’elles auraient à répondre devant la justice. Toute réclamation étant inutile, on fit les paquets, on monta en charrette et on partit.
Ma mère avait deux petits enfants; elle nourrissait encore le dernier; tous les deux étaient fort malades de la dysenterie. Elle fit observer à l’officier qu’il était impossible d’abandonner son nourrisson et que le voyage le tuerait. Au moment de partir, elle refusa tout net et se cramponna si bien au berceau de son enfant qu’on consentit à la laisser sous promesse de se présenter à Rochefort sitôt que ses enfants seraient morts ou guéris. Ils moururent bientôt tous les deux, mais ne se croyant pas tenue, avec raison, d’obtempérer à l’ordre des révolutionnaires, elle prit le parti de rester en se cachant un peu, c’est-à-dire qu’elle changeait souvent de domicile, allant au Grand Clos, à la Giraudais passer du temps et ne mettait les pieds à Sourdéac que le moins possible, uniquement pour les affaires. Quand aux autres, arrivées le soir à Rochefort, on les jeta dans le vieux château et bientôt on les conduisit à Josselin où le vieux castel d’OLIVIER de CLISSON leur servit de prison jusqu’à la mort de Robespierre. Plusieurs visites domiciliaires furent faites sans succès à Sourdéac. Enfin, un matin une troupe nombreuse (environ 800 hommes) cerna la maison; elle fut prise et menée triomphalement à La Gacilly où elle fut en butte aux huées de la populace.
Une dame LE ROY eut pitié d’elle et obtint de la loger dans sa maison dans laquelle on établit une garde. Quelques instants après, le fameux SEGUIN BEAUVAL se présenta accompagné du greffier de Le BATTEUX et d’un aide de camp du général BEYSSER. On procéda à un premier interrogatoire. BEAUVAL faisait les questions, le greffier écrivait, l’aide de camp faisait les cent pas dans l’appartement. C’était un beau jeune homme de vingt et quelques années qui contrastaient parfaitement avec les deux autres.
Ma mère était accusée d’avoir fait des cocardes blanches et de les avoir distribuées aux Chouans. Il n’en fallait pas plus pour lui faire couper la tête. Ce n’était pas elle, mais les deux vieilles demoiselles des AULNAYS du pont d’Oust qui les avaient distribuées aux Chouans de Peillac et des Fougerets. Elle le savait, mais se garda bien de rien dire qui pût les compromettre. Elle se borna donc à nier énergiquement malgré les menaces des deux coquins. Tout à coup, l’aide de camp profitant de ce que les deux autres causaient avec de nouveaux arrivés, passa à côté d’elle et lui dit à vois basse : " Ne vous retournez pas, mais écoutez moi. Niez toujours ferme et, une fois à Redon, demandez à être jugée par le militaire, c’est votre droit puisque le fait qu’on vous reproche est un fait de guerre civile qui relève des conseils de guerre. Si vous êtes jugée par le civil vous êtes perdue ". Cela dit, l’aide de camp, après avoir un instant continué sa promenade, vint prendre place auprès des inquisiteurs. Comme on le pense bien, le conseil donné furtivement rendit à ma mère toute sa présence d’esprit et toute son énergie pour le reste de son interrogatoire. Elle continua à nier avec une résolution qui étonna les instructeurs. Ils redoublèrent d’invectives et de menaces sans réussir davantage. Enfin, il fallut bien clore le procès verbal et terminer ce premier interrogatoire.
Restée seule dans l’appartement, elle eut tout le loisir de réfléchir aux événements de la journée.
Le conseil que l’aide de camp lui avait donné paraissait bon. Cependant , ce pouvait être un piège. Ce n’eut pas été la première fois que les agents révolutionnaires pour lesquels tous les moyens étaient bons eussent ainsi cherché à tromper leur victime. Ils savaient prendre le masque de la pitié pour donner à un accusé un conseil qui le perdait infailliblement.
La position était grave, embarrassante. Il y allait de la vie, cependant il fallait prendre un parti. Les traits de l’aide de camp respiraient la bonne foi, ses manières contrastaient complètement avec celles des révolutionnaires en général, enfin dans le parti de la République et surtout dans l’armée, il y avait encore des cœurs honnêtes. Toutes ces considérations la décidèrent enfin à suivre en tout point le conseil qu’il lui avait glissé dans l’oreille. L’événement prouva qu’elle avait bien jugé. Son parti une fois bien arrêté, elle s’endormit paisiblement jusqu’au lendemain.
Au point du jour, le tambour battit le rappel et le soleil paraissait à peine que la colonne se remit en route pour Redon. L’aide de camp de BEYSSER en prit le commandement. Il réprima les huées dont ma pauvre mère avait été assourdie la veille et la traita avec tous les égards possibles pendant tout le trajet qui s’effectua en charrette. Elle m’a raconté bien des fois que les égards du commandant n’échappèrent point à sa troupe et que ceux mêmes qui l’avaient rudoyée la veille étaient pour elle remplit d’attention ce jour-là. Elle reconnut dans le cortège plusieurs jeunes gardes nationaux appartenant à la bonne bourgeoisie de Redon qui, la veille, ne s’étaient pas fait remarquer, ayant soin au contraire de se tenir à l’écart, honteux du rôle qu’on leur faisait jouer. A l’exemple du commandant, ils vinrent la saluer et lui adresser quelques paroles de condoléance et même d’espérance. Elle avait le commandant pour protecteur. Voilà bien les hommes !
Elle ne m’a jamais nommé les gardes nationaux, seulement elle ajoutait : " Tu les connais aussi bien que moi ". En effet, toute la jeune bourgeoisie de Redon y était, la plupart pour sauver leur tête.
Il vous paraîtra étonnant que pour arrêter une femme on eut employé une troupe aussi nombreuse, mais c’était la nature de l’accusation dirigée contre ma mère qui l’avait déterminée. En effet, on pouvait craindre qu’une personne arrêtée pour avoir des intelligences avec les Chouans ne fût secourue par eux s’ils avaient connaissance de ce qui se passait et ce n’était pas la première fois que des prisonniers d’importance avaient été délivrés par eux. Vous devez comprendre maintenant pourquoi on avait mis sur pied 800 hommes pour arrêter ma mère.
La colonne arriva à Redon sans aventure. La prisonnière fut envoyée à l’auberge du Lion d’Or où logeait le général BEYSSER. Toujours grâce au commandant on lui assigna une chambre à la porte de laquelle on plaça une sentinelle.
Quelque temps après, un représentant du peuple en tournée de Bretagne et deux membres du district se présentèrent pour l ‘interroger. Ce fut à ce moment qu’elle eut besoin de toute sa présence d’esprit et de toute son énergie. Elle leur déclara qu’elle ne répondrait à aucune de leurs questions, que ce n’était pas à eux de la juger, mais aux militaires, qu’elle connaissait la loi et ses droits et que rien ne ferait changer sa détermination. Après lui avoir fait les menaces les plus terribles, ils se retirèrent en disant que le lendemain elle comparaîtrait à la commune et qu’elle serait jugée qu’elle répondit ou non. Naturellement, la nuit qu’elle passa au Lion d’Or fut bien agitée. Le lendemain, son sort allait être décidé; c’était la vie ou la mort. Elle n’a jamais su ce qui se passa entre l’autorité civile et l’autorité militaire, mais toujours est-il que le lendemain vers 9 heures, elle vit entrer dans sa chambre le jeune commandant qui lui avait donné le précieux conseil. Il était accompagné d’un autre militaire et du greffier LE BATTEUX. La vue du greffier la fit pâlir. Le commandant s’en aperçut et la rassura par un signe puis, prenant l’affreux langage du temps il lui dit : " Citoyenne, tu as demandé à être jugée par le militaire, c’était ton droit puisque tu es accusée d’un fait de guerre civile. La loi te l’accorde. Assois-toi, on va te donner connaissance de l ‘acte d’accusation porté contre toi, par un citoyen, bon patriote probablement, mais dont on n’a pas voulu me faire connaître le nom. Je n’aime pas les anonymes, il n’y a que les lâches à en agir ainsi ".
Le greffier s’agita sur sa chaise et parut vexé par ce noble langage auquel il n’était pas habitué, mais il se contint et donna lecture de l’accusation. Cette accusation était très vague ; on ne désignait personne nominativement ; on ne nommait même pas la maison où avaient été distribuées les cocardes. Il était dit que c’était dans une petite maison habitée par des ci-devant dames auprès d’une rivière et d’un passage aux environ de La Gacilly. Cette accusation, en tout autre temps, eut été jugée insuffisante, mais à cette époque il y en avait assez pour vous envoyer à l’échafaud et certes, c’était ce qui attendait ma mère si elle eut été jugée par Le BATTEUX. Aussi le civil avait-il fait tout son possible pour retenir l’affaire.
L’accusation lue, on procéda à l’interrogatoire. Le commandant demanda à ma mère si elle reconnaissait son habitation à la description qui venait de lui être faite. Elle répondit que la maison qu’elle habitait était trop éloignée de la rivière pour qu’on put lui appliquer la description contenue dans la dénonciation; qu’ensuite la rivière n’était même pas nommée; que si on eut dit sur la rivière d’Aff, on aurait pu croire avec quelque raison que c’était Sourdéac que l’on avait voulu désigner, mais qu’il y avait sur la rivière d’Oust bien d’autres passages qui n’étaient pas éloignés de la Gacilly et que l’auteur de la dénonciation aurait dû désigner plus clairement les lieux.
Le commandant l’interrompit et lui dit d’un ton brusque : " Ainsi, citoyenne, tu nies que la maison désignée dans l’accusation soit la tienne, tu nies avoir fait et distribué des cocardes blanches ? ". Ici le greffier interpella le commandant en disant : " Citoyen commandant, ce n’est pas comme cela qu’on fait un interrogatoire. Tu fais les demandes et les réponses et elles sont favorables à l’accusée ".
Alors le commandant s’emporta ou feignit de s’emporter et lui cria en frappant violemment sur la table : " De quoi te mêles-tu ? Crois-tu m’apprendre mon métier ? Vas me chercher le nom de l’accusateur et des renseignements plus précis, tu verras comme je conduis un interrogatoire ! "
A cette sortie, l’ignoble greffier rentra dans sa coquille et écrivit sans observation ce que lui dicta le commandant.
Deux heures après cette scène, un officier vint apporter à ma mère un sauf-conduit signé par le général et lui dire qu’elle était libre. Elle trouva alors Mr du FRESCHE qui la conduisit à la Giraudais et le lendemain, elle rentrait à Sourdéac au grand contentement de tous ses voisins.
Maintenant, comment expliquer l’intérêt que le jeune aide de camp avait pris à ma mère ? Car c’est bien à lui qu’elle dut de conserver la vie en cette occurrence. Ma mère était jeune et jolie. Ses charmes avaient pu faire impression sur ce jeune homme. Mais ce n’était certainement pas là le seul mobile qui motiva sa conduite. Je l’ai dit déjà, il y avait, au service de la République, des âmes généreuses qui rougissaient du rôle qu’on leur faisait jouer et l’honneur, comme l’a dit un historien de ces tristes temps, s’était surtout réfugié dans les armées. Plus tard, ma mère s’informa de ce jeune homme avec le plus grand intérêt. Elle eut la douleur d’apprendre que quelques mois après il avait été tué dans un combat contre les Vendéens. Pauvre jeune homme ! Il combattait pour une mauvaise cause, peut-être malgré lui comme tant d’autres. Espérons que celui qui a dit qu’une bonne action ne resterait jamais sans récompense, lui aura tenu compte de ce qu’il fit pour sauver ma mère.
Aventures de Mr. de Foucher - Le Camp de St-Just-
Ma mère revint à Sourdéac plus tranquille qu’avant, elle espérait beaucoup du sauf-conduit du général BEYSSER. Effectivement, tant qu’il resta dans le pays, on ne la tracassa pas; mais il fut appelé dans la Vendée et remplacé par le général CANTIN. Alors ses inquiétudes recommencèrent. Elle recevait de temps à autre des nouvelles de ma grand’mère et de ses belles-sœurs; elle trouvait même l’occasion de leur faire parvenir quelques secours, mais elle était d’une inquiétude mortelle à l’égard de son mari dont elle n’avait reçu qu’une seule lettre vers l’époque de la marche des émigrés sur Paris. Il était en Angleterre depuis longtemps et elle l’ignorait encore.
Pendant ces événements, les familles restées dans le pays n’étaient pas moins tourmentées que la nôtre. Les QUELO, les BOUDET et d’autres étaient également détenues dans le château de Josselin. Monsieur de FOUCHER s’était retiré d’affaires en se sauvant ou quand il était surpris, en invoquant le nom de son frère colonel d’artillerie au service de la République. S’il avait affaire aux Chouans qui, pour punir sa couardise, le rançonnèrent quelquefois, il arguait de son autre frère qui avait passé l’armée de Condé.
Un jour, une visite domiciliaire le surprit au Grand Clos. C’était un détachement de hussards de BEYSSER, commandé par un chef d’escadron, le citoyen BOUTE qui devint général et commanda sous la Restauration le département d’Ille-et -Vilaine. Le père FOUCHER ne pouvant se sauver fit contre fortune bon cœur; il se recommanda de son frère le Colonel et ce qui fit beaucoup plus d’effet, il leur offrit un bon souper et n’épargna pas la cave. On lui en aurait évité la peine, mais il regretta son vin toute sa vie.
Plus de 20 ans après en 1814, Mr.BOUTE, général, commandait à Rennes. Le père FOUCHER s’y trouvait avec son fils Charles qui était dans l’Intendance et était venu à Rennes solliciter un emploi. Ils se promenaient tous deux sur la place de la Mairie, quand Charles aperçut le général BOUTE, l’aborda et lui présenta son père. Celui-ci dit alors au général : " J’ai eu l’honneur de vous recevoir chez moi au Grand Clos ". Et comme le général n’avait pas l’air de comprendre et peut-être ne se souvenait pas réellement de l’incident, Mr de FOUCHER ajouta : " Oh ! certainement et vous mîtes joliment ma cave à sec ". Le général, peu flatté de cette réminiscence, tira son chapeau et continua son chemin. Charles était furieux et ne put s’empêcher de dire à son père : " Pourquoi, diable ! aussi lui rappeler cela ? Maintenant, il n’appuiera pas ma demande " - " Bah ! dit l’autre, il ne faut pas manquer ces gaillards-là, quand l’occasion s’en présente ".Il n’était pas si fier 20 ans plus tôt.
Il avait plus d’une corde à son arc pour se soustraire aux vexations républicaines quand, du moins, il était prévenu à temps. Son refuge le plus près était le marais. Il avait toujours un bateau prêt et dedans une barrique enfoncée remplie de paille ; quand il avait le temps, il prenait le large et allait bivouaquer au milieu de l’eau. Là du moins on ne pouvait guère être surpris et il était facile la nuit de lui porter des vivres. Au moindre bruit, il se blottissait comme Diogène au fond de son tonneau.
Mais il arriva qu’une fois une compagnie d’infanterie resta plusieurs jours à Glénac. Mr de FOUCHER était sur le marais et sa femme jugeant le lendemain que ses provisions de bouche devaient être basses, envoya avant le jour son domestique La Douceur lui en porter. Il rejoignit Mr. de FOUCHER sans encombre, mais en revenant, le jour commençait à paraître, il fut aperçu par les soldats qui coururent vivement au bord du marais. Aussitôt les apercevant lui-même, il vira de bord et se dirigea au plus tôt vers la pointe de la Grognée en Bains.
Cette manœuvre signalant un suspect, il essuya plusieurs coups de feu, dont heureusement pour lui, les premiers ne l’atteignirent pas. Comme il prenait terre, une balle mieux dirigée lui déchira la fesse et le jeta sur le sol. Vu la distance, la blessure n’était pas grave. Il se releva promptement et fut bientôt hors de portée. Notre Diogène, aux premières décharges, sortit la tète de son tonneau. Il vit son domestique en fuite et jugea que la mèche était éventée. Il pouvait être cerné et, dans ce cas, la fuite deviendrait impossible. Il prit rapidement son parti, arracha la perche qui retenait son bateau et se dirigea le plus rapidement possible sur la prairie de Beaureu et, de là, sur la Giraudaye, mais craignant d’être poursuivi, il n’osa s’y arrêter, changea sa direction et piqua droit devant lui à travers champs. Il courut longtemps et finit par gagner le bois de Bézit où il se cacha dans un fourré.
Quand il fut un peu reposé, il tira de sa poche quelques provisions qu’il y avait mises à la hâte en quittant son bateau et tout en mangeant il se mit à réfléchir, car il fallait prendre un parti. Il ne pouvait songer à retourner de suite au Grand Clos. La Giraudais lui semblait encore trop près de Glénac. Enfin il se rappela qu’au Val en St-Just, tout près de l’endroit où il se trouvait, habitait dans un pays très marécageux et très sauvage, un Monsieur de la SAULAYE, ancien officier, qu’il avait eu l’occasion de voir quelquefois. C’était le père de Madame de TRÉMAUDAN de Redon, de Madame ONFROY de Sixt et de Madame RENVOYE.
Il se rendît chez lui et fut reçu avec cette cordialité franche du gentilhomme breton et du vieux militaire, qui lui dit lui-même : " Vous arrivez fort à propos, car j’aurais ce soir Mr. BRIEN et un de ses confrères et nous pourrons faire notre partie de boston ». Ce Mr. BRIEN était un prêtre non assermenté qui s’est caché toute la Révolution et a exercé le ministère. Il était d’une force prodigieuse et sa résolution allait jusqu’à la témérité. Il était toujours armé d’un énorme gourdin dont il savait se servir à merveille et qui l’a tiré plus d’une fois des griffes des révolutionnaires.
Mr de la SAULAYE avait ajouté : " Vous pouvez rester ici tant que vous voudrez sans crainte d’être inquiété, ma maison n’a pas encore eu l’honneur d’une seule visite domiciliaire; il est vrai que ce n’est pas tout à fait la faute des républicains, car ils ont essayé deux fois. La première fois un détachement de Dragons apercevant les toits de ma maison en traversant les landes, voulut la visiter. Ils vinrent s’embourber à la queue de l’étang où plusieurs faillirent périr dans la vase en sorte qu’une fois sortis à grand-peine ils continuèrent leur chemin. La seconde fois une colonne d’infanterie venue pourtant tout exprès, mais mal dirigée, se perdit le soir dans les landes et harassée de fatigue s’en retourna comme elle était venue ".
D’après cela, Mr. de la SAULAYE se trouvait à l’abri de nouvelles tentatives. Il en fut fait d’autres pourtant, mais il sut toujours les déjouer, en sorte qu’il est resté paisible au Val pendant les plus mauvais jours de la Révolution.
Mr de la SAULAYE, ancien capitaine de Dragons ayant fait les guerres de Louis XV, était un vieillard aimable, bon convive, aimant un peu trop pour sa bourse avoir nombreuse compagnie chez lui et pendant la terreur, cela ne lui manqua pas, car sa maison était le refuge de tous les proscrits et en outre une étape pour les Chouans qui faisaient la correspondance avec la Vendée et réciproquement. On conçoit quelle dépense devait occasionner un pareil genre de vie, à une époque où les produits de la terre n’étaient presque rien. Aussi ses filles ont-elles trouvé une fortune bien obérée.
Mr de FOUCHER, enchanté d’une pareille réception, profita de l’aimable invitation qui lui était faite et passa douze jours au Val, se promettant bien revenir à la première occasion.
Revenons à l’affaire de Glénac. Madame de FOUCHER avait entendu les coups de fusil. Sitôt que le jour le permit, elle regarda par la fenêtre et, ne voyant plus le bateau de son mari, elle ne douta pas qu’ils fussent à son adresse. Il était peut-être mort ou blessé; elle fut toute la journée dans une cruelle inquiétude. Vers le soir, La Douceur, se glissant en tapinois, vint y mettre un terme et la rassurer sur le sort de son mari, sans toutefois pouvoir lui dire où il se trouvait. On pansa sa blessure qui n’était pas grave et quelques jours après il n’y paraissait plus rien. Quant au père FOUCHER, il ne s’inquiétait guère de ce qui pouvait se passer au Grand Clos après sa fugue. Il se croyait en parfaite sécurité et ne songeait qu’à rester au Val le plus longtemps possible. Mais y a-t-il jamais rien d’assuré en ce bas monde !
Or, un soir, pendant la partie de boston, il y eut une grande alerte. On vint prévenir Mr de la SAULAYE qu’une compagnie d’infanterie venait d’arriver au bourg de St-Just à un quart de lieue du Val et de s’établir dans le cimetière autour de l’Eglise. Cette troupe devait probablement le lendemain fouiller le pays. Là-dessus, grand émoi parmi les personnes suspectes qui se trouvaient dans la maison. Les prêtres prirent immédiatement leurs dispositions pour aller passer la nuit dans un taillis voisin d’où l’on pouvait surveiller ce qui allait se passer. Mr. de FOUCHER se précipita à leur suite. Mais comme ils allaient passer la porte, leur hôte les arrêta en s’écriant : " Où diable allez-vous donc ? On dirait que vous perdez la tête. Que personne ne bouge, je réponds de tout ". Puis il se dirigea vers sa chambre.
Cependant malgré son assurance, ses convives jugèrent plus prudent de gagner le taillis en disant aux domestiques qu’ils rentreraient à la nuit si les soldats ne venaient pas dans la direction du Val. Pendant ce temps-là, Mr de la SAULAYE écrivait au capitaine un billet conçu à peu près dans ces termes :
Citoyen Capitaine
Je sais ce que c’est que le bivouac et les fatigues de la guerre. J’ai servi longtemps mon pays et j’ai même versé plusieurs fois mon sang pour lui. Aussi, toutes les fois que je trouve l’occasion de venir en aide à des frères d’armes, je la saisis avec bonheur. Veuillez donc accepter pour vous et pour vos hommes les quelques provisions que je vous envoie, elles vous aideront à combattre les fraicheurs de la nuit.
Recevez le salut d’un vieux frère d’armes.
LA SAULAYE
Cette épître terminé, il fit mettre, dans les mannequins, quarante bouteilles de vin, une demi-douzaine de bouteilles d’eau de vie, tout ce qu’on trouva de viandes froides et de légumes, fit charger le tout sur un cheval et l’envoya par un domestique intelligent à qui il fit la leçon pour plus de sûreté. Nos réfugiés de la taille qui surveillaient le chemin de Saint-Just, voyant le domestique se diriger vers le bourg avec son chargement, devinèrent le stratagème du bonhomme. Restait à savoir s’il serait couronné de succès. Ils restèrent donc provisoirement au poste. Comme le domestique arrivait au bourg, un factionnaire lui cria : " Qui vive ! " Ancien soldat lui-même, il répondit suivant le style de l’époque : " Patriote ". Un colloque s’établit où fut expliqué l’objet de l’ambassade et le factionnaire ayant hélé un des soldats, le domestique fut conduit au capitaine. Celui-ci se tenait sur de la paille avec son lieutenant et son sous-lieutenant sous le chapiteau de l’église. Il prit la lettre, la parcourut en souriant et dit à ses officiers : " Citoyens, voilà une lettre d’un vieux patriote, un vrai serviteur de la patrie, qui se souvenant de son ancien métier et des tribulations qui en sont les suites, nous envoie des provisions pour passer la nuit et même de quoi remplir nos gourdes pour demain. Elles arrivent fort à propos, car on ne trouve rien dans ce maudit pays. »
Aussitôt il donne l’ordre de décharger le cheval, de préparer les marmites et pendant ce temps-là, il adressait quelques questions au domestique sur son maître. Celui-ci, en homme qui connaissait son affaire, lui dit sans hésiter que son maître était un ancien capitaine de dragons, qui avait fait longtemps la guerre et que la goutte le retenait plus de la moitié de l’année au lit. Le capitaine prit ou fit semblant de prendre tout cela pour argent comptant. Il chargea le domestique de mille remerciements pour son maître et toute sa compagnie en appuyant sur ce mot et pour prouver qu’il avait bien compris le sens du cadeau, il ajouta d’un air narquois ; " Vous direz au capitaine que je regrette que mes nombreuses occupations ne me permettent pas d’aller moi-même le remercier de sa politesse, mais que cela m’est impossible. Je dois me remettre en route de bonne heure demain. Au reste, assurez le que je n’oublierai pas le service qu’il nous rend et qu’à mon retour, j’en ferai l’objet d’un rapport spécial au général. Cette action fait le plus grand honneur à son civisme ". C’était tout ce qu’attendait l’autre; cependant, avant de se retirer, le prudent domestique recommanda les paniers et les bouteilles et pria un sergent de les faire mettre dans une maison du bourg qu’il indiqua, puis ayant salué militairement les officiers, il se retira en se frayant un passage à travers un déluge de poignées de mains et de remerciements des soldats à qui pareille aubaine n’arrive pas souvent quoiqu’infiniment sensibles à ces sortes de politesse.
Le stratagème du bonhomme LA SAULAYE avait donc complètement réussi. Il avait heureusement eu affaire à la troupe de ligne; des gardes nationales ne se seraient peut-être pas contentées de cette démarche. Les officiers de la troupe de ligne étaient pour la plupart d’anciens sous-officiers qui avaient servi l’ancien régime. Ils servaient la République, mais généralement ils réprouvaient ses excès, tandis que les gardes nationales composées de gens de sac et de corde étaient capables de tout.
En apprenant par son domestique les dernières paroles du commandant, Mr. de la SAULAYE jugea que tout danger était écarté et fit prévenir les réfugiés du taillis qui rentrèrent aussitôt..La soirée se passa comme à l’ordinaire et la partie du bonhomme ne fut pas oubliée. Mr. de FOUCHER ayant appris que la troupe avait quitté Glénac se décida enfin à aller tranquilliser sa femme; mais, en prenant congé de son aimable hôte, il promit bien de revenir à la première alerte. Il tint parole, car pendant ces cinq années les plus difficiles à passer, il fut un des hôtes les plus assidus du Camp de St-Just, c’est ainsi qu’il se plaisait à désigner le Val.
Son Incarcération à Rochefort.
Après le départ du général BEYSSER, les visites domiciliaires et les persécutions recommencèrent avec un nouvel acharnement. Ma mère qui était à Sourdéac, ne s’en inquiétait pas outre mesure, confiante dans le certificat qu’il lui avait signé, lorsqu’un matin la maison fut cernée, ma mère arrêtée sans donner de raison et conduite à Rochefort. Ma grand’ mère et mes tantes étaient toujours au château de Josselin en état d’arrestation avec presque toute la noblesse non émigrée du pays. Ma mère eut bien voulu dans son malheur y être conduite, mais on la garda au château de Rochefort qui pourtant regorgeait de prisonniers.
Elle y était depuis un mois quand, vers une heure du matin, les prisonniers furent réveillés par des coups de fusils tirés d’assez loin; puis la fusillade se rapprocha, la générale battit et les coups de fer retentirent pendant quelque temps comme un roulement de tonnerre. C’était une attaque des Chouans qui venaient délivrer les prisonniers au nombre desquels se trouvaient plusieurs capitaines de paroisses qui devaient être passées par les armes. La lutte dura assez longtemps avec diverses péripéties et les prisonniers ne surent pas d’abord quel était le parti vainqueur. Enfin au point du jour, un chef en costume morbihannais avec cocarde blanche au chapeau, écharpe blanche à laquelle passait deux pistolets, sabre de cavalerie au côté, vint ouvrir les portes de leur prison. Il avait en main la liste des condamnés politiques et leur dit qu’ils étaient libres. Ceux qui se trouvaient là pour vol ou quelques délits semblables, car il y en avait un certain nombre, furent gardés au bloc.
Ma mère sur le pavé de Rochefort fut fort embarrassée de son personnage. Enfin elle s’informa si quelqu’un ne pourrait pas lui procurer un cheval et la conduire à Glénac, mais il n’y avait pas la presse à accepter ses propositions, car indépendamment des risques de la route, les bleus reviendraient et ne manqueraient pas de faire un mauvais parti à ceux qui aideraient à l’évasion des prisonniers. Un jeune chouan de Malansac accepta cependant, mais comme il avait aussi à prendre sa part du butin et des impositions qu’ils frappèrent sur les patriotes, il lui dit qu’il ne partirait que la nuit suivante ou, si elle préférait, le lendemain matin. Ma mère se décida pour la nuit.
Fidèle à sa parole, il vint la prendre après le coucher du soleil et la conduisit d’abord au château de la Grationnais qui n’était pas habité. Elle y trouva une forte réunion de Chouans. Le jeune homme parla au chef qui consentit à ce qu’il reconduisît ma mère, mais il ajouta que, pour plus de sécurité, il fallait faire éclairer la marche par un homme qu’il désigna et qui devait aller jusqu’au pont d’Oust prévenir le passager et si le passage était gardé, devait attendre ma mère et son conducteur à un endroit convenu et se joindre à eux pour tacher de se procurer un bateau et franchir la rivière dans un autre endroit.
Ma mère s’installa dans le grand salon avec ses libérateurs qui eurent pour elle tous les égards possibles; elle partagea même leur rustique souper où la santé du roi et le rétablissement de la religion ne furent pas oubliés. Trois heures après le départ de l’homme envoyé en avant, c’est-à-dire vers 2 heures du soir environ, le chef donna le signal. Deux petits chevaux du pays ayant pour selles des panets de bâtz furent amenés, ma mère enfourcha le sien à l’aide d’une chaise; les bouts de sangle noués formaient des étriers. Ils franchirent bon train la lande qui séparait la Grationnais de l’Abbaye de Bodélio puis descendirent avec précaution les chemins creux qui mènent au moulin du gué de l’Epine où ils devaient passer la rivière d’Arz, puis remontèrent vers Peillac en laissant le bourg à droite et se dirigèrent sur le Pont d’Oust par Cranhac. Lorsqu’ils s’approchèrent de la grande route pour la traverser, le guide s’arrêta tout à coup et fit signe à ma mère d’en faire autant. Il écoutait avec attention et ma mère ne tarda pas à entendre le bruit d’une troupe qui s’approchait. Ils gagnèrent un petit bois de châtaigniers sous lequel il faisait très sombre. Presque au même instant, une vingtaine d’hommes passèrent devant eux. Ils ne purent distinguer les uniformes, mais ils entendaient le cliquetis inévitable des armes quoique cette troupe marchât dans le plus grand silence. Cette troupe se dirigeait vers le moulin du gué de l’Epine par le même chemin qu’ils venaient de suivre. Après avoir attendu quelques minutes de peur qu’il n’y eut quelques traînards, ils traversèrent la grande route rapidement et quelques instants après, ils étaient au rendez-vous où l’homme envoyé en avant devait leur dire si le passage du Pont d’Oust était libre. Le guide siffla d’une manière particulière. Point de réponse; il siffla de nouveau un peu plus fort, même silence. Il fallait attendre. Ils restèrent donc immobiles écoutant de toutes leurs oreilles et s’écarquillant les yeux dans l’obscurité.
Au bout d’un quart d’heure qui leur parut long, sans qu’ils eussent entendu le plus léger bruit de pas, le coup de sifflet convenu retentit à quinze pas derrière eux. Le guide répondit avec précaution et les deux Chouans s’accostèrent. Le nouvel arrivé leur dit que le passage était gardé et que, revenu pour les attendre à l’endroit où ils se trouvaient, il avait entendu le détachement qui venait de passer et que, reconnaissant qu’il allait à leur rencontre, il s’était élancé à travers champs vers le moulin du gué de l’Epine pour prévenir les fugitifs. Il y arriva en effet quelques minutes avant les bleus et apprenant par le meunier que ma mère et son conducteur étaient déjà passés, il était revenu au plus tôt par le même chemin. Il fallait changer d’itinéraire. Les Chouans se consultèrent. Ils remarquèrent , que la garnison de Peillac, composée de 80 à 100 hommes au plus, ayant disposé de deux fortes patrouilles, une qui battait les chemins et qu’ils venaient de rencontrer allant dans une direction opposée à la leur, l’autre gardant le passage du Pont d’Oust, le reste ne pouvait bouger, étant libre. Ils la suivirent donc jusqu’auprès de Saint-Vincent sans rencontrer le moindre obstacle.
De là au marais de Glénac il n’y avait qu’un quart de lieue par la traverse et un Chouan de leur connaissance qui avait un bateau, passerait ma mère du côté de Glénac. Tout se passa comme ils l’avaient prévu. Ma mère, après avoir remercié et payé ses conducteurs, s’embarqua avec l’homme de Saint-Vincent qui, une demi- heure après, la déposait sous le pavillon du Grand-Clos. Elle prit alors le petit chemin qui monte le long du jardin et quelques minutes après, elle était dans les bras de sa sœur dont on peut se figurer la joie.
Il fut convenu que ma mère ne devait pas se montrer à Glénac et qu’il fallait prendre un déguisement. Elle revêtit donc un cotillon, un compère, coiffa sa tête d’un pignon (coiffe alors en usage dans le pays) et La Douceur fut la conduire chez Mr du FRESCHE à la Giraudais. Mr.du FRESCHE qui, de son côté, n’était pas sans inquiétude pour lui-même, ne jugea pas qu’en ce moment sa maison fut un gîte suffisamment sûr. Il en parla à son fermier de Gras près la lande de la Ferrière sur lequel il pouvait compter et il fut convenu que ma mère passerait quelque temps dans cette ferme isolée.
Elle y était depuis près de deux mois lorsqu’un jour qu’elle était seule, les portes fermées en dedans pendant que les fermiers étaient aux champs, elle vit un homme descendre du grenier avec précaution et entrer dans l’appartement. Elle fut saisie d’une frayeur bien légitime et resta comme paralysée. L’homme à son grand étonnement paraissait aussi embarrassé qu’elle. Enfin, tout s’éclaircit. C’était un fils de la ferme qui, en qualité de réfractaire, se cachait aussi. Cette découverte compliquait singulièrement la situation et, comme les perquisitions paraissaient un peu ralenties, ma mère retourna au Grand Clos, mais elle conserva toujours son déguisement et, pendant deux ans, ne le quitta pour ainsi dire jamais. Quand elle sortait, elle avait une quenouille au côté et, à la première alerte, elle s’approchait des vaches et des moutons qui se trouvaient dans les champs et se mettait à les garder. Son déguisement était si parfait que des gens qui la connaissaient s’y trompaient eux-mêmes. En voici une preuve.
Un jour ma mère accompagnait, à la Giraudais, sa sœur qui devait y passer quelques jours en l’absence de son mari lors d’un de ses séjours au camp de Saint-Just. Elles s’y rendirent en charrette suivant l’usage du temps. Arrivées dans la cour de la Giraudais, le vieux domestique Veillon qui connaissait parfaitement ma mère, se hâta d’apporter une chaise pour que Madame de FOUCHER descendit et Mr. de FRESCHE s’empressa de lui donner la main. Ma mère, par distraction voulut l’imiter et Mr. du FRESCHE avançait déjà son bras, lorsque le vieux Veillon indigné de ce qu’une chambrière se permit de descendre comme une dame lui dit brusquement : " Dis donc la fille, est-ce que tu ne descendrais pas bien par le cul de la charrette ? ". A cette apostrophe, Mr. du FRESCHE eut grand peine à tenir son sérieux et ma mère, ainsi rappelée à son rôle qu’elle n’aurait pas dû oublier, descendit par derrière et se disposait à entrer dans la maison quand elle fut interpellée à nouveau par l’inexorable Veillon qui lui dit avec mauvaise humeur ; " T’as le pignon bên haut ! m’est avis que tu crocherais ben aussi dans les paquets ". Elle se hâta de prendre le premier paquet qui lui tomba sous la main et d’entrer dans la maison sans lui répondre. Mr. du FRESCHE s’amusa bien du pauvre Veillon qui ne pouvait se pardonner de n’avoir pu reconnaître Madame de GOUYON sous son déguisement. Elle passa ainsi plus de deux ans, allant tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre et ne restant jamais plus d’un jour ou deux à Sourdéac. Quelle existence ! ne sachant où reposer sa tête, craignant même d’envoyer à l’échafaud les personnes qui se dévouaient pour la cacher, ou tout au moins d’être la cause du pillage de leurs maisons et de vexations sans nombre. C’était là l’existence commune à presque toutes les femmes ou mères d’émigrés.
J’ai déjà raconté comment Madame de CARHEIL, mère de Mr. Victor, était après la destruction de son château de Launay, cachée au milieu des joncs de l’étang de la Bauêre, espèce de lac où ses anciens fermiers lui avaient construits une cabane dans un îlot et se dévouaient pour lui porter à manger. A cette époque les habitants du pays, sauf quelques rares exceptions, rendaient volontiers ces services; les enfants même montraient une discrétion et une présence d’esprit au-dessus de leur âge. Ils criaient pour avertir quand ils voyaient des colonnes de soldats passer.
Un jour que ma mère était au Grand Clos, elle entendit ainsi " Garde aux bleus ! Garde à Glénac ! » Elle perdit la tête et se sauva du côté du passage où venaient les bleus eux-mêmes. Les enfants qui criaient en face sur la côte de Bains, voyant une femme qui se sauvait et les soldats qui allaient la surprendre s’écrièrent de plus belle : " Garde à Glénac ! les voilà dans la barge ! " Ces nouveaux cris rendirent à ma mère sa présence d’esprit. Il était trop tard pour fuir; elle saisit une poignée de terre sur une taupinière et se barbouilla les mains et le visage de peur que la blancheur de sa peau vint à la trahir. A peine avait-elle terminé ce déguisement in extremis que la colonne passa à côté d’elle sans la remarquer. Aussitôt disparue, ma mère se hâta de passer la rivière et d’aller en Bains chercher un refuge momentané. Des scènes semblables se renouvelaient une fois le temps.
Avant d’aller plus loin, il est impossible que je ne vous parle pas de la Chouannerie, du moins en ce qui concerne notre petit entourage. Je n’ai nullement la prétention d’en faire l’histoire, ce que je vais rapporter n’en sont que des épisodes dans le pays que nous habitons. Vers la fin de 1792 ou les premiers mois de 93, un jeune homme de 23 à 24 ans, Mr de CAQUERAY, gentilhomme manceau et ancien page du roi, homme d’un caractère résolu, vint s’établir dans le pays pour organiser une chouannerie dans les communes environnantes. Dans une visite qu’il fit au Grand Clos, il fit part de ses projets à Mr de FOUCHER qui les combattit vivement non sans quelques raisons. Il lui représenta que Glénac était trop près des garnisons de La Gacilly, de Redon, de Peillac, etc... et qu’il allait y attirer toutes espèces de vexations et de malheurs. Il prêchait, comme on dit, pour son saint. Mr de CAQUERAY essaya de lui prouver au contraire que cette chouannerie bien organisée serait leur porte-respect. Bref, il persista dans ses projets. Il assura toutefois à Mr. de FOUCHER que, pour ne pas le compromettre, il ne lui ferait de visites qu’en cachette. Il fallut s’en contenter.
Pendant quelques jours, il battit la campagne avec deux chouans qu’il avait amenés avec lui et, au bout d’une semaine, il comptait une trentaine d’hommes, tant à Glénac qu’aux Fougerêts. Il quitta Glénac n’emmenant avec lui que deux ou trois de ses nouveaux soldats, établit son quartier général à la Bourdonnaye et se mit à recruter dans les campagnes environnantes à Carentoir, à Tréal, à Ruffiac, etc..Il ne se livrait à des entreprises de quelque importance que quand il recevait des ordres pour une expédition lointaine. Alors il faisait prévenir ses hommes à domicile, leur assignait un rendez-vous général et se mettait à leur tête. L’expédition finie, chacun rentrait chez soi jusqu’à nouvel ordre. Il occupa ainsi le pays pendant un an.
Outre les deux chouans qu’il avait emmenés, il y en avait trois de Glénac qui ne le quittaient presque jamais, c’étaient les deux frères BOUTEMY et un nommé JOUVANCE. Le plus jeune des frères BOUTEMY que j’ai bien connu avait une pension pendant la Restauration car il avait rendu de grands services et était connu des chefs. JOUVANCE l’était beaucoup moins n’ayant jamais quitté le pays. Quand JOUVANCE n’était pas en expédition, il accompagnait souvent Mr. BRIEN prêtre non assermenté que nous avons déjà trouvé chez Mr. de la SAULAYE au Val et qui parcourait le pays administrant les Sacrements un peu partout.
Un jour qu’ils revenaient de Peillac, ils aperçurent un cavalier qui venait à eux armé jusqu’aux dents. C’était un nommé CHÉDALEUX, prêtre assermenté très mauvais, qui guidait les colonnes mobiles. Ils le reconnurent et JOUVANCE qui était armé, voulait lui envoyer une balle. Mr BRIEN s’y opposa en disant : " Marchons droit sur lui, un d’un côté, l’autre de l’autre, tu ne tireras que s’il veut le premier se servir de ses armes ". CHÉDALEUX les reconnut aussi et hésita ; puis il fit contre fortune bon cœur et passa en le regardant bien l’un après l’autre sans leur dire mot. Mais quoiqu’il tourna le dos à Peillac, ils savaient bien qu’au premier détour, il allait y entrer par la traverse et prévenir la troupe. En effet, comme ils arrivaient au passage du pont d’Oust, ils aperçurent les soldats venant sur eux au pas de course et CHÉDALEUX à cheval en tête. Ils n’avaient pas le temps de traverser la rivière sans recevoir des coups de fusils. Ils prirent leur course le long de la rivière allant vers Glénac: les soldats les suivirent d’assez près. Enfin ils arrivèrent au Marais où, dans les prairies, il leur serait difficile d’échapper. Il fallait passer l’eau au plus tôt. Mr BRIEN ne savait pas nager, mais JOUVANCE nageait comme un poisson. Il n’hésita pas, prit Mr. BRIEN sur son dos et s’élança. Les soldats n’osèrent pas en faire autant, mais ils firent une décharge qui heureusement ne les atteignit pas.
Pendant son séjour dans le pays, Mr de CAQUERAY prit part avec ses hommes à plusieurs expéditions tant dans le Morbihan que dans l’Ille-et-Vilaine et dans la Loire-Inférieure. Mais je n’ai pas à m’en occuper. Je ne puis pas comprendre comment il ne fut pas inquiété davantage pendant l’année qu’il passa dans le pays. Il y avait des garnisons partout et on lui donnait la chasse de temps en temps, mais il était si bien informé que jamais on ne put le surprendre. On trouvait toujours le gîte vide. En revanche, les Bleus n’opéraient jamais leur retraite sans laisser quelques-uns des leurs derrière eux. Au moment où ils y pensaient le moins, un coup de feu partait d’un buisson et quelqu’un des leurs mordait la poussière. On fouillait le buisson, le tireur était déjà loin prêt à recommencer sur un autre point.
Les Chouans ne faisaient pas seulement la guerre de partisans. Ils combattaient le gouvernement de toutes les manières. Ils contrefaisaient les mandats et les assignats ce qui hâta beaucoup leur dépréciation. Une des vieilles tours de la Bourdonnaye était un de leurs ateliers de fabrication. En voici la preuve.
Après 1830, le général Arthur de la BOURDONNAYE ayant brisé son épée, fit des réparations à son château de la Bourdonnaye pour l’habiter quelques mois de l’année. Mr. DONCKER fils, qui depuis a été marchand de fer à La Gacilly et qui était alors homme d’affaires à la Bourdonnaye, reçut l’ordre de faire défoncer le jardin potager à 80 cm de profondeur et de le replanter, car il était abandonné à la charrue depuis longtemps.
Un jour, les ouvriers occupés à ce défoncement vinrent le prévenir qu’ils venaient de trouver un trésor et le prièrent de venir les mettre d’accord, car tous prétendaient à la plus forte part qui eut fini par rester aux plus vigoureux poignets. Mr DONCKER eut quelque peine à leur faire comprendre que, travaillant tous au même chantier, leurs droits étaient égaux, mais que tout d’abord il en réclamait la moitié pour le propriétaire du sol dont il était le représentant. Tout étant convenu ainsi, les fouilles continuèrent. On trouva une assez grande quantité de feuilles de métal fort brillant qu’on croyait être de l’or, puis une petite machine avec une vis de pression, une autre qui ressemblait à une planche d’imprimerie portative, enfin de grosses pinces en fer et des ciseaux de ferblantier. Personne ne pouvait rien comprendre à tout cela. On transporta l’or au château, il fut pesé et jugé d’une valeur considérable. Mr de la BOURDONNAYE fut prévenu immédiatement et Mr DONCKER joignit, à sa lettre, un petit échantillon des feuilles de métal. Puis il proposa aux ouvriers de garder l’or sous les scellés jusqu’au moment d’en faire le partage, ce qui fut accepté. L’or une fois sous le séquestre, la curiosité se reporta sur les vieilles ferrailles et les machines. Mr DONCKER en examina de plus près, reconnut des planches pour la fabrication des louis de 24 livres. On se perdait en conjoncture sur les motifs de la présence de tout cet attirail dans cet endroit. On avait dû y faire de la fausse monnaie. Cependant, nul ne se souvenait d’en avoir entendu parler dans le pays. Toujours est-il que les faux monnayeurs n’emploient jamais les matières pures, cette découverte enlevait considérablement de valeur au trésor. On ne fut donc pas surpris quand Mr de la BOURDONNAYE répondit avoir présenté l’échantillon à deux orfèvres de Rennes qui avaient déclaré que ce n’était pas de l’or, mais une composition d’une certaine valeur néanmoins. Du reste, il abandonnait sa part du trésor aux ouvriers. On en tira une centaine de francs.
Alors un vieux garde nommé CHENORIO, que la Révolution avait trouvé en service à la Bourdonnaye à l’âge de 14 à 15 ans, parut sortir d’un songe et s’écria : " Des louis d’or et des assignats ! J’en ai assez changé à Guer, à Carentoir et à Malestroit du temps de la Révolution. Les Chouans venaient ici de temps en temps et je les voyais quelquefois s’enfermer dans la vieille tour à droite en entrant au château. Ils faisaient éloigner tout le monde et mettaient des gardes dans toutes les directions. Mr de CAQUERAY, leur chef, m’envoyait chercher des provisions de toute espèce tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre et il me donnait toujours des assignats et des louis d’or pour les payer ". Tout s’expliquait ainsi. Les Chouans faisaient de la fausse monnaie pour subvenir aux frais de leur organisation. Doit-on les absoudre entièrement, doit-on les condamner ? Question assez délicate. En tous cas, on ne saurait les confondre avec de vulgaires faux monnayeurs que les lois poursuivent avec raison dans tous les pays. On les avait dépouillés de leurs biens, on les avait proscrits, on les traitait en parias, ils étaient enfin hors la loi dont on leur refusait le bénéfice. Ils étaient engagés avec le gouvernement dans une lutte à mort et, si quelquefois la fin peut justifier les moyens, n’est-ce pas lorsqu’on se trouve dans une pareille position ?
Mais revenons aux faits.
Mr de CAQUERAY se trouvait depuis un an dans le pays et sa bande grossissait sensiblement et promettait de s’augmenter encore, quand sa mort la dispersa. Il avait donné rendez-vous à une cinquantaine de ses hommes au bois des Clos en Saint-Nicolas-du-Tertre pour quelque coup de main dont il n’avait pas parlé d’avance. Il se dirigea vers Ruffiac qui fut laissé un peu à droite. Il pouvait être 8 heures du matin. C’était en été et il faisait déjà chaud. Mr de CAQUERAY voyant une maison isolée à peu de distance, dit à ses hommes de continuer sans s’arrêter, que pour lui il allait boire et les aurait bientôt rejoints attendu qu’il était à cheval. Son lieutenant BOUTEMY lui fit observer qu’il dérogeait à ses habitudes, qu’il n’était pas prudent d’aller seul et le supplia de prendre au moins deux hommes avec lui. Il ne tint pas compte du conseil. Cet acte de témérité fut sa perte.
A peine, sa petite colonne avait-elle fait quatre ou cinq cents pas que l’on entendit plusieurs détonations. Les Chouans commandés par BOUTEMY revinrent sur leurs pas en longeant les fossés suivant leur tactique habituelle. Ils aperçurent un gendarme tenant en mains cinq chevaux dans la cruère d’un champ et, à quelques pas de là, un cheval de gendarme renversé, deux gendarmes soutenant un de leurs camarades, enfin un peu plus loin sous un pommier deux autres penchés sur un cheval renversé qui paraissaient occupés à lui enlever ses harnachements. Les Chouans firent feu sur les gendarmes qui abandonnèrent Mr. de CAQUERAY et celui des leurs qu’il avait renversé en se défendant, remontèrent à cheval et partirent au galop. Les Chouans s’approchèrent de leur chef, il était mort ainsi que le gendarme, tous deux avaient la poitrine traversée d’une balle.
Les Chouans s’occupaient à enlever les cadavres pour les faire enterrer dans quelque cimetière des environs, lorsqu’ils furent attaqués à leur tour par les gendarmes suivis d’une forte colonne d’infanterie. Ils battirent lestement en retraite et se dispersèrent. Comment cette colonne, dont les six gendarmes à cheval étaient les éclaireurs, s’était-elle trouvée là ? Etait-ce fortuitement ou connaissait-elle la marche de CAQUERAY et le poursuivait-elle ? On ne l’a jamais bien su. Toujours est-il que s’il n’avait pas quitté ses hommes, il eut pu s’échapper comme eux. Les chefs de Chouans étaient en général bien renseignés, mais ils furent aussi souvent trahis. Il y a des âmes vénales dans tous les partis. Lorsque les Chouans tombaient dans les mains des révolutionnaires, on ne se donnait plus la peine de les juger ni de les entendre; ils étaient fusillés sans miséricorde. Ces procédés les exaspérèrent et ils usèrent de représailles. Il fallait en finir avec les dénonciateurs et les limiers des colonnes républicaines.
En conséquence, SEGUIN-BEAUVAL de La Gacilly, TRÉMOUREUX et TRIGUET de Cournon, CHÉDALEUX, prêtre jureur à Peillac, qui avait laissé le bréviaire pour la carabine, furent condamnés à mort ainsi que beaucoup d’autres sur différents points du pays et des départements voisins. L’exécution devait avoir lieu partout le même jour ou plutôt la nuit même; toutes les mesures étaient prises. Mais parmi les Chouans dans le secret, il y en avait plusieurs qui avaient reçu des services et à titre de revanche de la part de ces meneurs compromis. Les plus mauvais eux-mêmes n’y manquaient pas à l’occasion, car ils savaient que la fortune pouvait les trahir eux-mêmes un jour et beaucoup sauvèrent ainsi leurs têtes. Plusieurs furent donc avertis assez à temps et purent s’échapper. De ce nombre fut BEAUVAL et ce qu’il y eut de pire, c’est qu’un innocent paya à sa place.
En effet ,le détachement qui devait opérer à La Gacilly et à Cournon ayant cerné la maison, qui était celle habitée par Messieurs DUVAL et ROBERT, vit un Monsieur qui se sauvait par-derrière dans les jardins à la faveur de l’obscurité. On cria aussitôt le voilà, plusieurs coups de feu partirent à la fois et l’homme tomba raide mort. Or ce n’était pas BEAUVAL, mais Monsieur ROBERT, le père du médecin, homme fort inoffensif, auquel les Chouans n’en voulaient nullement. Quant à BEAUVAL, il avait été prévenu et les Chouans eux-mêmes venaient de le croiser, déguisé en paysan comme ils entraient à la Gacilly. On a présumé qu’il devait ce service à JOUVANCE à qui il avait rendu un service de ce genre dans une visite domiciliaire précédente.
La maison BEAUVAL fut fouillée et mise à contribution; puis le détachement se dirigea sur Cournon. En passant au village de la Vallée où demeurait TRIGUET, on s’en empara et il fut fusillé séance tenante. Quant à TRÉMOUREUX, soit qu’il fut absent ou que le bruit des coups de fusil l’eût prévenu à temps, on ne le retrouva pas et il fut sauvé. CHÉDALEUX, à Peillac, fut arraché de son lit. Il se défendit en désespéré et blessa plusieurs Chouans, mais, enfin désarmé et garrotté, il fut fusillé dans la rue. Ces cruelles représailles arrêtèrent le zèle des révolutionnaires; ils laissèrent à la troupe de ligne le soin de faire des perquisitions et, plus d’une fois, il fallut leur faire violence pour les forcer à guider les colonnes.
Vers la même époque, les Chouans fusillèrent un gentilhomme des environs de Vannes ou de Sarzeau; leur vengeance ne connaissait plus de bornes. Depuis longtemps, ce gentilhomme était soupçonné de les trahir; on parlait de ses relations avec les républicains, mais beaucoup répugnaient à y croire. Le quartier général des Chouans était venu s’établir dans les environs de son château, on fit en sorte qu’il en eût connaissance, puis il fut décidé qu’on s’assurerait de ce qu’il y avait de fondé dans les bruits qui couraient sur son compte et que, si la culpabilité était bien prouvée, il serait impitoyablement fusillé. Quelques hommes furent déguisés en gendarmes et choisis parmi les deux opinions, c’est-à-dire ceux qui le croyaient coupable et ceux qui le disaient innocent. Arrivée près de chez lui, la troupe se divisa. Une partie s’embusqua au bout de l’avenue, tandis que l’autre se rendait au château.
Ceux-ci demandent le propriétaire et, après les saluts républicains d’usage, le chef lui dit : " Citoyen, nous sommes envoyés par le citoyen général. Tu as déjà rendu bien des services à la cause des patriotes et à lui en particulier. Il a appris que le quartier général des brigands est dans les environs, mais il ne sait pas au juste où. Il pense que tu dois le connaître et te prie de nous indiquer leur repaire au nom de la patrie ».
Le gentilhomme les assura de son dévouement à la République et leur nomma le village, mais se refusa d’abord à le leur montrer, prétendant que, si les Chouans ou leurs affidés le voyaient avec eux, ils lui feraient un mauvais parti. Ils insistèrent si bien qu’il consentit à les accompagner jusqu’au bout de son avenue. Il leur désigna de là le village en question qu’on pouvait apercevoir dans un fond à une petite demi-lieue et leur donna tous les renseignements possibles sur les chemins et sur le nombre des Chouans qui l’occupaient. Il n’en fallait pas davantage. Ceux qui étaient cachés derrière les fossés avaient tout entendu, le procès était jugé, restait l’exécution. Il fut saisi, qualifié de traître et d’infâme, entraîné dans un taillis et après un quart d’heure qu’on lui donna pour se reconnaître, il fut impitoyablement fusillé.
Quel triste temps, qu’une pareille époque de guerre civile ! Et qu’il est bien vrai de dire que ce sont les événements qui font les hommes. Voilà des gentilshommes qui, dans des temps ordinaires, auraient mené une vie tranquille et vécu en bons voisins, les voilà, dis-je, transformés en traîtres et en assassins. Cependant, les représailles sont quelquefois nécessaires. C’est souvent le seul moyen de sauver un grand nombre de têtes en n’en perdant qu’une seule. Malheur aux hommes dont le cœur n’est pas à la hauteur de la situation !
Plus tard, les Chouans, presque aux abois et ne sachant comment se procurer de l’argent, frappèrent des contributions sur ceux qui, pour sauver leurs têtes ou leurs biens, avaient donné des gages à la Révolution, notamment ceux qui avaient acheté du bien d’Eglise. Il se passa à peu de distance d’ici un fait de ce genre que je ne peux laisser sous silence. Monsieur de KEROUEN ou de QUEROHENT habitait le Bois-Ruault en Caro. Son fis ainé, le marquis, père de Madame LE MINIER de LEHÉLEC, avait émigré. Le père ne se soucia pas d’en faire autant, mais craignant les tracasseries à cause de son fils, il résolut de donner un gage à la Révolution en achetant au loin du bien vendu nationalement. Par ce moyen peu honorable, il faisait d’une pierre deux coups, il augmentait son bien et se mettait à couvert. Il acheta donc des fermes et une forêt provenant de la vente d’une abbaye de Vendôme. Comme on le pense bien, il ne s’en vanta pas, en sorte qu’on fut longtemps avant de le savoir dans le pays. Enfin, on finit par l’apprendre. Les Chouans le mirent à l’index et résolurent de frapper sur sa bourse une contribution considérable. C’était de bonne guerre.
Un soir, au moment où il allait se mettre à table pour souper avec sa famille, un domestique entre bouleversé, disant que des hommes masqués demandent à parler à Mr. de QUEROHENT de suite et sans retard. Il dit à sa femme : " Je suis perdu ! " Madame de QUEROHENT, excellente femme fort respectée, qui ne partageait pas les sentiments de son mari, se précipita dans le vestibule et implora la pitié de ces hommes. On répondit qu’elle n’avait rien à redouter pour les jours de son mari, qu’on le lui rendrait sous peu, mais qu’il fallait absolument qu’il les suivît à l’instant. On lui recommanda surtout de garder le plus grand silence sur cette affaire, car s’ils étaient poursuivis, ils ne répondaient plus de rien. Il fallut se soumettre. Ils emmenèrent Monsieur de QUEROHENT, lui bandèrent les yeux, le placèrent dans une voiture où deux d’entre eux montèrent avec lui et ils roulèrent toute la nuit. Vers le point du jour, la voiture s’arrêta. On le fit descendre et les yeux toujours bandés, on le fit entrer dans une maison, on parcourut plusieurs corridors et plusieurs escaliers et enfin on le fit entrer dans une vaste chambre boisée et plafonnée à l’antique dont les fenêtres étaient soigneusement fermées. Il y avait deux lits, l’un pour lui, l’autre pour son gardien. On lui servit à déjeuner, puis on apporta une plume, de l’encre, du papier et on lui dicta, pour sa femme, les conditions qu’on mettait à sa rançon.
Voici ces conditions qui lui furent imposées sous peine de mort.
1° Il fallait fournir une somme de 30.000 livres en or.
2° que si l’individu qui irait chercher l’argent était inquiété, la vie de Mr. de QUEROHENT en répondrait.
Au bout de 15 jours, au jour désigné, les 30.000 livres furent déposées à l’endroit convenu et emportées sans mauvaise rencontre. Le lendemain, on remit le prisonnier en voiture en prenant les mêmes précautions. Puis, au bout de trois heures environ, on le déposa sur le milieu d’une lande en lui disant qu’il était libre et la voiture s’éloigna rapidement. Il fut quelque temps avant de se reconnaître, car il faisait à peine jour. Néanmoins il fallait prendre un parti. Il prit donc naturellement du côté opposé à celui où il avait vu la voiture disparaître et au bout de quelque temps il se trouva près du Lobeau en Caro à environ trois quarts de lieue de chez lui.
D’où venait-il ? Il ne l’a jamais su positivement, mais il a supposé que ce pouvait être du Brossay en Saint-Gravé. Quant aux auteurs de ce mauvais tour, c’étaient évidemment les Chouans, il ne pouvait s’y tromper. Il en avait même reconnu plusieurs malgré leur déguisement, mais la prudence l’empêcha toujours de les nommer. Le public le fit pour lui et les deux frères du BOUAYS du FRESNE, ses plus proches voisins, ont toujours été regardés comme ayant joué un rôle dans cette affaire.
A la suite de cette aventure dont tout le pays s’amusait à ses dépens, Mr. de QUEROHENT, pensant avec raison qu’il ne se laverait jamais de cette tâche aux yeux de ses voisins, quitta le pays et fut avec un de ses fils habiter son abbaye de Vendôme. Il y est mort et son fils s’y fixa aussi, se maria dans le pays et n’a laissé que deux filles. Madame de QUEROHENT et son fils ainé émigré restèrent en Bretagne.
Je n’ai plus qu’un mot à dire pour finir ce chapitre. Je vous ai déjà cité le Val en Saint-Just et la Giraudais comme des étapes pour les correspondants des Chouans avec les Vendéens et vice versa. Ce qu’il y avait de plus difficile, c’était de franchir les rivières, car les passages entre les mains de républicains étaient généralement bien gardés. Cependant, on était parvenu à en établir d’autres en cachette et l’on avait soin de soustraire les bateaux à leurs recherches.
Port de Roche, aujourd’hui à la famille de la FRUGLAYE, était l’endroit où les Chouans franchissaient le plus souvent la Vilaine, parce que l’on se croyait parfaitement sûr du passager, un nommé GRESLIER ancien piqueur de Monsieur de MARTIGNE, père de Madame DESBOIS de La Gacilly ou plutôt de Cournon, puisque sa maison du Bout du Pont est dans cette commune. GRESLIER n’avait pas suivi son maître en émigration. Bientôt, il acheta Port de Roche, confisqué par l’Etat. Il disait sous main aux Chouans que c’était pour son maître et qu’il ne faisait le républicain que pour mieux tromper l’ennemi, car il recevait les deux partis et les servait sans les trahir. Il ne trahit que son maître, car il sut fort bien garder Port de Roche que son gendre DESBOIS vendit à la famille de la FRUGLAYE. Celle-ci s’empressa de faire ratifier par les anciens propriétaires. C’est alors que la famille DESBOIS acheta l’hôpital en Cournon au Bout du Pont de la Gacilly et vint s’y fixer. Voilà pourquoi je vous en ai parlé.
Reprenons les événements relatifs à la famille. Ma mère continua à errer sous son déguisement jusqu’à la chute de Robespierre. Vers 1794, il y eut un moment plus calme. Elle quitta son déguisement et revint à Sourdéac. Puis vint l’expédition de Quiberon à la suite de laquelle les rigueurs recommencèrent dans l’Ouest et elle fut obligée de se cacher de nouveau pour quelque temps. Elle était sans nouvelle de son mari qu’elle savait avoir pris part à l’expédition. La nouvelle du désastre arriva ainsi que l’exécution qui en fut la suite. Elle le crut mort. Il était pourtant du petit nombre de ceux qui réussirent à s’échapper. Voici ce qui leur arriva.
A la première nouvelle de l’organisation d’un corps d’émigrés à Jersey, mon père vendit son bateau et ses filets et se rendit près du général du DRESNAY près duquel il reprit ses fonctions de major.
Le 16 juillet 1795, les régiments d’Hector et du DRESNAY formèrent la colonne de droite de l’attaque des lignes retranchées des républicains commandés par HOCHE. Ces régiments débarqués les premiers de la flotte anglaise devaient s’emparer du fort de Penthièvre qui fermait et commandait la presqu’île. Ils s’en emparèrent en effet après un combat opiniâtre qui les décima. Mon père, que son poste plaçait au premier rang, reçut, à la première décharge, un biscaïen dans le mollet et fut porté à l’ambulance qui se trouvait en arrière non loin du bord de la mer. Cette blessure le sauva.
De là, il suivait avec un intérêt facile à comprendre les péripéties de ce drame terrible. Les émigrés, commandés par Messieurs d’HERVILLY et de PUISAYE, devaient, après avoir défait les troupes du général HOCHE que l’on croyait peu nombreuses, faire leur jonction avec les Chouans de l’intérieur commandés par Monsieur de TINTÉNIAC. Mais il se trouva que les républicains prévenus par deux transfuges qui livrèrent le fort, avaient massé des troupes supérieures, dès lors mon père prévit un désastre. Le dernier jour, il entendait la canonnade se rapprocher et les émigrés reculant toujours allaient être acculés à la mer. Mon père monta à cheval et se replia avec eux. Son domestique à pied le suivait. Les chaloupes de la flotte anglaise étaient le seul refuge des émigrés. Malheureusement, elles ne pouvaient suffire et plusieurs même trop chargées sombrèrent avec ceux qui les montaient. Une de ces dernières à moitié remplie d’eau flottait à une assez grande distance emmenée par le flot. Il fallait prendre un parti. Mon père qui nageait très bien résolut malgré sa blessure de tâcher de la rejoindre. Son domestique ne savait pas nager. « Monte sur mon cheval, lui dit-il, il te portera bien jusque-là ». Mais dès que le cheval perdit pied, le pauvre homme prit peur et le ramena au rivage où il fut fait prisonnier. Malgré sa nationalité (il était allemand), il fut fusillé à Vannes avec les autres sur la Garenne. Mon père essuya lui-même plusieurs coups de feu qui heureusement ne l’atteignirent pas. Sa blessure se rouvrit au contact de l’eau de mer et lui causait des douleurs affreuses, il perdait son sang et ses forces et quand il atteignit la barque, il fut longtemps sans pouvoir y monter et se voyait au moment de lâcher prise lorsqu’on vint à son secours. Il était temps. La flotte anglaise le ramena à Jersey où il vécut comme il pût en attendant une occasion de rentrer en Bretagne.
L’opinion en Angleterre, comme en France, accusa le gouvernement anglais d’avoir joué un jeu double dans cette triste expédition de Quiberon. En effet, la réussite eut été utile à l’Angleterre en faisant échec à la République et un désastre lui était encore favorable en décimant la fleur de la marine française dont ces régiments d’émigrés étaient composés en grande partie. Aussi, dans une discussion à cet égard au sein du Parlement anglais, PITT ayant dit pour défendre le gouvernement : " Du moins le sang anglais n’y a pas coulé " SHERIDAN lui répondit : " Non ! Mais l’honneur anglais y a coulé par tous les pores ". Ces paroles sont caractéristiques.
Il est certain que toutes les troupes ne furent pas débarquées et que les frégates anglaises qui devaient soutenir l’attaque des émigrés et qui auraient dû couvrir leur retraite ne le firent pas suffisamment.
Cependant, si la dernière division ne fut pas débarquée à temps, la faute en est surtout à d’HERVILLY qui brusqua l’attaque pour avoir seul l’honneur et qui n’aboutit qu’à se faire écraser. La division des chefs et leur manque d’entente qui retarda les opérations donna le temps à HOCHE de recevoir de nombreux renforts et de les enfermer dans la presqu’île.
Peu de temps après, le roi Louis XVIII s’étant fait rendre compte des événements, distribua des récompenses. Cinq officiers seulement du malheureux régiment de DU DRESNAY étaient rentrés en Angleterre et tous blessés. Ils furent faits chevaliers de Saint-Louis. Ainsi la nomination de mon père dans cet ordre doit dater du mois d’août ou de septembre 1795.
La plupart des émigrés qui débarquèrent à Quiberon, périrent les armes à la main. Cependant les derniers, commandés par le comte de SOMBREUIL, en assez grand nombre encore, se rendirent sur la parole du général HOCHE qu’ils auraient la vie sauve. HOCHE fut désavoué et tous les prisonniers fusillés sur la Garenne à Vannes ou à Auray dans les prairies au bord de la rivière. La Restauration y a fait élever un monument à leur mémoire sur le lieu même de l’exécution qui s’est appelé le Champ des Martyrs.
Quoique dans ce récit je m’occupe surtout des événements qui concernent ma famille, je ne puis me dispenser de vous parler de la triste fin d’une illustre race.
Le comte de RIEUX, marquis de SOURDEAC, avait émigré de Paris avec son fils qu’on appelait, dans ce pays, le comte LOUIS. Cet intéressant jeune homme, le dernier de son nom, faisait partie de l’expédition de Quiberon et fut compris dans la capitulation de SOMBREUIL. Il n’avait que 18 ans. Quelques personnes qui s’intéressaient à lui cherchèrent à le sauver et réussirent à obtenir d’une des autorités révolutionnaires qu’on le ferait évader moyennant une somme de 30.000 livres. Mais pour trouver cette somme, on ne voulut accorder qu’un délai de sept jours et, vu le temps et la difficulté des communications, il n’était pas facile de réunir cette somme en si peu de temps. Une lettre envoyée à Mr JOYAUT de COISNONGLE, homme d’affaires des de RIEUX, ne lui parvint qu’au bout de deux jours. Il se mit de suite à réunir la somme et partit pour Vannes dès qu’il eut pu y parvenir et comme le délai allait expirer, il voyagea toute la nuit. En arrivant, il eut la douleur d’apprendre que deux heures avant au point du jour, le dernier des de RIEUX venait d’être fusillé. Il avait fait tout son possible. Néanmoins, il fut tellement impressionné qu’il en fit une maladie et que l’on craignit beaucoup pour sa raison. Il ne s’en consola jamais.
Bien peu, de ceux qui se rendirent à la capitulation de SOMBEUIL réussirent à se sauver. Je n’en ai entendu citer que trois. Cependant, il dut y en avoir d’autres. Les soldats républicains eux-mêmes dans le trajet de Quiberon à Vannes engagèrent plusieurs des prisonniers à s’échapper, ils étaient dégouttés des vengeances républicaines et auraient volontiers fermé les yeux. Mais telles étaient les idées du point d’honneur chez les membres de la noblesse, qu’ils auraient cru manquer à un serment sacré en s’échappant après avoir donné leur parole. Ceux qui sont tombés sous le fer de la République à Vannes et à Auray sont donc bien véritablement des martyrs de l’honneur.
Voici les 3 seuls faits d’évasion que je connaisse. Lorsque les prisonniers eurent connaissance de la condamnation à mort de ceux qui avaient comparu les premiers devant la commission militaire au mépris de la foi jurée, beaucoup songèrent à s’évader, mais il n’était plus temps.
Monsieur HARSCOUET de SAINT-GEORGES, grand-père de celui actuel de Keronic et un autre émigré dont je ne sais pas le nom, avisèrent, au moment où on venait appeler de nouvelles victimes, une trappe qui faisait communiquer leur prison avec les combles du vieux couvent dans lequel on les avait réunis. L’instinct de la conservation les poussa à y grimper rapidement et, dans le tumulte du moment, ils ne furent pas remarqués. Quand la prison fut vidée, ils cherchèrent une issue, mais inutilement. Il y avait des gardes partout, tant au-dedans qu’au-dehors. Ils résolurent d’attendre l’occasion de rencontrer un soldat seul et de chercher à le gagner. Ils avaient quelque argent et Mr de SAINT-GEORGES qui était du pays, pouvait se procurer la somme nécessaire, s’il pouvait sortir de prison. Ils attendirent longtemps et ils entendirent le roulement de la fusillade qui envoyait leurs compagnons d’infortune dans l’éternité.
La nuit était venue depuis longtemps quand un soldat entra dans leur prison. Il était seul et resta fort étonné en les voyant. Ils lui firent signe immédiatement de ne rien dire et de fermer la porte puis, à voix basse, ils racontèrent leur position et firent la promesse d’une forte somme s’ils pouvaient réussir à s’évader. Le soldat réfléchit un instant, puis leur dit qu’il ne pouvait pas entreprendre seul une pareille évasion, mais qu’il allait, s’il était possible, s’assurer du concours indispensable du sergent. Au bout d’un certain temps, le sergent lui-même entra dans la prison et leur dit : " Je consens à essayer de vous sauver, mais nous y jouerons notre tête et il faut que nous désertions avec vous. Je demande la promesse d’une somme de 15.000 Frs pour moi et autant pour le soldat qui doit m’aider ". Ces messieurs promirent immédiatement. De plus, reprit le sergent, il faut que je grise le poste; avez-vous quelque argent sur vous. Chacun s’empressa de se fouiller et le sergent sortit. Il fallut encore attendre que l’eau de vie eût accompli son œuvre. Enfin, le sergent revint avec deux capotes de soldats qu’ils s’empressèrent d’endosser, puis ils sortirent derrière lui. Ils traversèrent le poste sans encombre; les soldats allongés sur les bancs ne donnèrent pas signe de vie. Le factionnaire de la porte se joignit à eux après avoir déposé son fusil dans sa guérite. C’était le soldat auquel ils s’étaient d’abord ouverts. Le sergent prit aussitôt la clef de la porte extérieure et, une fois dans la rue, ferma la porte à double tour. Les fugitifs prirent immédiatement leur course; mais tout danger n’était pas passé, car il fallait sortir de la ville qui était gardée militairement.
Je ne sais par quel moyen ils y parvinrent , mais ils y réussirent et gagnèrent les villages bien connus de Mr de Saint-Georges. Les deux soldats passèrent aux Chouans pendant quelque temps puis, munis chacun de leurs 15.000 Frs, ils regagnèrent Paris d’où ils étaient.
L’autre évasion est bien plus extraordinaire. Elle tient presque du miracle.
Un gentilhomme normand, dont je ne sais pas le nom, avait été emmené avec une soixantaine de ses camarades pour être fusillé. Arrivés dans la prairie aujourd’hui appelée le Champ des Martyrs où l’on a élevé une chapelle expiatoire au bord de la petite rivière d’Auray, lieu désigné pour les exécutions, ils furent mis sur une seule ligne en face de 400 soldats qui devaient les fusiller. Quelques instants après, la terrible décharge a lieu et les malheureuses victimes tombent toutes, la plupart foudroyées.
Quelques unes cependant n’étaient pas mortes sur le coup et se tordaient dans les convulsions de l’agonie. Le normand, par la protection de la providence, ne fut pas atteint, mais il se laissa tomber comme les autres et, roulant pour simuler les convulsions des blessés, il se rapprochait le plus vite possible de la rivière. Alors celui qui commandait l’exécution, s’avança à deux ou trois pas et dit en élevant la voix ; " Si quelqu’un n’a pas été atteint, qu’il se lève, la République lui pardonne !" Ce n’était là qu’un piège horrible, car les soldats rechargeaient leurs armes précipitamment. Le normand continua donc à rouler, puis se levant rapidement il fut en deux sauts au milieu des saules qui bordaient en cet endroit la rivière et, plongeant rapidement, reçut encore une nouvelle décharge sans être atteint. Il nageait bien, quelques brasses le portèrent sur l’autre bord où des paysans témoins de ces tristes scènes protégèrent sa fuite. N’est-ce pas le cas de dire : " Ce que Dieu garde est bien gardé ".
Vingt ans plus tard, sous la Restauration, lors de la pose de la première pierre de la Chapelle expiatoire et du monument de la Chartreuse faite par Monseigneur de BRUC, évêque de Vannes, un homme, déjà avancé en âge et que personne ne connaissait, se tint pendant toute la cérémonie dans le recueillement le plus complet; il levait à peine les yeux, mais ses larmes coulaient avec tant d’abondances qu’il était souvent obligé de couvrir sa figure de ses mains. C’était ce gentilhomme échappé miraculeusement qui était venu de sa Normandie prier pour ses malheureux frères d’armes et revoir une fois encore où s’était accompli un des plus cruels drames de la Révolution.
Après cette malheureuse expédition qui avait pour elle toutes les chances de succès si elle avait été bien conduite et si la trahison n’était pas venue se joindre à la mésintelligence des chefs, les rigueurs recommencèrent dans le Morbihan.
Les nombreuses troupes que HOCHE avait concentrées dans les environs de Vannes et d’Auray, fouillèrent le pays dans tous les sens en se retirant. Ma mère reprit, comme je vous l’ai dit, son déguisement de paysanne et sa vie errante. Un an avant, en 1794, ma grand-mère et mes tantes étaient sorties de prison à la mort de Robespierre. Je ne sais si elles rentrèrent alors à Sourdéac. En tous cas elles n’y restèrent pas longtemps, car à l’époque de l’expédition de Quiberon, elles étaient à Rennes et ma mère était seule à Sourdéac. Pourquoi ne les suivit-elle pas ? Je ne le sais pas au juste, mais il est probable qu’elles se croyaient plus en sûreté dans le pays sous son déguisement. Plusieurs colonnes de troupes séjournèrent à Glénac et fouillèrent les environs. Ma mère leur échappa grâce à son déguisement et à la discrétion des habitants.
Mr de FOUCHER avait ses refuges ordinaires. Mais un jour il fut surpris et faillit passer un mauvais quart d’heure. Il finissait de diner quand il entendit des coups de fusil au bas de son jardin. Furieux qu’on se permît une semblable imprudence (car il croyait avoir à faire aux habitants de Glénac), il se précipite pour en admonester vertement les habitants. Le mur du jardin, le long du marais, était alors masqué par une charmille. Il arriva donc sur les délinquants avant d’avoir pu les reconnaître et débouchant à l’improviste en saisit un par le collet en s’écriant : " Qui vous a permis d’entrer ici et de tirer sur mes oies". C’étaient deux grenadiers qui s’amusaient à tuer des oies sur le marais par-dessus le mur du jardin. Le père FOUCHER reconnaissant enfin à qui il avait à faire faillit tomber de son haut. Il s’empressa de relâcher son homme qui, faisant trois ou quatre pas en arrière et croisant la baïonnette, lui dit à son tour : B... de Chouan, si je te foutais la curée de mon fusil dans le ventre, qu’en serait-il ? » Mais déjà le père FOUCHER était à ses pieds : " Pardon, Citoyen, je me suis trompé; je suis un citoyen inoffensif, père de cinq enfants; j’ai un frère colonel au service de la République. Faites-moi le plaisir de venir vous rafraîchir ". Les grenadiers, qui sans doute avaient soif, ramassèrent leurs oies et le suivirent.
Quand ils furent partis pour rejoindre leur colonne, le bonhomme qui se voyait déjà une mauvaise affaire sur les bras, ne demanda pas son reste et fila vers le camp de Saint-Just aussi fort que ses jambes pouvaient aller. Mais ce jour-là était un jour néfaste, car il tombe de Charybde en Sylla. Il arrive tout essoufflé à la Chouannière et prie Mr RADO de le mettre de l’autre côté de l’Aff. Celui-ci fait observer qu’il serait imprudent de montrer son bateau et de s’en servir en plein jour sans une absolue nécessité; que du reste le passage n’était pas occupé et qu’il valait mieux aller par là.
Voilà donc le bonhomme qui rebrousse et qui enfile par la chaussée. Comme il arrivait au bout, il se trouva nez à nez avec une troupe de républicains, pas moyen de fuir ! Il prend son parti en brave et se dirige vers eux, salue le commandant le plus républicainement possible, parle de son patriotisme, se recommande de son frère le colonel, montre du doigt sa maison et prétexte une affaire dans les environs. On le laisse aller. Mais un peu plus loin, il rencontre quatre traînards accompagnés d’une cantinière, espèce de harpie révolutionnaire qui l’agonise de sottises et veut absolument contraindre les soldats à l’arrêter et à le conduire à leur chef. Il a beau dire qu’il vient de lui parler et qu’il a reconnu son civisme, elle ne veut rien entendre. Cependant les soldats, d’abord indécis, finissent par le laisser passer et il se sauve à toutes jambes croyant à tout instant recevoir une balle, car les invectives de la cantinière continuaient de plus belle contre lui et contre les soldats. Enfin, il arriva plus mort que vif au camp de Saint-Just où il n’eut pas trop d’un bon souper et de sa partie de cartes pour le remettre de ses émotions multipliées de ce mémorable après-midi.
Il racontait souvent cette anecdote et, relativement à son apostrophe au grenadier, il ajoutait : " Il y a des jours où on perd la tête ! c’est la plus grande folie de ma vie. Je ne la referais pas aujourd’hui. Jeunesse présomptueuse, Vieillesse méfiante ". Il aimait à citer les proverbes.
Au bout de quelques mois de sa rentrée en Angleterre, mon père découragé fut pris d’une espèce de spleen ou de mal du pays. Après avoir réfléchi longtemps et froidement sur les illusions de son parti qu’il avait d’abord partagées lui-même, il ne put réussir à voir pour le moment la moindre chance de succès. Il résolut donc de rentrer en France; il savait bien à quoi il s’exposait, mais il aimait mieux mourir dans sa patrie et près des siens que sur une terre étrangère. Il gagna de nouveau Jersey qui était le point de départ et d’arrivée de la correspondance des Chouans et s’aboucha avec les royalistes chargés de ce service. Il fut convenu qu’il partirait pour la France à la première occasion.
Quinze jours après, il s’embarqua sur un sloop armé en corsaire, un des bâtiments qui faisaient ce service et ils cinglèrent vers les côtes de Bretagne. Il dit adieu de bon cœur à cette terre d’Angleterre de laquelle il avait reçu quelques secours, mais qui, sans trahir positivement la cause du Roi comme le Roi de Prusse, ne faisait rien de ce qu’il fallait pour éteindre la guerre civile en France. Il y avait à bord, outre les personnes chargées de la correspondance, quelques émigrés qui rentraient comme lui, les uns pour se cacher dans leurs familles, les autres pour prendre part à la Chouannerie. Vers le milieu de la nuit, le navire mit en panne, deux canots furent mis à l’eau et les émigrés y entrèrent avec leur petit bagage et armés de pied en cape. On fit force de rames pour gagner la terre, tout en faisant le moins de bruit possible et on prit terre dans une petite baie à une lieue de Saint-Cast. On débarqua rapidement et les chaloupes regagnèrent le large. Les débarqués avaient à peine fait 400 pas sur la grève, lorsqu’ils entendirent crier : " Qui vive ! " Personne n’ayant répondu, deux coups de feu partirent presque en même temps. Celui qui commandait leur petite troupe pratiquait ces débarquements depuis longtemps. Il ne fut point surpris; mais se retournant vivement vers son monde, il demanda : « Y a-t-il quelqu’un de blessé ? Non - alors sur eux, au pas de course ». Mais les deux douaniers ne les attendirent pas.
Ils gagnèrent l’intérieur des terres par des chemins détournés et à travers champs; puis, après avoir fait environ trois lieues, le jour allait paraître; ils se séparèrent et chacun chercha à se tirer d’affaire comme il put. Mon père connaissait un gentilhomme des environs qui était prévenu de son arrivée et qui l’accueillit parfaitement. C’était, je crois, Mr de la BARONNAIS (Collas). Ce gentilhomme avait une nombreuse famille. Mon père qui l’ignorait, voyant un couvert de dix-huit personnes, ne put s’empêcher de faire des reproches à son hôte d’avoir invité des étrangers, sa position ne lui permettant pas de se montrer dans une réunion aussi nombreuse. « Rassurez-vous, lui dit en souriant Mr de la BARONNAIS, il n’y a que ma famille : ma femme, ma belle-sœur et mes enfants. » Il passa la journée dans cette famille patriarcale et le lendemain, son hôte le conduisit chez un voisin qui lui-même le mena chez un autre et il arriva de la sorte à la Minière en Réminiac, chez Mr du QUEUZO (Henry) d’où il adressa un messager à Sourdéac pour ne pas surprendre ma mère. Il y arriva la nuit suivante après cinq ans d’absence.
Je n’entreprendrai pas de dépeindre les émotions suivies de crainte que mon père et ma mère éprouvèrent en cette circonstance. Il fallait le plus grand secret. On pouvait compter sur les domestiques; ils furent mis dans la confidence. Il fut convenu que les portes de la cour seraient verrouillées, même le jour, pour donner le temps à mon père de se cacher en cas d’alerte. Alors il gagnait le grenier de la chambre au-dessus de la cuisine qui communiquait avec cette chambre par un placard d’attache dont on dissimulait les joints en y accrochant quelques effets. Ce moyen réussit pendant quelque temps, mais il n’offrait pas une grande sécurité. Mon père étudia tous les coins de la maison pendant quelques jours et finit par s’arrêter au grenier du cellier en appentis qui débouchait dans le corridor des chambres. Il fallait y faire un placard dont le fond mobile put être soigneusement dissimulé. Pour cela, il fallait l’aide d’un homme du métier. On jeta les yeux sur un vieux couvreur nommé RIALLAND qui accepta volontiers et garda le secret parfaitement. Mon père l’aidait de toutes ses forces. Il avait hâte d’avoir enfin un gîte plus sûr. Malgré cela, l’opération dura six jours. Mais c’était si bien fait que, malgré les nombreuses fouilles qui eurent lieu, cette cachette ne fut soupçonnée par personne.
Quelles ne devaient pas être les angoisses de ma pauvre mère quand, accompagnant elle-même les personnes qui faisaient ces visites, leur ouvrant elle-même les appartements, les meubles, les armoires, elle arrivait au fameux placard dont le fond seul les séparait de son mari! Quelle force de caractère il lui fallut pour ne pas trahir son inquiétude ! Un regard, une hésitation, la moindre chose enfin, pouvait mettre sur la voie ces limiers habitués à lire les impressions du visage. Eh bien ! Cette femme qui paraissait si timide a toujours eu assez de force pour paraître impassible dans ces circonstances.
Une seule fois elle eut peur de s’être trahie.
Un prêtre, Mr COUE DE LA TOUCHE, se trouvait à la maison quand une visite domiciliaire vint les surprendre pendant la nuit. Mon père et lui se vêtirent à la hâte et se précipitèrent dans la cachette. Mais leurs lits défaits et chauds étaient une preuve accusatrice qu’il fallait faire disparaître avant d’introduire les commissaires. Ma mère ouvrit sa fenêtre et leur cria : « On y va ! Donnez-nous seulement le temps de nous vêtir ». Cependant, les républicains s’impatientaient et manquaient d’enfoncer la porte. On ouvrit et ils entrèrent fort mal disposés, comme on peut le croire. La visite commença. Arrivés au fameux placard, ma mère frissonna malgré elle et fit un mouvement qui eut pu la trahir s’il eut été remarqué. Elle avait entendu une voix. Celui qui était derrière elle pouvait l’avoir entendue aussi et tout était perdu. Mais elle vit qu’il n’en était rien et se remit aussitôt.
La visite finie et les républicains partis, ces messieurs sortirent de leur réduit. Elle leur fit part de la frayeur qu’elle avait eue. Voici ce qui était arrivé. Mon père avait le dos appuyé contre l’entrée de la cachette en cas qu’on eût frappé dessus, afin qu’elle n’eût pas sonné le creux, ce qui les aurait fait découvrir. Au moment où on ouvrait le placard, Mr de la TOUCHE fut pris d’un tremblement nerveux très violent et ses dents claquaient fortement. Mon père lui fourra son mouchoir dans la bouche en lui disant : « Mordez dedans ! » C’était ce que ma mère avait entendu.
Mon pauvre père a mené cette existence précaire pendant vingt-sept mois. Il ne sortait jamais le jour. Le soir, quand les ténèbres couvraient la terre, il allait faire les cent pas dans le jardin. Si la nuit était trop claire, il se renfermait dans la cour et les domestiques faisaient sentinelle au-dehors pour donner l’alarme en cas de surprise et empêcher qu’un œil indiscret ne vint à s’appliquer aux interstices des portes. Cette réclusion de vingt-sept mois fut funeste à la santé de mon père qui, étant d’un tempérament sanguin, avait besoin de beaucoup d’exercice et quoiqu’il n’eut que 34 ou 35 ans, il s’en ressentit jusqu’à la fin de sa vie.
Autre Aventure de Monsieur de Foucher
Dans les premiers mois de la rentrée de mon père, beaucoup firent comme lui. Les plus jeunes passèrent aux Chouans pour la plupart, mais ceux-ci voyaient d’assez mauvais œil les anciens officiers qui auraient pu leur enlever le commandement et qui ne se prêtaient pas facilement à leur manière de faire la guerre. Ils furent donc presque tous obligés de se cacher. De ce nombre était Auguste de FOUCHER, le frère de celui du Grand Clos, qui avait fait les campagnes de l’armée de Condé. Connaissant la pusillanimité de son frère, il n’osa se rendre au Grand Clos. Il alla donc d’abord à la Giraudaye et le jeune Charles du FRESCHE qui était alors tout jeune, fut envoyé au Grand Clos prévenir Mr de FOUCHER que son frère l’attendait. A cette nouvelle ,le père FOUCHER entra en fureur en déclarant qu’il n’irait pas en poussant des exclamations dans ce genre contre son frère : « Ebobé ! Qu’avait-il besoin de venir ici nous compromettre ! Qu’il ne fasse pas au moins la bêtise de venir ici ! Je ne le verrai certainement pas. »
Sa femme toute honteuse lui fit observer qu’il serait bien dur, après toutes les misères qu’il avait essuyées, d’être ainsi reçu par son frère après sept ans d’absence. Elle le chapitra si bien qu’il consentit à partir avec du FRESCHE; mais il ne voulut point aller par le passage. Ils se dirigèrent par la Chouannière où le père RADO consentit à remettre son bateau à flot et à les déposer au pied du rocher de Roche-Creuse. Ils gravissaient entre les deux rochers par un sentier presque à pic quand, en arrivant près du sommet, le père FOUCHER dit à son compagnon : " Grimpe donc jusqu’en haut et assure-toi si la route est libre - Tu ne vois rien ? » « Si, je vois un hussard qui passe sur la route au pied du moulin, allant vers Redon, nous ne pouvons donc le rencontrer ». Mais au mot de hussard, le père FOUCHER s’était rejeté si vivement en arrière qu’il fit un faux pas et dégringola la pente en moins de temps que je n’en mets à le dire. Du FRESCHE le crut blessé, mais il se releva aussitôt et alors commença une pantomime si réjouissante que Mr du FRESCHE faillit en être malade à force de rire.
Le père FOUCHER, sans oser élever la voix, faisait mille contorsions et gesticulait pour faire revenir Mr RADO qui avait gagné l’autre bord et était fort occupé à couler son bateau. Les éclats de rire de Mr du FRESCHE lui firent enfin lever les yeux et ce dernier lui cria de quoi il s’agissait tout en continuant à étouffer. Rien n’y fit. Il fallut revenir chercher le bonhomme qui criait toujours à demi-voix : « RADO! Ebobé ! Dépêche-toi donc vite de venir me prendre ! » Mr RADO revint à la fin et Mr de FOUCHER retourna au Grand Clos où sa femme lui fit un rude sermon, tandis que Charles du FRESCHE rentrait à la Giraudaye et racontait l’aventure dont on s’amusa tout le reste du jour et même le jour suivant quand on vit enfin arriver le bonhomme cédant aux nouvelles instances de sa femme. Mr. de FOUCHER racontait volontiers cette anecdote et en riait lui-même, mais il prétendait que du FRESCHE chargeait le tableau. Celui-ci, qui aimait à gouailler, ripostait vivement. Il était curieux de les voir aux prises.
Quelques mois après la rentrée de mon père, ma mère s’aperçut qu’elle était grosse. La position était vraiment embarrassante. Si elle faisait ses couches à Glénac ou dans le pays, c’était faire connaître la présence de son mari. On l’eut alors tant et tant cherché qu’il aurait fini par être découvert. Dans ces cas, sa mort était certaine. Que faire ? Aller dans une grande ville où elle eût été inconnue ? Mais il fallait faire enregistrer l’enfant. Il serait déclaré enfant naturel et, par conséquent, inhabile à hériter même de la mère s’il avait au plus tard d’autres frères. Il fallait donc trouver un moyen de tout cacher aux autorités du pays, tout en faisant enregistrer l’enfant sous son véritable nom. Ce n’était pas chose facile. On écrivit à Rennes, à ma grand’mère et à Mr. de KERVEN à Lesneven (le frère de ma mère n’avait pas émigré).
La poste n’allait pas vite alors; on perdit beaucoup de temps. Enfin, on reçut une lettre de Mr de KERVEN qui disait à ma mère de venir chez lui pour y faire ses couches, qu’une fois l’enfant venu au monde, on s’arrangerait de façon à le faire enregistrer à la mairie, que la municipalité de Lesneven était plus bête que méchante, à l’exception d’un seul qu’on trouverait bien moyen d’écarter ce jour-là. Cette lettre fut reçue avec joie et ranima les courages. On écrivit de nouveau à ma grand’mère qui envoya sa fille Renée (qui fut depuis religieuse de Saint-Thomas) pour accompagner ma mère.
Le voyage décidé et le jour fixé, il fallait se procurer un passeport. Il ne pouvait paraître extraordinaire aux autorités que ma mère voulut aller dans son pays natal où elle avait ses propriétés et qu’elle se fit accompagner de sa belle-sœur. Aussi le passeport fut délivré sans la moindre observation. Toutes ces démarches avaient demandé bien du temps et la grossesse de ma mère était si avancée qu’on craignait de la voir accoucher en route, car la route était longue et il n’y avait d’autres moyens de transport que les chevaux et les charrettes. Si malheureusement l’événement arrivait en route, tout serait découvert et on retombait dans les périls que l’on voulait éviter tant pour le père que pour l’enfant. Le premier jour, on coucha à Rochefort; le second à Vannes chez des vieilles demoiselles Du COUËDIC qui avaient été prévenues et qui voulaient garder ma mère un jour ou deux à se reposer, car elle était bien fatiguée. Mais il n’y avait pas de temps à perdre; en conséquence, on repartit le lendemain en passant par Le Faou et Châteauneuf pour éviter Quimper. Enfin, ma mère arriva à Lesneven après plusieurs jours de route, en proie à des fatigues physiques et morales de toute sorte. Elle se mit immédiatement au lit et ne tarda pas à éprouver les premières douleurs. Le doigt de Dieu n’apparait-il pas en tout ceci d’une manière incontestable.
Monsieur de KERVEN, ayant été prévenu que l’accouchement ne se ferait pas attendre longtemps, envoya chercher Monsieur MORSEC de KERDANET, avocat distingué et sur lequel on pouvait compter. A son arrivée, il fut introduit dans la chambre de ma mère et tout lui fut expliqué. Après avoir réfléchi un instant, il dit à Mr de KERVEN et à ma mère : " Sitôt que l’enfant sera né, présentez-le à la mairie; il est important que personne ne connaisse sa naissance avant la présentation. Il faut agir par surprise; s’ils ont le temps de la réflexion, cela pourrait ne pas réussir, mais pris à l’improviste, ils l’inscriront probablement sans faire d’observations. Puis demandez de suite un extrait de l’acte, signé, avec le cachet de la mairie. Si les choses se passent ainsi, comme je l’espère, ils seront pris dans leurs propres filets ". Puis s’adressant à ma mère, il lui dit : " Bon courage et de la présence d’esprit, car il est à craindre que s’apercevant de leur bêtise, ils ne viennent vous réclamer l’extrait, mais n’ayez pas peur, dites que vous ne l’avez plus, que vous l’avez adressé à votre mari... bref, ne le donnez sous aucun prétexte, ils ne peuvent rien contre vous ". Il sortit en lui répétant : " Bon courage, n’ayez pas peur ".
Elle accoucha d’un gros garçon (votre oncle Louis) sans que cette nouvelle eût transpiré. Tout se passa comme Mr de KERDANET l’avait prévu. Mr de KERVEN prit son vieux domestique et un voisin pour témoins et se rendit à la mairie avec l’enfant, dicta l’acte qui fut transcrit par l’officier municipal et signé séance tenante. Puis il demanda un extrait qui lui fut également délivré, afin, dit-il de l’envoyer au père par un exprès qui allait partir de suite.
Quelques heures après, c’était la nouvelle de toute la ville. Le meneur du Conseil municipal l’apprit par hasard et, au nom DE GOUYON, il flaira quelque chose d’insolite dans cette affaire. Il arrive à la mairie, demande à voir l’acte et dit à son compère : " As-tu consulté la liste des émigrés avant l’enregistrement? » « Ma foi, dit l’autre, je n’y ai pas pensé » - « Vas la chercher » et ils se mirent à la parcourir. A l’article GOUYON, ils en trouvèrent deux émigrés dans le Morbihan: l’un marié et l’autre célibataire. Ils s’écrièrent alors : " Nous sommes floués ! Il faut recouvrer l’extrait ! " Et aussitôt ils arrivent chez Monsieur de KERVEN et malgré la position de ma mère, ils insistent pour être admis auprès d’elle. Il fallut les introduire.
C’était d’exécrables despotes, la vie des particuliers étaient entre leurs mains. Ils entrèrent donc et dirent à ma mère que l’extrait qu’on lui avait délivré n’était pas en bonne forme, qu’elle devait le rendre et qu’on lui en délivrerait un autre plus régulier. Ma mère répondit qu’elle regrettait d’autant plus qu’il ne fut pas en bonne forme qu’il était déjà expédié et qu’il serait impossible de rejoindre l’exprès qui avait presque une journée d’avance: mais qu’ils pouvaient toujours délivrer un nouvel extrait et qu’on annulerait le premier.
Cela ne faisait pas leurs affaires. Ils éclatèrent donc en menaces grossières. Ma mère l’avait prévu et ne fut pas troublée. Ils s’écrièrent : " Citoyenne, tu nous as trompés ! Ton mari est émigré, nous nous en sommes assurés ". " ça n’est pas vrai, leur répondit ma mère. Il a été obligé, pour se cacher, de quitter son domicile, mais il est en France. D’ailleurs qui me prouve ce que vous me dites ? Pouvez-vous me montrer cette liste ? » L’un d’eux la tenait à la main. Il la lui présenta en disant : " Tiens, vois l’article Morbihan ". Ma mère y jeta les yeux et dit avec un sang-froid qui les déconcerta : " Quoi! C’est avec de pareils documents que vous prétendez que mon mari est émigré, mais il n’y a aucun prénom et le nom de COIPEL que nous portons pour nous distinguer des autres familles de GOUYON, qui sont nombreuses en Bretagne, ne s’y trouve même pas ! " Puis se tournant de l’autre côté, elle ajouta : " Je suis très fatiguée, j’ai déjà trop parlé dans la position où je suis, je vous prie de me laisser reposer ". Ils se regardèrent assez déconcertés et sortirent de la chambre en jurant.
La nuit venue, Mr. de KERDANET vint savoir comment les choses s’étaient passées. Il rit bien du tour qu’il venait de jouer aux municipaux, demanda à voir l’enfant et dit en partant : " Il est fort et bien gentil; c’eut vraiment été dommage qu’il n’eût pas un état civil en bonne forme ". Lorsque ma mère fut remise, on s’occupa de trouver une nourrice à l’enfant, car il était impossible de le mener à Glénac où il fallait absolument qu’on ignorât tout ce qui s’était passé. Il fut mis en nourrice au moulin du Diouris sur l’Abervrac’h en Plouguerneau, non loin du château de Kérouartz. Il ne fut amené à Sourdéac que trois ans après, lorsque mon père n’eut plus besoin de se cacher. Quand ma mère revint à Sourdéac, la terreur régnait encore avec cependant des intervalles de calme relatif. Aussi quand ma mère se désolait, mon père qui entrevoyait la fin de l’orage, tachait de la tranquilliser. Il faisait même des projets pour arranger la Villejanvier et s’y installer. Le terme de sa réclusion arriva enfin.
Les premières années de l’Empire se passèrent paisiblement pour les membres de la famille, surtout en les comparant à la vie de misère et aventureuse qu’ils avaient menée pendant la Révolution. Les guerres, il est vrai, étaient continuelles, mais cette triste phase ne les atteignait guère que moralement; ils n’avaient pas d’enfants en âge d’entrer dans les armées. Le général de FOUCHER seul les intéressait comme parent.
Les premières années de leur séjour à la Villejanvier ne nous offrent que des événements peu remarquables; je vais cependant jeter un coup d’œil rapide sur l’ensemble du pays pendant cette période.
Fatiguées de la Révolution et de ses horreurs, les populations avaient salué l’Empereur comme un sauveur. En effet, en rétablissant l’ordre et la sécurité des personnes, il leur rendait aussi leur culte; c’étaient de grands titres à leur reconnaissance. L’enthousiasme ne cessa que lorsqu’on vit que la guerre était son élément et que tout, dans son gouvernement, ne tendait qu’à cela.
La conscription, l’impôt du sang, fonctionnait sans relâche. Un jeune homme qui partait ne pouvait pas dire, comme aujourd’hui : " S’il ne m’arrive pas malheur, je reviendrai dans sept ans ". A cette époque, il n’y avait pas de temps limité pour la durée du service, l’empereur vous gardait tant qu’il voulait. Quelquefois, après un traité de paix, on donnait quelques congés définitifs, mais ça n’était guère qu’aux blessés, infirmes ou malades et longtemps avant la chute de l’Empereur, les populations étaient bien lasses de cet état de choses complètement arbitraire.
A la réouverture des églises, Cournon fut adjoint à La Gacilly pour le spirituel. Il n’y avait qu’un prêtre, c’était Mr JOUBAUD TUBAULT qui avait d’abord fait le serment constitutionnel (c’était donc ce qu’on appelait un prêtre jureur), mais il s’était rétracté. Monseigneur de PANCEMONT, évêque de Vannes, ne jugea pas à propos de le laisser seul. Il fut envoyé dans une autre paroisse. On envoya à La Gacilly-Cournon, un prêtre qui rentrait de l’émigration, un gentilhomme, Mr de la BOEXIERE DE LA VILLE ELOY. Il connaissait La Gacilly et ne se souciait pas d’avoir trop de frottement avec les habitants. Comme Cournon était aussi sa paroisse, il pensa qu’il avait le droit de résider à son choix dans l’une ou dans l’autre. Il choisit Cournon et comme il n’y avait pas de presbytère ni dans l’un ni dans l’autre endroit, il s’installa à la Croix, dans la maison qui sert de cuisine au presbytère actuel. Il disait tous les jours la messe à Cournon et, le dimanche, il allait dire la grand’messe à la Gacilly. Il ne resta que peu de temps. Bientôt, il fut nommé doyen de Péaule, très belle cure où il est mort quelques années après.
Il fut remplacé par Mr GUIHO qui entreprit la construction d’un presbytère à Cournon. Mon père donna conditionnellement pour cette construction une partie du courtil de la ferme de la Cour de Cournon où l’on voit encore une excavation que les broussailles et quelques chênes venus naturellement ont envahie. Mais M. GUIHO, ayant été envoyé dans une autre paroisse et Cournon ayant été de nouveau adjoint à la Gacilly pour le spirituel, mon père reprit son courtil et les travaux en restèrent là.
La Gacilly ayant acheté le presbytère actuel, l’Evêque y envoya Mr LE CHENE, ancien émigré, qui administra les deux paroisses. On manquait tout à fait de sujets et Cournon ne fut érigé en paroisse qu’en 1820, époque où on lui envoya Mr. ROZELLIER comme desservant au recteur.
Glénac, à la réouverture des églises, fut administré par un Mr MÉNAGER, ancien chapelain de la Forêt-Neuve, puis par un ancien chartreux qui est mort vicaire de la Chapelle-Gaceline. Enfin, après le Concordat, on envoya à Glénac Mr COUÉ DE LA TOUCHE, celui que vous avez vu dans la cachette avec mon père à Sourdéac. C’était un homme du monde et fort aimable. Il est mort recteur de Caden.
Comme vous le voyez, les paroisses n’étaient pas pourvues de prêtres comme aujourd’hui, aussi c’était une misère et un véritable mérite que d’aller le dimanche chercher une première messe. Glénac a été longtemps à Bains; plus tard, aux Fougerêts. Cournon et La Gacilly allaient à la Chapelle-Gaceline. Je me rappelle y avoir été une fois dans mon enfance; pour moi, c’était une partie de plaisir. Les chemins étaient impraticables; il n’y avait de routes nulle part. Dans l’hiver, il fallait partir longtemps avant le jour. Le jour où j’y fus, je me souviens que la petite chapelle était comble ainsi que le petit cimetière qui l’entourait. En effet, on venait de toutes les paroisses environnantes où il n’y avait qu’un prêtre. Cet état de choses a subsisté jusqu’en 1815 ou 1816, époque où Sixt eut un vicaire; La Gacilly n’eut le sien que vers 1822 ou 1823.
Cette pénurie de prêtres n’a rien qui étonne, si l’on réfléchit qu’au rétablissement du culte il n’y avait, pour remplir toutes les fonctions ecclésiastiques, que des prêtres d’avant la Révolution, pendant laquelle il n’y avait ni collèges, ni séminaires. Il ne fut ordonné que quelques rares sujets par les évêques non émigrés qui se cachaient. Si on défalque encore tous ceux qui moururent pendant cette terrible époque, soit naturellement, soit sur les échafauds et dans les noyades, on verra que les deux cinquièmes au moins du clergé avaient disparu. Il fallut donc plusieurs années pour remettre les choses en état et cependant on faisait flèche de tout bois, c’est-à-dire qu’on passait assez facilement sur le degré d’instruction, pourvu que les sujets fussent pieux. Aussi, à cette époque, vit-on plusieurs prêtres à qui, dans un temps ordinaire, on n’aurait pas donné charge d’âmes à cause de leur simplicité. De ce nombre, par exemple, était Mr ROZELLIER, le recteur de Cournon, très saint homme à coup sûr, mais d’une nature tellement simple qu’il prêtait à rire sous plusieurs rapports. Ce serait le lieu de vous faire son portrait en racontant ici quelques anecdotes qui vous le feront connaître.
Monsieur ROZELLIER était certainement une nature à part, simple comme un enfant et pourtant ne manquant pas d’instruction; il aimait les lettres et même se laissait parfois aller à versifier. Mais quel style, Grand Dieu ! pour un disciple d’Apollon. A sa mort, ses confrères mirent la main sur ses œuvres qui auraient pu prêter à rire et les jetèrent au feu. Mais j’ai souvenance de quelques échantillons qui pourront permettre de juger du reste. Le père ROZELLIER avait une vingtaine d’années quand la Révolution éclata et il finissait ses études avec l’intention d’entrer dans le sacerdoce lorsque la conscription lui mit dans les mains un fusil au lieu d’un bréviaire. Il était d’une famille de cultivateurs de la commune de Guillac près Josselin sur le territoire sur lequel est élevée la pyramide de Mi-Voie en l’honneur du Combat des Trente. Mais comme on va le voir, sa valeur était d’une toute autre nature que celle de ces preux. Toujours est-il qu’un beau matin, il fut forcé de rejoindre Vannes où ses nouveaux confrères s’amusèrent forts de sa simplicité et commencèrent à s’égayer à ses dépens. Ils le menèrent entre autres au spectacle qui devait en ce moment être assez épicé pour un écolier de sa trempe. Quand on lui demandait ce qu’il y avait vu, il prenait un air de mystère et finissait par dire : " Il vint un jeune homme et une jeune fille... ils se parlèrent dans l’oreille...il y a bien de la malice là-dessous ".
Cependant, les conscrits furent dirigés sur Rennes où ils devaient être définitivement incorporés. La plupart étaient des paysans bretons qui gardaient leur foi en Dieu, leur sympathie pour le Roi et leur haine pour la République. Ils convinrent de déserter et de passer aux Chouans. Ils n’avaient pas le choix des moyens, chacun mit donc la main au gousset et, comme ils se rafraîchissaient dans une modeste auberge aux environs d’Elven, en plein pays de Chouannerie, ils enivrèrent les soldats qui les conduisaient et prirent la clef des champs. Et voilà comment le père ROZELLIER devint soldat. A cause de son instruction, on lui donna un grade, pas bien élevé, je pense, probablement les galons de caporal. Au reste, le bonhomme n’avait jamais bien su au juste lequel : " Ils disaient que j’étais général ... ou caporal ... je n’en sais trop rien ".Il vit le feu plusieurs fois, assez malgré lui, selon toute apparence. Il assista notamment au Combat de Grand-Champ où les royalistes en trop petit nombre furent écrasés. Plus tard il le chanta dans un poème qui commençait ainsi :
La brume et les broussailles sont sur les deux armées;
Elles ne peuvent se voir avant de s’être mêlées.
La prosodie n’avait pas grand-chose à voir dans ses compositions poétiques. Il aimait à narrer ses aventures et il n’y mettait pas de malice à coup sûr, car voilà comment il terminait l’épisode du Combat de Grand-Champ : " Quand je vis que ça prenait cette tournure-là, je criai à mes hommes : sauve qui peut ! " Et il ajoutait avec cette conviction profonde, malgré le rire de ses auditeurs : " Je sauvai l’armée, Messieurs, sans cela pas un n’en fut revenu ".
Au rétablissement du culte, Mr ROZELLIER entra au séminaire et malgré sa simplicité, comme on manquait de sujets et que c’était, du reste, un saint homme, on le fit prêtre et on lui confia la modeste église de Cournon où ses naïvetés avaient moins d’inconvénients au milieu d’un auditoire presque exclusivement composé d’illettrés. Cependant, les habitants de la Villejanvier, avec lesquels du reste il était au mieux, eurent plus d’une fois l’occasion de combattre le fou rire à l’occasion de ses sermons ou en causant avec lui.
La vieille église de Cournon n’était qu’une chapelle, dont une partie, noire et basse comme une cave et séparée par une voûte, était l’ancien enfeu des seigneurs de la Villejanvier. La Révolution ayant passé là-dessus, il ne restait guère que les quatre murs, deux autels, de vieilles boiseries délabrées et une demi-douzaine de saints en bois, dont quelques-uns si grotesques qu’il fallut les mettre, à la réforme. On n’en conservera que deux ou trois dont la statue de Saint-Amand, patron de la paroisse, la même que nous avons vue renversée par Trémoureux pendant la Terreur. Le reste fut badigeonné avec grand renfort de dorure et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, par un peintre de Rochefort nommé Simon. A cette occasion, Mr ROZELLIER lui donna un certificat en vers, dont voici les principaux :
« Je certifie que Monsieur SIMON, peintre et doreur, a peint notre église de Cournon,
Qu’il l’a peinte et dorée, assurée pour mille ans,
C’est ce que nous verrons plus clair par la suite des temps.
Fait à Cournon le 10 Août,
Par son auteur
ROZELLIER, recteur. »
Le fait est que la peinture était bonne et la dorure aussi, car elles ont tenu jusqu’à ce jour (1880) malgré la poussière et l’humidité. Le presbytère était à l’avenant; c’était une maison de village avec de très petites fenêtres et très basse d’étage. Plusieurs fois, la commune songea à l’assainir et à l’augmenter, mais Monsieur ROZELLIER s’y opposait toujours, disant que cela lui convenait ainsi : " Mais, Monsieur le Recteur, lui disait mon père, vous ne serez pas éternel et vous devez tenir compte de vos successeurs ". Cette remarque le fit enfin consentir et l’on construisit le presbytère actuel. C’était en 1840. Mon père avait le plan et en surveillait l’exécution. Un jour qu’il s’y rendait, il trouva le père ROZELLIER dans sa future chambre regardant par la fenêtre d’un air fort préoccupé.
- « Eh bien, Monsieur le Recteur, commencez-vous à vous y faire ?
- Ah ! Monsieur ! quand je vous disais qu’elle était trop haute !
- Quoi ?
- La Maison ! Voyez-vous le haut de la butte de Cournon par-dessus la ferme vis-à-vis ?
- Eh bien ! cela vous gêne,
- Comment ? vous qui avez fait la guerre, vous ne voyez pas cela du premier coup d’œil, mais que la guerre civile revienne, on mettra une pièce de canon sur cette butte et on m’écrasera sous les débris de mon presbytère ».
Là-dessus, rire de mon père qui ne put jamais convaincre le bonhomme que, pour en venir là, le canon n’était pas nécessaire. Une autre fois, mon père lui faisant une petite visite lui dit : " Eh bien ! Monsieur le Recteur, est-ce que vous ne faites plus de vers que vous ne m’en parlez plus ? - " Chut, répondit-il aussitôt en mettant un doigt sur sa bouche, j’ai lu dans mon journal qu’ils ont jeté un poète à la Seine ". Et il fut tout aussi impossible de le convaincre qu’il n’avait pas à craindre d’être jeté dans l’Aff par la canaille de Paris.
Cependant , il avait une grande confiance en mon père, témoin le fait suivant : notre église n’étant pas riche et ayant besoin de se remonter de tout, on raccommodait les ornements tant que la chose était possible. Un dimanche, mon père entre à la sacristie pour saluer le recteur, comme à l’ordinaire, avant la grand’messe.
- " ça va être bien long, lui dit-il !
- Comment ? dit mon père. Quelle cérémonie faites-vous donc aujourd’hui ?
- Il faut rebénir un ornement qui vient d’être raccommodé chez les Ursulines de Redon. Il y a bien des pièces.
- Comptez-vous donc les bénir toutes l’une après l’autre ?
- Mais oui, je pense. »
Un petit silence pendant lequel mon père cherche un argument ad hominem, puis ;
- « Monsieur le Recteur, avez-vous assisté quelquefois à la bénédiction d’une église ?
- Oui.
- Eh bien, est-ce qu’on bénit toutes les pierres une à une ?
- Non sans doute. On fait une bénédiction générale.
- Justement ! c’est le même cas ici.
- Vous croyez ?
- J’en suis parfaitement sûr.
- Ah, si vous en êtes sûr, c’est différent. Nous ne ferons qu’une seule bénédiction"
Et cela fut fait ainsi à la satisfaction générale"
Il demandait quelquefois en chaire l’avis de ses paroissiens et même du pied de l’autel. Un jour de fête, à la fin de la messe, il se tourna vers l’auditoire et dit : " Mes frères, je laisserais bien le Saint-Sacrement exposé, mais il faudrait qu’il restât quelqu’un. Restera-t-il quelqu’un ? Répondez donc ? » Alors le sacristain, type soigné dans son genre répond tout haut : " Ramassez-le va, je vous dis, y ne restera personne ". Et le curé remit l’hostie dans le tabernacle.
Pendant qu’on faisait les réparations de l’église, il fallait un coq pour le clocher et un Saint-Esprit pour la chaire. Un jour donc, en chaire, Mr ROZELLIER commence ainsi :" mes frères, il faudrait un coq pour notre clocher. Il y en a de tous les prix; de combien le voulez-vous ? Répondez donc ! Vous ne dites rien ? Eh bien je crois qu’un coq de tant nous suffira ! Puis il ajouta avec une égale simplicité ; " J’attends aussi le Saint-Esprit, mais il n’est pas encore arrivé ".
Personne ne croyait plus que lui à l’Evangile, mais il avait une drôle de façon de l’expliquer à ses paroissiens. Un jour, parlant de la jeune fille ressuscitée par Notre-Seigneur, il dit : " Jésus écarta les joueurs de flûte, car mes frères, il parait que dans ce temps-là on ne chantait pas le libera comme aujourd’hui. Je n’en sais rien, mais toujours est-il qu’on jouait de la flûte autour des morts, car l’Evangile le dit ".
Une autre fois, prêchant sur la Passion, arrivé au reniement de Saint-Pierre, il s’écria :
" Alors, mes frères, un coq qui était à la broche chez le Grand Prêtre chanta ". Je ne sais s’il y eut beaucoup d’étonnements dans l’auditoire, mais ma grand’mère qui était présente à son banc, vis-à-vis la chaire, eut bien de la peine à tenir son sérieux. Après la messe, elle dit au recteur : " Comment, Monsieur le Recteur vous nous avez dit que le coq qui chanta après le reniement de Saint-Pierre était à la broche ! Où avez-vous vu cela ?
- Madame, l’Evangile de le dit pas, mais c’est sous-entendu, car il y a eu un miracle, n’est-ce pas ?
- Sans doute, puisque Jésus l’avez prédit.
- Alors il fallait bien que le coq fût à la broche. Vous avez des coqs dans votre basse-cour et moi dans la mienne. Ils chantent toute la journée; où serait le miracle sans cela ? »
Il eût été difficile de le convaincre.
S’il avait une singulière façon d’expliquer l’Evangile, on peut croire que sa manière d’expliquer la politique ne l’était pas moins. Un jour, vers le milieu du règne de Louis-Philippe, il prophétisa dans sa simplicité. On parlait de la durée probable de son règne. " Ah ! dit le père ROZELLIER, il restera là quinze à dix-huit ans comme les autres. Il est là pour marier ses enfants; quand le dernier sera marié, il s’en ira ". Plusieurs années passèrent pendant lesquelles Mr ROZELLIER mourut. Enfin,le mariage du Duc de MONTPENSIER arriva et mon père se rappela la prophétie du bonhomme. Or, quel ne fut pas son étonnement lorsque trois mois après, la Révolution de 1848 éclata et Louis-Philippe fut détrôné.
Le père ROZELLIER avait une bonne figure; il était naturellement gai et sociable. Cependant, il vivait comme un saint et allait chercher dans les vieux ordos les jeûnes supprimés pour les faire. Je l’ai vu tomber à l’autel à l’âge de 72 ans. Mais l’apoplexie ne fut pas foudroyante. Il put finir sa messe et ne mourut que huit jours après. Du reste, Dieu pouvait le reprendre sur l’heure, sa place était certainement marquée en Paradis.
J’ai souvent entendu citer une réponse que fit Monseigneur de PANCEMONT, évêque de Vannes, à une personne notable qui lui disait qu’il était bien regrettable que Messieurs tel ou tel, dans le genre du père ROZELLIER, aient été ordonnés prêtres. Le bon Evêque lui répondit : " Que voulez-vous, mon cher monsieur, quand on manque de chevaux pour cultiver la vigne du Seigneur, il faut se servir des ânes; mais dans quelques années tout sera réparé. »
Schisme de la Petite Eglise
C’est ici le lieu de vous parler de ce qu’on appelle le Schisme de la petite église.
Au rétablissement du culte, Monseigneur AMELOT, évêque de Vannes, qui avait émigré, vivait encore. Il ne voulut pas reconnaître le Concordat et refusa de rentrer. Le pape alors passa outre et nomma Monseigneur de PANCEMONT. Quelques personnes, parmi lesquelles il y eut même quelques ecclésiastiques au début, refusèrent de le reconnaître et formèrent une petite Eglise qui s’abstint de participer au culte public sous prétexte que Monseigneur de PANCEMONT était un intrus et ses actes nuls comme évêque. Ce schisme ne s’étendit pas à tout le diocèse. Il se borna à Vannes et les environs. La ville d’Auray en fut le centre. Les ecclésiastiques en revinrent bientôt, mais quelques personnes persistèrent jusqu’à la mort de Monseigneur AMELOT qui arriva vers la fin de l’Empire.
Monseigneur de PANCEMONT n’en vit pas la fin; il fut remplacé par Monseigneur de BAUSSET.
Quoiqu’il en soit, Monseigneur AMELOT avait, à mon avis, encouru une terrible responsabilité.
Le plus notable des Chouans de la Bourdonnaye et du Marais de Glénac était François Caillet, que nous ne tarderons pas â voir à l’œuvre. Il était né à Saint-Jacob, aux Fougerêts, en 1773, troisième fils d'un garde-gruyer [12] des de Rieux. Des deux frères aînés, l'un était entré dans les ordres; l'autre, élève à l'école de Marine, acquit plus tard une réelle notoriété mathématique.
La tradition locale veut que le jeune François se soit mis dès la première heure à la disposition des prêtres fidèles et rappelle la messe dite dans une grange de Saint-Jacob, sous sa protection, par M. l'abbé Chantreau. De plus, le certificat très élogieux qui lui fut délivré sous la Restauration fait mention de ses services sous de Silz, c'est-à-dire en 1793.
Comment accorder ceci avec un renseignement précis et sûr; le père étant mort, François Caillet fut, au cours de l'été 1793, nommé par la Nation garde provisoire de la Forêt Neuve. Il est vrai qu'à ces dates, on n'en est pas à un paradoxe près et que la commune des Fougerêts spécialement en offre d'autres exemples. En tous cas, les vingt ans sonnèrent et le refus de partir vint faire de notre homme un hors-la-loi. Combattant actif et brave, il eut tôt fait de prendre un réel ascendant sur son entourage, et son degré d'instruction en fit plus tard l'intermédiaire indispensable du général de Sol.
Capitaine de paroisse d'abord, puis lieutenant de canton, il sut garder l'estime même des patriotes, qui jugeaient que sa modération était pour eux une réelle garantie. Aussi, lorsqu'en 1795, à l'enlèvement de La Gacilly, il fut fait prisonnier, le clan des bleus locaux facilita son évasion. Le fusil d'honneur, qui lui fut remis à la Restauration, existe encore chez ses descendants aux Fougerêts.
Un des frères Boutémy de Glénac qui s’était signalé comme un des premiers sous-lieutenants de Montméjean, de son vrai nom chevalier Montbrun Dupuy-Montjean, chef de la chouannerie dans le secteur de La Gacilly, Boutémy semble avoir eu les qualités d’un combattant de valeur.
C'est lui qui conta à mon oncle Armand de Gouyon plus d'un fait des débuts de la chouannerie, notamment l'affaire du Bois des Clos, où tomba Mr de Cacqueray et où lui, Boutémy, commandait en second.
Il passa en Vendée et fit la campagne de 1794. ; il exerça plus tard un commandement sous les ordres de Stofflet. On le retrouve enfin comme officier subalterne au Pont du Loc’h sous Georges Cadoudal. Lui aussi fut, en 1795, arrêté dans je ne sais trop quelles conditions et aidé dans son évasion par les bleus de la Gacilly. Il mourut â Glénac sous la Restauration et touchait alors une pension.
Les frères Boutémy participèrent (d’après un certain témoignage) à la prise de La Gacilly par les Chouans
Après le braconnier de la forêt, on pourrait prendre celui du marais : Jouvance, dont le rôle du début eût pu se développer, étant donné sa bravoure et son intelligence, mais qui, confiné à son marais, qu'il ne pouvait se résoudre à perdre de vue, ne fut guère qu'un agent, d'ailleurs précieux, de communications; facteur, passeur attitré, populaire, sans ennemi, même chez les adversaires, car c'est lui, dit-on, qui sauva Séguin de la Gacilly en 1795.
Né le 8 mai 1752 à La Gacilly, il est le fils de Jean-Marie Seguin et de Jeanne-Louise Grinsart ; il épouse Perrine Huet née à Nantes en 1753; de ce mariage, il eut un seul fils, Joseph-Jean-Martin né le 11 novembre 1779. Le 26 mai 1790, il est déclaré électeur pour la formation du département du Morbihan et membre du Directoire du district de Rochefort. Au début du mois de décembre 1790, il devient juge de paix du canton de La Gacilly, élection confirmée le 30 décembre 1790 par le Directoire du district. En bon républicain, et pour ne pas déplaire à ses amis révolutionnaires, Joseph-Marie Seguin achète des biens nationaux, il fut même parmi les premiers acquéreurs.
Le 5 avril 1793, notre juge de paix continue à acheter des biens nationaux puisque d’après le registre de l’enregistrement et des domaines, il acquiert des meubles à la vente de la Gaudinais en Glénac pour la somme de 18 livres et 3 sols. Le 18 mai 1793, il continue à acheter des meubles à la Gaudinais conjointement avec un nommé Ricaud pour la somme de 80 livres et 8 sols appartenant au sire de Quélo, émigré. Le même jour, toujours avec le dénommé Ricaud, il acquiert, pour la somme de 110 livres et 16 sols, des meubles lors de la vente de la Forêt-Neuve appartenant au sire de Rieux, émigré.
Le 8 octobre 1815, J.M. Seguin donne sa démission de juge de paix auprès du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Vannes. Est-ce par fatigue morale ou par lassitude ou n’est-ce pas la crainte, pour lui républicain convaincu, de retrouver la Royauté après l’Empire. Il a donc accompli une longue carrière de juriste, d’abord comme notaire seigneurial, puis juge de paix, dans une période plus que troublée de notre histoire; il a surtout survécu à la Terreur alors que, dans sa position, il fallait très peu de chose, voire simplement une médisance, pour être déclaré suspect. Il ne semble pas avoir été inquiété par les Chouans bien que la ville ait été plusieurs fois envahie et qu’il aurait très facilement pu faire l’objet d’une exécution sommaire comme plusieurs de ses concitoyens. Bien considéré par tous, toujours réélu dans ses fonctions, bien noté par ses supérieurs, c’était ce que l’on peut appeler, avec le sens que l’on donne à ce terme au XVIII° siècle, un honnête homme. Joseph-Marie Seguin est décédé le 12 juin 1824 à La Gacilly, il avait 72 ans.
La réaction de Thermidor avait donc amené une courte détente dont le pays aurait pu profiter. La porte des prisons s'était au moins entr'ouverte et c'est ainsi que, sur un certificat de civisme délivré par la municipalité de Glénac, Mme de Gouyon, mère, avait pu, avec ses deux filles, revenir prés de sa bru â Sourdéac et quitter le sordide Josselin où tant de leurs compagnons de captivité étaient morts de la fièvre typhoïde.
Il en fut de même à Redon, pour quelques pauvres femmes; d'aucunes furent même renvoyées de Rennes; on voit par exemple Mme de Gibon rentrer chez elle et Mme Dondel née Le Gouvello, ramener ses trois enfants au Parc Anger.
Parfois les victimes de ces arbitraires châtiments obtenaient du pouvoir local des attestations d'innocence. Le maire et les officiers municipaux de Glénac certifiaient, par exemple, que les citoyennes Gouyon-Coipel, L. M. Desforges de la Gaudinais, et M. L. Desforges, récemment emprisonnées,« s'étaient toujours comportées d'une manière à ne mériter aucun reproche ; que leur conduite, loin d'être suspecte, avait toujours été conforme aux lois et qu'elles avaient satisfait exactement au paiement de toutes les impositions et aux autres charges de la commune. Ils attestaient de plus qu'elles étaient continuellement occupées à soulager les malheureux, non seulement en faisant des aumônes, mais en allant elles-mêmes visiter les malades. »
« Quels moyens de suspicion, concluait l'une de ces infortunées, peut-on avoir contre une fille âgée de soixante-douze ans, accablée d'infirmités et uniquement occupée du soin de son petit ménage ? Elle a toujours mené une vie privée sans intrigues et sans cesser de faire des vœux pour la paix et le bonheur de sa patrie. On ne peut lui reprocher d'autres crimes que celui d'être née dans une classe ci-devant privilégiée. On ne préside pas à sa naissance. Le hasard l'a placée dans cette classe, est- ce un motif pour la priver d'une liberté dont elle n'a jamais usé pour mettre le trouble dans la société? L'humanité réclame en sa faveur, et ta justice, citoyen représentant, lui fait espérer l'élargissement qu'elle te prie de lui accorder ».Le citoyen représentant resta sourd a ces réclamations si fondées , car six mois plus tard nous retrouvons ces trois malheureuses dans les cachots de Josselin.
« Nous certifions, disent à leur tour les municipaux de Glénac, que le sieur Daniel, incarcéré à Vannes, s'est toujours comporté en bon patriote depuis la révolution ; qu'il n'y a contre lui, à notre connaissance, aucun fait d'incivisme, il est inexact notamment qu'il ait logé des prêtres et des réfractaires, car il n'occupe qu'un très petit appartement au rez-de-chaussée dans lequel il est impossible de cacher un individu. Si de plus il leur a vendu à boire, c'est, croyons-nous, qu'il ne les connaissait pas. Aussi bien, la mésintelligence qui régnait entre lui et un autre cabaretier établi dans le même endroit est vraisemblablement le principe et l'unique cause de la dénonciation portée contre lui. Pourquoi donc le retenir plus longtemps dans des cachots que jamais il n'eût dû connaître ».
[1] Histoire de La Gacilly par J.C Magré
[2] Bulletin Archéologique de 1854
[3] Noblesse Bretonne au XV Siècle par le Comte de Laigue
[4] abcdblog Hautetfort.com
[5] Martyrs de la Révolution par G. Mathiot
[6] Histoire de la Révolution dans les Départements par A. Duchatelier
[7] Revue Prospections – Juillet 1988 – Les Trésors Enfouis de la Chouannerie – p. 14 - D. AUDINOT
[8] Général Lemené
[9] Revue Morbihannaise la Famille de Rieux par P.Merlet
[10] Histoire de la Révolution dans le Département prêtres par Duchatelier
[11] La Chouannerie par Armand de Gouyon
[12] Le garde-gruyer était un garde administrateur forestier
[13] Les Justices de Paix - p. 20 – Y. DANARD
[14] Revues des questions historiques fondées par le marquis de Beaucourt 1904
[15] Revues des questions historiques fondées par marquis de Beaucourt 1904
|