LES  COMMUNS

Origine des Communs-Origine du domaine congéable-Les  éances.-Vente d’une Partie des Communs à Glénac

A Glénac, entre Graslia et la Forêt-Neuve, sur le côté droit de la route comme on va vers Saint-Vincent, là où le schiste apparaît, une très grande parcelle de terre recouverte d’ajoncs, de genêts et de bruyère avec quelques sapins, est encore appelée les « Communs de Glénac ». Une autre parcelle porte le même nom à coté du village de Launay, en direction de Choiseul, en bordure du Grand Chemin  appelé aussi Chemin de Redon, ancienne voie gallo-romaine.

 

Origine des Communs. [1]

                                 Leur origine remonterait, sans doute, à la fin du IX° siècle, au temps des machtyerns, avec les « cowenran » mot qui peut être traduit par « Ran en commun », c’est à dire portion de terre pouvant profiter à tout le monde. Ce sont des terres dont les habitants des environs avaient coutume de jouir en commun, de « communer » à toute époque de l’année, soit en vertu d’un droit, soit par suite d’une simple tolérance du propriétaire[2] ; dans ce dernier cas, il s’agissait du droit de « vaine pâture » : tout habitant qu’il fut propriétaire ou non des terres, avait la permission d’envoyer son bétail pâturer sur les terres dépouillées de leurs fruits, jusqu’au moment où le pacage eut nui aux nouvelles récoltes. Pour les prairies, la durée de la vaine pâture allait de la fauchaison à mars ou avril suivant les coutumes ou localités. Pour les parcelles cultivées, elle était plus variable ; en principe, elle s’étendait de la moisson au labourage suivant qui pouvait intervenir dès l’automne ou au printemps de l’année suivante quand ce n’était pas un an, deux voire trois ans après car les cultures améliorantes n’étaient pas connues et, parfois, un long repos était nécessaire au sol pour se régénérer, c’est le système des jachères.

 Dans beaucoup de contrées de la Bretagne intérieure, la moitié des terres de labour étaient annuellement sans culture. Le propriétaire, en clôturant ses champs, pouvait les soustraire à l’exercice de ce droit mais alors il perdait la faculté de pacager sur les terres de ses voisins. Si l’un des habitants dépassait la durée de la « vaine pâture », il était passible du dédommage (réparation du dommage causé) ou de l’assise (dédommagement fixé par la Coutume) ou de l’amende d’ordre pénal, elle pouvait se cumuler avec le dédommage ou l’assise. Il faut dire que, très souvent, la « vaine pâture » était en quelque sorte forcée à cause du morcellement des parcelles et de leur petitesse.

Donc les « vaines pâtures » se faisaient sur des terres appartenant à des propriétaires bien déterminés sur lesquelles le pacage ne pouvait excéder une certaine durée. A l’inverse, les « vives pâtures » ou « grasses pâtures » s’effectuaient sur des terres appartenant à des communautés d’habitants. La plupart du temps, ce sont des landes, marais, terres vagues ou de bruyères, des taillis ou des bois, c’est à dire le plus souvent des terres incultes sans clôture couvrant le sommet et le flanc des collines rocailleuses. Contrairement à leur dénomination de « grasses pâtures », elles étaient plutôt maigres en nourriture pour le bétail ; elles prirent le nom de « communs » ou terres communes ou encore de terres gastes, d’où les gâtines, terme encore utilisé dans certaines régions françaises parce qu’elles étaient à la disposition des communautés de villageois.

Les communs de landes servaient de lieux de pâturages, les porcs y venaient au panage, c’est à dire manger les glands (la glandée).

Parfois on y récoltait du fourrage pour le bétail comme les ajoncs qui, pilés, servaient de nourriture aux vaches. On y récoltait aussi de la litière avec les ajoncs, les genêts, la bruyère, les fougères et même les feuilles mortes. Ces mêmes landes fournissaient parfois des mottes de terre de bruyère qui, séchées au soleil, étaient utilisées ensuite comme combustible. Ces mottes pouvaient aussi être mélangées avec du fumier pour donner une espèce d’engrais pour les terres cultivées. Malheureusement cette pratique rendait encore plus inculte des terres déjà très pauvres.

              Les communs de marais ou de palus (terrains plus ou moins marécageux) servaient, eux aussi, de lieux de pâturages ; on en tirait aussi des fourrages, des litières avec les souches, les joncs, les roseaux et les gros foins. La tourbe y était exploitée pour le chauffage et les engrais ; dans certains endroits, ceci donnait même lieu à un commerce important.

              Les communs de bois, de taillis et de forêts servaient aussi de lieux de pâturages surtout pour les porcs. Diverses cueillettes y étaient pratiquées : landes, fougères, genêts, houx, fragon, feuilles tombées, glands et fruits sauvages. Le ramassage du bois mort était parfois autorisé ainsi que l’abattage d’arbres pour bâtir ou réparer les maisons.

              Les communs étaient donc très utiles pour les riverains, voire indispensables surtout pour les petits paysans qui, ne possédant que de maigres parcelles labourables, trouvaient là un complément appréciable surtout pour le bétail. Si grandes et moyennes cultures de l’époque se passaient facilement des pâturages communs et de lieux où chacun pouvait aller couper les ajoncs pour la litière ou retirer l’engrais du sol, il n’en était pas de même pour les humbles propriétaires, les communs leur étaient vraiment nécessaires car ils n’avaient pas d’autres moyens de suppléer à l’exiguïté de leurs terres labourables.

              Au XVII° siècle, l’étendue de ces communs était considérable et il fut envisagé de réduire les surfaces communes afin de faciliter le développement de l’agriculture mais les paysans bretons s’y opposèrent avec violence. C’est la raison pour laquelle la surface des terres arables resta pratiquement stable de la fin du XVI° siècle jusqu’à la moitié du XIX° siècle. Autre raison de cette pérennisation des communs, c’est le fait de leur indivisibilité puisque, appartenant à une communauté d’habitants, le partage est pratiquement impossible. De plus, une lande, un taillis ou un marais commun ne peut être défriché pour être transformé en pâturage puisqu’une ordonnance défend tout changement sous peine de 1.000 livres d’amende. Il faut attendre la fin du XVIII° siècle pour qu’un projet d’abolition de cette ordonnance voit le jour mais la Révolution retarda encore sa réalisation.

 Quand au XVIII ème siècle les afféagements se multiplièrent en Bretagne, la diversité chez les juristes et l’incertitude de la jurisprudence firent plus fortement sentir le besoin de règles précises. Il est difficile de savoir  qui, du gouvernement ou des états, prit l’initiative  de cette réglementation. Le point de départ  en fut certainement la déclaration royale du 6 juin  1768 qui encouragea le défrichement et, par conséquent, les clôtures et partage de communs. Les Etats s’occupèrent de la  question de 1775 à 1781. L’Intendant Caze de la Bove en 1778 fit  un projet  d’édit ; en 1785 l’intendant Bertrand de Malleville prépara un nouveau projet. Mais le Régime des Communs ne fût pas précisé par une nouvelle loi.

              Certains auteurs pensent que les communs remonteraient au temps des Gaulois et que les « pagi » avaient leurs terres communes. Dès 1330, dans la très ancienne Coutume de Bretagne, la féodalité étant à son apogée, on voit déjà que les communs n’appartenaient pas aux seigneurs mais, par contre, les communautés d’habitants ne pouvaient y prétendre sans un titre spécial de concession seigneuriale. Le seigneur avait droit de justice sur ses hommes, c’est à dire sur ses vassaux mais il l’exerçait aussi sur d’autres personnes dans sa seigneurie. Ainsi il avait le devoir de garder et borner les voies de circulation et surtout les communs. Si des bornes étaient enlevées ou déplacées, les auteurs des faits étaient punis par le seigneur ; un bornage déplacé pouvait aller jusqu’à la pendaison. Le seigneur avait donc un droit de police dans l’intérêt public. La lourdeur des peines encourues montre l’importance attachée à la propriété des communs. Le titre spécial de concession délivré par le seigneur dont il a été question ci-dessus, aurait dû être gardé dans les archives paroissiales par les généraux de fabrique mais peu à peu ils furent égarés ou détruits et ce ne sont que les traditions orales paroissiales qui permirent de faire reconnaître quelques siècles plus tard les limites et la consistance des communs. Avec le temps, ce défaut d’archivage paroissial laissait dans l’incertitude le caractère du droit des villages sur les communs qui en dépendaient.

              Après la Révolution, une législation spéciale intervint en Bretagne pour réglementer cette situation ; elle fonctionnait encore en 1868.

              Dans le courant du XIXe siècle, les communs qui subsistaient encore comme propriété de village, donnèrent lieu aux mêmes contestations que dans le passé. Quelques cultivateurs, peu scrupuleux, avaient même fait main basse sur quelques parcelles de ces terrains.

On procéda [3]alors à un nouveau bornage, on dressa des loties « sur le pied d'égalité » et on les vendit au lieu de les partager. Ces biens furent considérés comme vacants par l'Etat, qui les donna aux communes, dont les receveurs particuliers encaissèrent le prix de vente. Cette vente mécontenta les villageois qui firent parfois procès sur procès aux municipalités. Néanmoins la vente eut lieu, et les paysans purent acquérir, au prorata de leur bourse, les pièces de landes et de noës qui leur convenait.

Le conseil municipal d'Allaire décida que l'argent qui en provenait servirait au paiement de la nouvelle église ; d'autres municipalités l'appliquèrent à la création de nouvelles routes : ce qui contribua puissamment à calmer les esprits.

L’important de ces ventes de communs n’est pas tellement la quantité d’hectares vendus mais le changement de mentalité qu’elles provoquent dans le monde agricole et l’apparition et la confirmation de la propriété individuelle

Des Origines de la propriété des Communs et du Domaine congéable en Bretagne. [4]

 1ereDivision. -Origine de la propriété des Communs et ses Révolutions Successives.

                                 Les peuples des nomades dont l'histoire a transmis les mœurs primitives, après l'abandon de leur vie errante, avaient adopté le communisme de la propriété de leurs territoires. Mais nous nous arrêterons à des peuplades appartenant incontestablement à la même branche de la famille humaine que les Celtes et les Belges.

              La communauté d'origine dit que les choses ont dû se passer chez les Gaulois à peu près de la même manière que chez les Germains et les Vacéens, avant qu'ils eussent fait un pas de plus dans la civilisation.

              Nous ne supposons pas que l'on puisse croire qu'après la suppression du communisme, incompatible avec tout progrès matériel et moral de l'humanité, quoiqu'il soit lui-même un progrès comparativement à la barbarie première, toute possession collective par les communautés d'habitants a dû cesser. Ce serait méconnaître non-seulement l'empire des habitudes, mais celui des besoins réels.

              La grande et la moyenne cultures bien appartenancées se passent facilement de pâturages communs et des lieux où chacun peut aller faucher des ajoncs pour la litière et l'engrais des terres. Ces exploitations se suffisent à elles-mêmes. Les petites ne jouissent pas des mêmes avantages. Les communs leur sont nécessaires.

              Le petit cultivateur n'a pas d'autres moyens de suppléer à l'exiguité de son domaine, si ce n'est à l'aide de procédés que la science moderne n'a encore inventés qu'à demi et qui n'existaient pas du tout au commencement de l'agriculture gauloise. L'ordre naturel des choses indique qu'elle a débuté par de petites existences agricoles. Les pagi et leurs subdivisions avaient incontestablement leurs communs. Le mot est resté. On n'a pas cessé d'appeler les terres vaines et vagues communs ou communes, et Mornac, beaucoup plus tard, affirmait cette situation en disant : «  Nullus est fere in Gallia pagus qui pascua communia non habet. »

              Mais, sans nous embarrasser dans une controverse d'étymologies et dans des citations d'auteurs, nous avons dans la très ancienne coutume de Bretagne, rédigée vers 1330, la preuve qu'à ce moment où la féodalité était à son apogée, on ne s'était pas avisé de croire que les communs étaient aux seigneurs et que les communautés n'y pouvaient prétendre sans un titre spécial de concession seigneuriale.

Le seigneur ayant droit de justice sur ses hommes, c'est-à-dire sur ses vassaux, l'exerçait non-seulement sur eux, mais sur ceux des autres dans sa seigneurie. De ce droit découlait le devoir de garder et borner :

1)    les voies et les routes allant de ville marchande à ville marchande,

2)    les communs.

              Si le seigneur négligeait les soins de la garde et du bornage, le prochain seigneur pouvait et devait y suppléer en s'entourant des conseils des gens prudents et bien informés, du pays. II replaçait les bornes tombées, enlevées ou abattues, et punissait les auteurs de ces faits. L'enlèvement ou renversement volontaire des bornes était puni d'une amende indépendamment des dommages et intérêts, et quand on avait substitué un faux bornage aux bornes ôtées, la peine n'était rien moins que la pendaison (art. 255 de la très ancienne Coutume). C'était donc un droit de police dans l'intérêt du public et non un droit de propriété féodale que le seigneur exerçait sur les communs, comme sur les chemins allant d'un lieu de marché à un autre.

              On reconnaît en même temps à la sévérité des peines l'importance que l'on attachait pour l'utilité publique à la propriété des communs aussi bien qu'aux voies de communication vicinale. Il n'y a pas à se méprendre sur ce que les rédacteurs de l'art. 255 entendaient par communs. Ils confondaient si peu cette nature de propriété avec les terres décloses et incultes qui avaient été l'objet d'une appropriation privée, qu'ils autorisaient par l'article 254 à enclore non seulement les terres et prés, mais même les landes de tout temps en état de déclôture et de vaine pâture appartenant à des particuliers, à charge seulement de faire délimiter les chemins et voies adjacentes. Cette confusion n'avait pas lieu dans l'ancien droit. Aussi Loyseau, un des meilleurs auteurs de droit coutumier, dit-il au ch. 11,l.VI du déguerpissement : «  Les terres que nos coutumes appellent terres « hermes », terres gaines, communes ou vains pâturages sont terres du tout stériles, qui n'appartiennent et n'ont jamais été occupées par aucun particulier. »

              Mais plus tard, soit sous l'effort de l'esprit d'intérêt, soit par suite d'altération des traditions féodales, il commença à s'opérer un autre genre de confusion dans les idées. Le droit de garde et de police que la très ancienne Coutume proclamait, donnait incontestablement aux seigneurs le pouvoir de reconnaitre comme justiciers les jouissances et les droits des communautés qui les possédaient. Tant qu'on a bien compris que ce n'était pas à un autre titre que celui de justiciers, la propriété des communautés a été sauvegardée; mais lorsqu'on a cessé de distinguer nettement dans l'exercice des droits du seigneur ce qui tenait à son justiciement de ce qui tenait à la propriété de ses domaines et de ses fiefs, on a tout rattaché à son « jus dominii. »

Le pouvoir de reconnaître les droits des communautés usagères a paru dériver d'un droit primitif de concession par assimilation à son droit exclusif de reconnaître sa vassalité et c'est ainsi qu'un devoir de protection est devenu graduellement un titre d'usurpation, sans que ceux qui en ont finalement profité aient eu conscience de cette transformation.

                        Le même résultat s'était produit pour tous les fiefs de protection. Dans les derniers temps ils étaient présumés de concession, si le contraire n’était pas justifié. (Poquet de Livonnière, Règles de droit, titre v, ch. 1er, n° 5, et Championnière, Exposé historique des fiefs, nos 61 et 62). Nous pouvons dire avec certitude que des causes analogues avaient produit toutes les institutions féodales.

La modification de la propriété des communs en Bretagne ne s'est pas arrêtée à cette première phase. De la concession présumée, on a passé à la présomption de non-droit des usagistes en l'absence d'un titre de concession. Ce travail des esprits a été lent, et le droit primitif a été longtemps défendu.

              A la première réformation de la Coutume de Bretagne (en 1539), et à la seconde (en 1580), les attributions des seigneurs concernant la garde et le bornage des communs ne reparurent plus. On ne peut toutefois regarder cette prétérition comme une abrogation virtuelle des anciens principes. L'article 359 de la nouvelle Coutume impliquait même le contraire en autorisant les seigneurs qui «  avaient terres de leur domaine propre non cultivées à les afféager et en prendre rente, avec rétention d'obéissance, sans diminuer le fief  du seigneur supérieur. » Car, à aucune époque, on n'a considéré les communs comme faisant partie du domaine privé d'un seigneur, sans qu'il les annexât par des défrichements, plantations, clôtures ou affectations spéciales à un bien de ce domaine.

              Jusque-là, s'il n'en avait pas autrement disposé, c'étaient des terres sans destination, suivant ceux des feudistes qui ont admis le droit du seigneur d'en faire à sa fantaisie. Conséquemment, l'article 359 n'avait aucune application possible aux communs. Le parlement proclamait par ses arrêts la propriété des communautés d'habitants. Il jugeait :

  1. le 30 septembre et le 29 octobre 1568 et le 1er avril 1572, contre le vicomte de Rohan qu'il ne pouvait bailler à cens et autoriser à enclore les communs  de sa seigneurie;

  2.  contre un autre seigneur, le 29 octobre 1645, qu'il ne pouvait empêcher d'abattre des arbres dans le cimetière et dans les communs du fief pour rebâtir une chapelle démolie.

  3.  contre le comte de Rieux, le 10 juillet 1651, et contre le seigneur d'Ancenis, à une autre date que nous n'avons pu retrouver, qu'ils n'avaient droit qu'à un partage des communs avec leurs vassaux, qui en conserveraient les deux tiers. .(Sauvageau, sur Dufail, liv. 1er, ch. 273, et Coutumier de Duparc-Poullain, sous l'art. 359 de la nouvelle Coutume.)

              Le parlement n'était pas seul à reconnaître la propriété des paroisses, des frairies et autres communautés d'habitants. Des lettres-patentes de Charles IX et la déclaration de Henri IV, du 9 février 1610, données sur les remontrances des États de Bretagne tenus à Nantes, défendaient aux agents du domaine ducal : « d'y bailler, ni réunir à cens ou rentes les marais, iles, landes ou autres terres vaines et. vagues qui avaient été communes de tout temps et auraient servi de pâturages aux paroisses circonvoisines. »  

(Voir sous l'art. 359 de la Coutume publiée à Nantes en 1125)

              On n'exigeait pas de titres de concessions. La possession immémoriale des paroisses suffisait. Les mêmes principes se remarquent dans toutes les déclarations royales et édits généraux qui ont été rendus sur la matière et enregistrés au parlement de Bretagne.

Le parlement n'abandonna les règles qu'il avait si solennellement consacrées qu'à la veille de la Révolution française, par son arrêt du 15 juin

              Ce revirement de jurisprudence fut dû à l'acte de notoriété des anciens avocats au parlement de Bretagne, du 6 avril 1758. affirmant la propriété des communs aux mains des seigneurs bretons, leur droit de les afféager, d'en concéder l'usage, de les vendre ou réunir à leur domaine privé. Comme le duché de Bretagne avait le privilège de se gouverner suivant les statuts coutumiers après sa réunion à la France et que l'usage des actes de notoriété avait remplacé celui des enquêtes par turbes, pour attester les coutumes du pays, le parlement attacha à cet acte l'autorité d'une loi.

              Nous avons donc seulement à nous demander quelles ont été les causes de cette notoriété, contraire au véritable droit, admise par tant d'avocats d'une grande valeur à une époque où les études sérieuses étaient générales. La Bretagne comptait de nombreux jurisconsultes distingués par leur science, la patience de leurs recherches et le respect des précédents. ils avaient rarement de l'initiative et de l'élévation dans les idées. Leur principal mérite était une exposition simple et concise, une érudition saine et sans prétention, une rigoureuse exactitude et un bon classement.

              Parmi eux, d'Argentré avait une place à part. Esprit supérieur, ce n'était pas en trouvant, comme Cujas, par une sorte de révélation, le mot demeuré inconnu jusqu'à lui d'un texte du droit romain, ou en le restituant à la place qui lui appartenait, qu'il différait des autres. Les anomalies du droit féodal et du droit coutumier l'avaient frappé. Il cherchait à tout ramener aux règles de la loi romaine et à une logique sévère. Malgré son exubérance et son mauvais latin, on sent dans ses écrits une hauteur inusitée. Seulement, on comprend que ses opinions, quelque séduisantes qu'elles soient par leur harmonie, ne sont pas toujours sûres.

              D'Argentré avait entrepris d'établir que le droit de propriété présomptive des paroisses sur les communs était incompatible avec le droit féodal breton dont la maxime fondamentale était : « Nulle terre sans seigneur ». La possession même immémoriale sur ces sortes de terres lui paraissait toujours entachée de précarité quand le titre écrit faisait défaut.

              Ses contemporains et la plupart de ses successeurs pendant deux siècles ne l'ont pas suivi. Si nous comprenons bien les notes de Sauvageau sur Dufail, d'Argentré, lui-même, statuant comme magistrat, aurait reculé devant les conséquences de ses doctrines. Mais le temps avait fortifié son autorité. On peut dire de lui, dans une certaine mesure, qu'il avait devancé son époque. II s'était fait novateur et il fut accepté lorsque les idées novatrices eurent envahi les tètes les plus froides, souvent à leur insu.

              Puis l'incurie des généraux de paroisses dans les derniers temps, attestée par les arrêts du parlement, les avait empêchés de faire reconnaitre les limites et la consistance des communs par les seigneurs qui les avaient sous leur garde. Ils avaient rarement des archives ou des registres de leurs délibérations et de leurs propriétés paroissiales, dans un temps où le régime des écritures publiques avait remplacé partout celui de la tradition. Presque toujours, dans la crainte de laisser perdre la trace de l'usage des communs dont le général s'occupait si mollement, les vassaux déclaraient en termes généraux ou spéciaux, dans leurs aveux individuels rendus au seigneur, qu'ils étaient usagers. En sorte qu'une masse d'aveux semblait impliquer la propriété seigneuriale et un droit de simple servitude obtenu directement par les vassaux, ut singuli.

              Enfin, ce défaut d'archives paroissiales laissait dans l'incertitude le caractère du droit des villages sur les communs qui en dépendaient ce n'était pas toujours la propriété d'une communauté, c'était parfois la propriété indivise et commune de tous les héritages dont le village se composait. Ajoutons que les économistes du XVIIIe siècle avaient jeté le discrédit sur les terres stériles : tant que les communs seraient restés aux paroisses, il n'y avait pas d'espoir qu'on les soumit à la culture.

              Telles furent les causes probables et naturelles qui fixèrent l'opinion. L'innovation fut-elle heureuse? Nous ne résoudrons pas cette question. Une législation spéciale à la Bretagne est venue règlementer la situation. Elle fonctionne depuis près de quatre-vingts ans et constitue des droits acquis auxquels il n'est plus permis de porter atteinte.

              Nous ne nous étendrons pas davantage sur les communs. Nous nous étions seulement proposé d'en marquer l'origine antique, la propriété primordiale aux mains des communautés d'habitants et l'époque à laquelle le droit primitif s'est effacé lié à la jurisprudence et des souvenirs. Notre sujet est épuisé sur ce point.

Nous avons à nous occuper maintenant du domaine congéable.

 2 eme division. - Origine du domaine congéable.

                                 M. Derome, s'appuyant sur le début des Commentaires de César, croit à une différence très marquée de langage, d'institutions et de lois entre les trois divisions principales de la Gaule : la Belgique, l'Aquitaine et la Celtique, mais il ne reconnaît pas la même différence entre les divers petits États dont se composait chacune de ces parties.

              Nous admettons bien, avec M. Derome, que la distinction était moins tranchée entre les civitates appartenant à la même langue qu'entre les Belges, les Aquitains et les Celtes. Elle existait néanmoins. Dufail a dit vrai en l'affirmant.

              Les coutumes qui se sont partagé le territoire de la France et qui ne variaient pas seulement de province à province, mais pour ainsi dire de clocher à clocher, n’auraient-elles pris naissance qu'au moyen-âge? Seraient-elles résultées du fractionnement féodal sans agir sur lui? Sans doute, si on devait confondre la naissance des coutumes avec le temps auquel elles ont été rédigées, elles seraient toutes moyen-âge. Mais leur rédaction suppose leur préexistence. Les rédacteurs les avaient reçues de la tradition  et il se sont bornés à rendre avec le plus de précision possible ce qu'ils avaient appris. Toutes portent avec elles le cachet d'une haute antiquité.

              Nous ne prétendons pas qu'elles n'aient rien reçu de l'influence du temps, du rapprochement et du mélange des peuples, que le droit romain ne leur ait rien communiqué. Mais ces emprunts successifs n'en avaient pas supprimé la substance primitive. Le droit coutumier remonte à l'origine des peuplades ou du moins au moment où elles ont pris des demeures fixes et acquis les premiers éléments de la civilisation.

              Le contester, c'est faire abstraction de l'autonomie si bien vérifiée des civitates et vouloir dériver la variété d'un état de choses qui tendait plutôt à uniformiser. Car, aux temps féodaux, le fractionnement était moins grand que celui de la Gaule et, dans la Bretagne, par exemple, quand elle fut devenue duché, la tendance à une coutume générale s'est fait sentir. Auparavant composée d'États indépendants, elle tendait au contraire à la diversité coutumière. C'est lorsque la Bretagne armoricaine se partageait en petits États que le domaine congéable a dû être constitué. On n'entrevoit même pas la possibilité de sa constitution à une époque postérieure.

M. Troplong le trouve parfaitement approprié aux besoins et aux intérêts d'une population partie maritime et commerçante et partie agricole. Nous croyons qu'il a touché du doigt la véritable cause originelle du domaine congéable.

              Des voyages continuels sur mer, les occupations multipliées du commerce ne permettaient pas aux principaux habitants du pays de cultiver on de faire cultiver leurs terres sous leurs yeux. Des mains serviles ou mercenaires les eussent mal servis. Le bail à ferme ou à colonage partiaire qui répond très bien aux exigences d'un état de civilisation où grand nombre de terres sont depuis longtemps en culture, pourvues de bâtiments d'exploitation, et où les bénéfices de l'agriculture peuvent être supputés à l'avance, n'était pas praticable avant que les exploitations fussent créées.

Les possesseurs de vastes terrains n'avaient que deux partis à prendre pour les conquérir â la culture :

o   ou les mettre à leurs frais en rapport et construire le logement des hommes et des bestiaux,

o   ou s'entendre avec les cultivateurs pour qu'ils fissent eux-mêmes le nécessaire à des conditions déterminées.

              Le premier parti ne pouvait convenir aux navigateurs venètes, ossismiens et curiosolites.

Nous venons de dire pourquoi. Ils durent tout naturellement associer le cultivateur a leur propriété, se réserver le fonds, les bois forestiers que les défrichements laisseraient debout, et stipuler une faible redevance pour la jouissance qu'ils concédaient. Le cultivateur devint propriétaire de la superficie qu'il transformait, des arbres fruitiers qu'il plantait, des clôtures au moyen desquelles il défendait les champs et des cabanes qu'il élevait.

Le propriétaire du fonds retenait le droit de rentrer dans la jouissance de la chose à la condition d'indemniser le cultivateur de son travail.

Cette simple mais ingénieuse combinaison était peut-être la seule qui pût être employée avec efficacité pour développer la culture. Les gens de la campagne, encore près de la vie pastorale, comprenaient qu'elle était beaucoup moins laborieuse que la vie agricole. Ils avaient aussi sous les yeux l'existence du marin, dure mais lucrative. Ceux portés par tempérament à renoncer à l'indolence du pasteur auraient naturellement préféré la navigation. Mais la propriété étant le plus puissant stimulant de l'homme, l'association à la propriété devait résoudre le problème et, selon nous, il l'a résolu, dans les contrées dont nous parlons, à une époque fort reculée, certainement antérieure à l'arrivée des Romains.

              Après César, la cause que M. Troplong assigne au domaine congéable ne l'expliquerait plus. Effectivement, ce sont les Romains qui ont ruiné la navigation et le commerce de l'Armorique. Nous dirions à ceux qui en douteraient que la ruine des Venètes et des Armoricains qui marchaient à leur suite a été, de la part du premier César, le résultat d'un atroce et froid calcul. Leur marine, en possession du marché de l'Angleterre, eût été un obstacle insurmontable à son passage dans l’île et, dans tous les cas, un contrepoids à la puissance romaine sur les Bretons insulaires. Il commença par la détruire. La guerre qu'il leur fit ne fut pas provoquée. La vérité historique est altérée sur ce point dans les Commentaires. Nous la retrouvons ou plutôt nous la pressentons à la lecture de Strabon ou de Dion Cassius. On comprend, en réfléchissant sur ces circonstances, que la politique des Romains ne se fut pas accommodée du rétablissement de la prospérité première de la Vénétie ou Vénédotie et des autres parties de l'Armorique.

              Après le désastre des Venètes, les grandes fortunes acquises sur mer ne se sont plus constituées et les terres de l'intérieur qui ont été soumises au régime du domaine congéable comme celles du littoral, n'ont plus, en général, appartenu aux habitants des villes côtières.

              Nous disons que les terres de l'intérieur étaient aussi exploitées à domaine congéable Nous en trouvons la preuve non-seulement dans la persistance actuelle de la tenue convenancière dans l'ancienne vicomté de Rohan, dans l'arrondissement de Napoléonville, mais dans la circonstance qu'il est démontré par d'anciens aveux et par le cartulaire de Redon que Carentoir, Peillac, Pluherlin et beaucoup d'autres communes où les domaines congéables sont parfaitement inconnus aujourd'hui, avaient dans leurs enclaves bien peu de propriétés qui ne fusent à ce titre, il y a quelques siècles. Les inductions que nous tirons de ces faits ne sont-elles pas plus que vraisemblables ?

Nous n'ignorons pas que, sous les ducs de Bretagne, un nouvel essor fut donné au commerce et à la navigation, dès le VIIIe siècle, par les franchises accordées aux ports de Vannes, de Saint-Malo et de Nantes; mais ces résultats, qui procurèrent de l'aisance à quelques villes, ne sont pas comparables à l'ancienne situation et les terres n étaient point alors aux mains des navigateurs. Les grands propriétaires terriens, sous les ducs, étaient les seigneurs qui avaient d'autres occupations que le commerce maritime, quoiqu'il ne fût probablement pas encore une dérogeance.

              L'esprit féodal était déjà puissant et tendait à féodaliser toutes les institutions. Le travail social qui s'opérait, combiné avec l'influence de l'exemple des corporations religieuses auxquelles les canons de l'Église défendaient spécialement le démembrement de leurs terres par contrat d'aconvenancement, aurait été un dissolvant irrésistible du domaine congéable, s'il n'avait pas été depuis longtemps profondément enraciné dans les usages de l'Armorique ; à plus forte raison, sa naissance, coïncidant avec cette époque, n'aurait-elle en aucune des conditions de vitalité.

Mais sa date antique existe dans un article de l'usement de Rohan. Cette disposition est le droit de juveigneurie, usage très ancien que l'on retrouve, d'après Montesquieu, chez quelques peuples des Tartares. Pour qu'il se soit conservé à l'état d'intime union dans des usements du domaine congéable, il faut que la peuplade soumise à cet usement eût, au moment où le domaine congéable a été institué, le droit de juveigneurie dans sa coutume générale et, comme sa propriété agricole se sera trouvée restreinte à la tenue convenancière, il n'est resté attaché à aucun autre héritage.

Nous avons actuellement à examiner les systèmes différents à l'aide desquels on a essayé d'expliquer la tenue convenancière. On a dit :

1)    Que c'était une transformation de l'antique servage ;

2)    Qu'elle était issue du droit romain et plus particulièrement des dispositions relatives à l'emphytéose;

3)    Que c'était un démembrement de la féodalité ;

4)    Qu'elle avait été fondée par l'empereur Maxime pour récompenser les services des Bretons insulaires qui l'avaient suivi dans les Gaules;

5)     Qu'elle était due aux migrations des Vème et VIème siècles de l’île de Bretagne sur le continent.

Examen du premier système. -- Transformation de l'ancien servage.

                                 Si le domaine congéable est sorti du servage, ce n'est pas à des traits de ressemblance qu'on peut reconnaître cette paternité. La faculté de se libérer de ses redevances en faisant abandon des édifices et superficies, le droit de demander le remboursement à la fin du bail, de ne pas occuper soi-même la tenue, de vendre les droits superficiaires, est bien éloigné du servage  de la glèbe.

              La tenue convenancière a pu succéder au servage, mais elle en diffère tellement qu'il n'y'a entre eux aucune espèce de parenté qu'on puisse constater. Ce serait en tout cas une nouvelle preuve de l'antiquité du domaine congéable, le servage de la glèbe n'existant plus ou n'étant qu'une exception avant la conquête.

              Au moyen-âge. ceux qui avaient des serfs ne les affranchissaient que quand ils y étaient forcés par les circonstances. Le prince de Léon et les ducs de Bretagne nous en ont donné la preuve. Si on prenait au sérieux le langage, que M. de Courson fait tenir au vicomte de Léon dans ses remontrances au connétable du Guesclin, qui donnèrent lieu aux lettres-patentes datées de Quimper, on pourrait penser que la mutation de la tenue serve en tenue convenancière était de droit quand le serf s'adressait au duc pour l'obtenir.

              Mais l'imagination de l'auteur a fait tous les frais de la requête du vicomte. Le texte des « Usances de la principauté de Léon et juridiction de Daoulas », que le coutumier de Bretagne nous a conservé, établit que sous cette principauté nul ne pouvait se dire détenteur à domaine congéable sans en représenter le titre émané du seigneur.

              Les mots convenant fran, employés dans les lettres-patentes, n'avaient pas été compris par M. de Courson. Ils sont tout simplement synonymes, dans le langage du temps, de convention, d'affranchissement ou de formalités reçues pour s'affranchir. Ils n'ont aucun rapport au domaine congéable.

              Nous empruntons cette judicieuse remarque à M. de La Borderie. Nous ne prenons pas plus au sérieux les expressions de grande servitude, incommodité et subjection, dont on s'est servi en parlant du domaine congéable de Rhuys dans les lettres-patentes de Henri II du mois d'octobre 1556. Elles tendraient non pas à faire de la tenue convenancière l'affranchissement de la tenue serve, mais à la représenter comme l'une des formes de la tenue serve, ainsi que l'a prétendu Le Quinio dans son Elixir du domaine congéable.

              Ces lettres-patentes étaient une pasquinade bursale imaginée au moment où le trésor était vide. Le parlement de Bretagne ne s'y trompa point. Il n'enregistra que de « l’expresse injonction du Roi et la chambre des comptes sur son itératif commandement ».

              Les douaniers eux-mêmes ne se crurent pas en servitude et trouvèrent le bienfait qu'on leur octroyait trop onéreux pour leur bourse. Bien longtemps après, le domaine royal de Rhuys comptait encore beaucoup de tenues dont les colons refusaient obstinément de franchir les rentes.

 Examen du deuxième système. -- Provenance du droit romain

et particulièrement des dispositions relatives è l'emphytéose.

                                 Gérard et M. Derome ont cité des textes. Le premier les trouve décisifs. Le second n'est pas aussi affirmatif. Pour lui le domaine congéable ne doit son extraction au droit romain que d'une manière éloignée. Nous ne savons si nous nous faisons illusion, mais il nous semble que les textes indiqués sont tout à fait étrangers au domaine congéable.

Nous ne les reproduirons pas. Nous les analysons.

Ø  La première disposition est la loi 1ere, l. XI, t.30, au code de « administratione rerum publicarum ».

Elle ne concerne que le fonds vectigalien qui était soumis à un mode particulier de fermage. Si c'était la source du domaine congéable, nous devrions retrouver les biens publics à l'état de tenue convenancière et pourquoi seulement dans le Morbihan, le Finistère et les Côtes-du-Nord ?

Ø  Le second texte cité est la loi 3 au digeste « locati conducti. »

II parle de l'ensouchement de bestiaux donné au fermier sur estimation. Ce n'est pas du domaine congéable, c'est le cheptel.

Ø  Le troisième texte est le paragraphe 1er, l.LV, « au digeste in conducto fundo. »

La position qu'il prévoit est toute différente du contrat à domaine congéable où les augmentations sont convenues ainsi que le remboursement. Il s'agit dans cette loi de travaux nécessaires ou utiles ou de constructions non stipulées que le fermier aurait faites spontanément.

Le quatrième texte est la loi 3, au code l, IV, t. 65, « œde quam te conductam. » Il autorise le propriétaire à expulser le fermier pour jouir personnellement de la chose, à charge à lui de prouver que l'usage lui est nécessaire.

              Nous sommes loin de trouver dans ces textes les principes du domaine congéable. On ne peut pas davantage les faire sortir de l'emphytéose.

              Ce contrat est issu de « l’ager vectigalis », si ce n'est pas « l’ager vectigalis » sous un autre nom. Il était appliqué uniquement aux terres communes des cités et aux biens du domaine impérial. Ce ne fut que vers la seconde moitié du Ve siècle, c'est-à-dire à une époque où l'autorité des empereurs romains n'était même plus nominale dans les Gaules, que l'emphytéose commença à s'introduire dans les conventions entre particuliers. Une constitution de l'empereur Zénon, qui est devenue la loi première de « jure emphit » et les institutes de Justinien statuèrent sur les questions que faisait naître l'application de l'emphytéose aux propriétés privées. Mais ces lois ne passèrent la frontière de la France qu'après la chute de l'empire d'Orient. On a la preuve historique que le domaine congéable fonctionnait antérieurement. Conséquemment il ne leur doit rien.

Si on compare les deux contrats, on y cherchera vainement des caractères de similitude.

Les concessions emphytéotiques étaient de deux sortes. Les unes perpétuelles, les antres temporaires. Dans aucun cas, l'emphytéote n'avait droit au remboursement de ses avances.

Est-ce là le trait d'union ?

 Troisième système. - Démembrement de la féodalité.

                                 Ceux qui, comme M. de Courson, ont vu dans les civitates armoricaines des aristocraties militaires et des clans dans nos pagi, font nécessairement remonter la féodalité de la Bretagne continentale aussi haut que nous portons les origines du domaine congéable. Ils pourraient dire, par suite, avec une apparence de raison, qu'il se lie aux premiers temps féodaux. Mais nous croyons avoir démontré que les constitutions armoricaines n'avaient rien de féodal. Sans nous étendre davantage sur ce point, mettons en regard les caractères particuliers à la tenue féodale et ceux de la tenue convenancière.

              Dans la concession d'un immeuble à titre de fief noble ou roturier, le vassal acquérait tous les droits utiles, autrement dits le domaine utile de la chose. Si le fief était roturier, le vassal payait les charges spéciales à la roture. Le fief noble en était exempt et n'était tenu que des obligations de la noblesse.

Le seigneur concédant retenait un droit de supériorité accompagné de redevance ou services. L'hommage et l'aveu étaient la reconnaissance de la supériorité du seigneur, nommée domaine direct, et des conditions constitutionnelles générales ou spéciales de la concession. Si le vassal vendait sa tenue, le seigneur pouvait la reprendre en remboursant l'acquéreur.

              Si le vassal mourait sans héritiers, le seigneur rentrait dans la propriété.

              Le seigneur avait aussi, en général, un droit de justice sur ses vassaux.

L'essence de la concession féodale manque au domaine congéable. Le colon propriétaire des édifices n'a aucunement le domaine utile du fonds et la propriété superficiaire qu'il possède est elle-même soumise â une condition résolutoire, potestative de la part des deux contractants.

              Il est vrai que l'article 5 de l'usement de Rohan et l'article 17 de l’usement de Cornouaille donnaient au seigneur juridiction sur son domanier. Mais la justice du foncier à l'égard du domanier tenait  peu à la nature du domaine congéable que le foncier qui n'avait pas de seigneurie (Baudoin-Maisonblanche, institutions convenancières, no 129), ou qui possédait un fonds de tenue sous la seigneurie d'autrui, ne justiciait pas son colon.

Ajoutons ce qui est écrit dans le supplément de l'usance de Brouerec, extrait des mémoires de Gatechair : « Le seigneur foncier sous Brouerec n'a point, en vertu de ce seul titre de convenant,  de juridiction, ni justice civile ou criminelle sur son domanier, ni droit de le contraindre à suivre sa justice, ni lods et vente, rachat et semblables. En ce point, cette usance diffère de celle de Rohan et autres. »

              Le justiciement seigneurial à l'égard du domanier dans les usements qui l'admettaient tenait a ce que la propriété des édifices étant détachée momentanément du domaine de la seigneurie, on considérait ce détachement comme une sorte de fief, comme un fief anormal, pour employer l'expression des jurisconsultes. L'usement tenait lieu de convention en pareil cas. Une convention expresse pouvait aussi attribuer juridiction au seigneur ayant justice attachée à ses fiefs dans les usements qui n'en faisaient pas la règle.

Aucune induction ne peut en être tirée.

              En effet, l'article 43 de la nouvelle Coutume de Bretagne déclare formellement que le seigneur « n’a ipso jure aucune justice sur son métayer ou censier » ; mais il ajoute par voie d'exception : « Si n'était de contrat fait par sa cour, avec soumission et prorogation expresse ou de méfait commis en sa juridiction, s'il n'a autre seigneur et juridiction sur lui ».

La juridiction du foncier sur le domanier était donc à tous les points de vue un accident du contrat de domaine congéable, comme elle l'était à l'égard du métayer on censier, dont personne n'a confondu le titre avec celui de féage roturier.

              II n'y a conséquemment aucune apparence que le contrat à domaine congéable soit une imitation plus ou moins éloignée du contrat féodal et ce ne peut pas être ce contrat lui-même par la raison péremptoire que, si le seigneur pouvait faire de son domaine son fief, celui qui n'avait aucun principe de fief était sans droit pour bailler sa chose à titre de féage noble ou roturier. (Principes du droit breton, I.II, ch3, no 20).  Or, pour créer un domaine congéable, le propriétaire foncier n'a jamais eu besoin d'un principe de fief attaché à l'héritage.

              La qualification de seigneur ou seigneur foncier donnée dans l'usage au propriétaire du fonds, parait avoir été la cause de la méprise que nous combattons. Ce mot, en matière de domaine congéable, n'a cependant jamais eu d'autre signification que le latin dominus fundi (maitre du fonds), qui se disait indistinctement de tout propriétaire.

 Quatrième système.- Fondation en faveur des soldats de l'île de Bretagne

 qui avaient suivi Maxime dans les Gaules.

                                 Cette origine du domaine congéable est considérée comme certaine par M. Charles Gaillard dans un article parfaitement écrit, publié dans l'Annuaire du Morbihan de Cayot-Délandre (année 1836).

              Il est vrai que Maxime donna à ses soldats insulaires plusieurs cantons s'étendant depuis le Mont-Saint-Michel jusqu'au cap occidental. Cette donation qui fut bientôt après révoquée par Théodose, ne parait pas avoir compris Rohan et Brouerec.

              Nous savons que les donataires durent quand même se cantonner et se maintenir dans une partie du Léonais. Les empereurs romains avaient trop à faire pour venir les y attaquer. Seulement, M. Gaillard leur donne une qualification historique qui détruit tout son échafaudage. Il les désigne sous les noms de Bretons Lètes, Armoricains létien et il appelle Armorique Létane, Letania ou Letavia la partie qu'ils occupèrent. Les terres létiques, distribuées par les Romains à des barbares qu'ils voulaient fixer, étaient toujours concédées définitivement en toute propriété.

              Ainsi le don de Maxime à ses soldats n'a pu être fait à domaine congéable et la Létania avait un usement qui n'admettait le domaine congéable que très exceptionnellement.

Cinquième système. -- Migrations des Bretons insulaires aux Ve et VIe siècles.

                                 Ce système est celui de M. Périer de Lahitolle dans une brochure dont nous félicitons l'auteur. Son opinion a été professée par de grandes autorités et, entre autres, par Baudoin-Maisonblanche et Duparc-Poullain. Elle s'appuie sur des faits historiques.

On sait qu'aux Ve et VIe siècles, les Bretons furent obligés de passer en grand nombre sur le continent, fuyant devant les envahisseurs de leur île. On sait également qu'ils furent accueillis comme anciens compatriotes par les Armoricains qui leur donnèrent des terres à cultiver. Jusque-là nous sommes d'accord avec M. Périer de Lahitolle et les auteurs qu'il a suivis; nous avons même lieu de penser que les concessions qui furent faites à l'époque étaient à domaine congéable.

              La divergence, entre nous, provient uniquement de ce qu'ils placent le commencement du domaine congéable au moment de ces migrations tandis que, suivant nous, on n'a fait que leur offrir un genre de convention très ancien dans l'Armorique, également avantageux pour le propriétaire et le colon. On ne peut pas supposer que ce soient les immigrants qui l'aient importé. Il n'y en a pas trace aujourd'hui dans les îles anglaises et le Recueil des Coutumes cambriennes (Code de Hoël-Dda) n'en fait nulle mention.

              C'est donc dans la Bretagne armoricaine qu'ils ont trouvé ce contrat coutumier et ils l'ont immédiatement adopté ; prétendre que la création du domaine congéable n'aurait été faite qu'au temps de l'émigration et dans l'intérêt de l'émigration, impliquerait un dépeuplement complet des contrées où la tenue convenancière a existé. Le domaine congéable, aujourd'hui beaucoup plus restreint, a couvert les arrondissements de Vannes, Pontivy, Lorient , Quimperlé, Châteaulin, Quimper, Saint-Brieuc, Lannion , Guingamp , Dinan et d'autres lieux. Nous reconnaissons bien que diverses causes avaient diminué la population du pays, mais nous n'admettrons jamais que nos campagnes fussent vacantes et d'ailleurs le domaine congéable a été dominant dans plusieurs paroisses de l'arrondissement de Vannes où les Bretons insulaires n'avaient pas pénétré.

              Enfin, il n'est pas vraisemblable que les immigrants eussent été traités de la même manière sur tous les points où ils étaient reçus, s'il n'y avait pas eu une coutume préexistante, une coutume originelle à laquelle on ne faisait que les associer.

Nous ne croyons pas avoir omis dans notre revue des systèmes qui ont cherché à expliquer l'origine du domaine congéable un seul de ceux qui se sont produits. En dehors de l'opinion de Dufail et de Sauvageau, aucun ne peut résister aux objections Nous resterons donc fermement attaché à leur sentiment.

              Le domaine congéable a été, avec le commerce maritime, la source principale de l'ancienne civilisation armoricaine. Il l’a préservée de la plaie hideuse du servage et les novateurs qui l'ont si souvent attaqué depuis un siècle, au nom de la liberté et des droits de l'homme, méconnaissaient étrangement le principe libéral de cette institution.

Les  Communs dans les Cahiers de Doléances. [5] 

v  212QU’IL Y AIT UNE LOI GENERALE ET INVARIABLE SUR LES COMMUNS

                                 Une douzaine de paroisse désirent que l’on fasse « une loi fixe, générale et invariable, sur l’usage et la propriété des terres vaines  et vagues appelées communs dans l’étendue de la province de Bretagne

BRUC, GLENAC; LA CHAPELLE-GACELINE,  PEILLAC,. RENAC, SAINT-JACUT,   etc.

            

v  ARTICLE 31 du Livre Revendication des Paysans de la sénéchaussée de PLOERMEL[6]

Que le règlement qui a eu lieu en France pour le partage ou tirage des vagues et communs des deux tiers outre les Vassaux  et Seigneurs, règlement toujours réclamé en Bretagne, soit mis en vigueur et rigoureusement observé dans cette province.

              Si le Seigneur a eu le tiers, soit par clôture faites à son profit, soit par les afféagements concédés à des particuliers, il ne doit plus rien prétendre dans le restant des communs  et en cas qu’il est disposé au-delà du tiers, les clôtures et afféagements faits depuis quarante ans entreront en partage, sauf le recours des afféagistes  vers le Seigneur, sans que celui-ci puisse prévaloir de la clause de non garantie qui sera nulle et nul effet.

Vente d’une Partie des Communs à Glénac

F  1856

 

 

 

 

   

 


[1] Les Communs en Bretagne – M.P. LE FEUVRE

[2] BSPM 1868 – Les Communs - BURGAULT

[3] Revue Morbihanaise - Les comtés de Rieux

[4] Société Polymathique de 1828

[5] Les états de Bretagne  A. REBILLON 

[6] Les revendications des Paysans de  la Sénéchaussée de Ploêrmel